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Oskaras Koršunovas à propos de Hamlet
Dans le cadre du Prix Europe pour le Théâtre
Anders Kreuger : Pourquoi mettez-vous en scène Hamlet justement maintenant ?
Oskaras Koršunovas : Pour un metteur en scène, Hamlet
est un peu comme se marier. C'est quelque chose que vous sentez que
vous devez faire quand le moment arrive. Et tôt ou tard, ce moment
arrivera. Ma propre vie intérieure est en ce moment, je pense, cohérente
avec la vie de Hamlet en tant que personnage dramatique.
D'une
part, toute conversation sur pourquoi Hamlet est d'actualité
aujourd'hui et semblera plutôt naïve compte tenu que cette pièce est
tellement d'actualité qu'elle peut toujours être associée de manière
crédible aux affaires courantes.
D'autre part, la vie des jeunes au début du XXIe siècle est semblable à celle de Hamlet dans un sens fondamental.
Toutes les réponses à ce qui nous survient se trouvent dans notre passé récent. Toute notre compréhension de la réalité est entièrement conditionnée par les événements et la pensée du XXe siècle. C'est presque comme si le XXIe siècle se refusait à commencer.
Le fait d'être dominé par le passé représente-t-il le principal embarras de Hamlet ?
Le
passé «programme» notre futur à pratiquement tous les niveaux. Nous
croyons avoir échappé aux horreurs d'hier et nous essayons d'éviter de
faire face aux défis d'aujourd'hui et de demain. Nous avons un besoin
aigu d'introspection afin de comprendre notre environnement et les
décisions que nous prenons par rapport à la vie. Nous pouvons même avoir
besoin de nourrir une certaine «paranoïa» en nous-mêmes afin d'éviter
de faire des erreurs fondamentales dans la compréhension du monde. Nous
avons besoin de dépasser le calme autour de nous, nous avons besoin
d'apprendre et de ré-apprendre que c'est une illusion.
C'est
pourquoi Hamlet est la pièce la plus actuelle pour notre époque. La
question de Hamlet nous semble tout d'abord absurde. Notre existence est
tellement confortable et le futur semble pratiquement garanti. Mais en
fait le futur doit être trouvé en chacun d'entre nous et pas dans les
slogans politiques ou les publicités commerciales. Nous avons besoin de
déchirer le voile qui nous cache notre vie, nous avons besoin de lacérer
notre existence soit-disant sûre. La sécurité peut s'avérer très
dangereuse.
En termes de théâtre, s'agit-il d'une tragédie de notre époque ?
Durant
les cinq dernières années environ, un discours de changement radical a
été progressivement remplacé par un discours de sécurité illusoire. Je
parle de la réalité qui m'entoure de près mais je crois que cela est
également vrai pour un contexte plus ample.
Il
se peut que ce ne soit pas une tragédie dans le sens classique du terme
mais ce qui prépare le terrain pour Hamlet maintenant c'est que les
jeunes ne semblent pas capables de mûrir, qu'ils restent infantiles
tellement longtemps. Du moins en Lituanie, dans l'Europe
post-soviétique, les jeunes sont encore affectés par les conditions
totalitaires ou absolutistes dans lesquelles ils sont nés. beaucoup
d'entre eux sont trop heureux des améliorations qu'ils ont vues durant
les quinze années depuis qu'ils étaient enfants. Ils sont devenus
complaisants. Ils sont en train de se dégrader et pourtant ils sont trop
satisfaits d'eux-mêmes !
Mais pourquoi devraient-ils s'identifier à Hamlet ?
Ils
ont besoin de trouver la motivation en eux-mêmes pour devenir à nouveau
Hamlet. Il se peut que leur motivation soit leur désir de savoir à quel
mystère ils participent. Les enfants sont maintenus dans un rôle
passif. On ne leur raconte pas la vérité sur ce qu'il leur arrive.
L'état réel des affaires n'est pas révélé à Hamlet, soit-disant pour son
bien. Avec l'adolescence prolongée d'aujourd'hui, cette condition de
passivité protégée s'est étendue jusque dans la vie adulte.
Nous
ne savons pas à quoi nous avons affaire. Nous avons besoin de tout
regarder avec les yeux de Hamlet, nous avons besoin de plus de ses
soupçons. Nous sommes tombés amoureux de l'illusion de la sécurité. (…)
Ce
qui caractérise ma génération est son mimétisme par rapport à son
époque. Ma génération sait comment s'adapter à notre époque par
l'imitation. Elle a été affectée par des événements significatifs – et
elle est même passée à travers des moments révolutionnaires avec un
«statut d'observateur» – mais cela n'a généré aucun changement profond
en elle-même. De nombreuses personnes appartenant à ma génération
gardent l'illusion qu'elles ont influencé le cours du monde mais en fait
elles ont simplement bien réussi à s'adapter. Nous sommes une
génération de caméléons, une génération petit-bourgeoise des derniers
jours. (…)
Quand
vous mettrez en scène Hamlet, comment affrontez-vous le problème
théâtral «en général» ? Essayerez-vous de vous y retrouver ?
Mon point de départ est que je ne veux pas parler de hamlet en tant que personnage de théâtre, mais de nous, de moi.
De votre génération, à travers vous ?
J'ai
parlé ici de ma génération pour élaborer un contexte particulier pour
la mise en scène que j'ai en tête. Mais je veux vraiment dire quelque
chose de très individuel, de très subjectif. C'est pourquoi j'ai même
pensé à jouer Hamlet moi-même… à la fin je ne le ferai
pas, mais j'ai visualisé «mon» Hamlet comme si je le jouais, et le ton
et l'aspect de l'ensemble de la production devra certainement beaucoup à
cet autoportrait imaginaire que j'ai délibérément laissé inachevé. (…)
Anders
Kreuger est critique et commissaire d'art contemporain ainsi que le
Directeur du Kunsthalle Lund en Suède. Il a vécu et travaillé en
Lituanie pendant de nombreuses années. Il a secondé Oskaras Koršunovas
dans sa production de Cleansed de Sarah Kane à Elverket à Stockholm en 2003.
Oskaras Korsunovas, figure majeure du théâtre contemporain lituanien, revient à Shakespeare après son Roméo et Juliette,
spectacle inoubliable de la saison dernière ! La pièce commence devant
le miroir de la loge. Face au miroir, on se rend toujours compte combien
notre existence dépend du simple regard des autres. Le miroir, c'est
l'être et le paraître du théâtre, plus fondamentalement encore dans
cette tragédie. Hamlet commence et finit dans les loges, où tout est
rassemblé. La troupe d'acteurs emportée par Oskaras Korsunovas nous
montre avec éclat et réjouissance sa capacité à porter haut le héraut
tragique, à lui redonner jeunesse, sens et corps. Un grand moment de
théâtre à ne surtout pas manquer !