http://www.cdrtours.fr/wp-content/uploads/2011/06/Dossier-pedagogique-Kids.pdf
PERSONNAGES
Chaque
personnage comme un petit univers, un univers en réduction.
Un « monde »
comme dit Deleuze, défini par des traits individualisants peu nombreux,
condensé en quelques éléments, leitmotive théâtraux. Chaque
personnage a sa carte de visite, son obsession, son leitmotiv, son dada (hobby
horse),son signe
distinctif ; On a très vite fait l’inventaire du matériau qui permet
d’identifier chaque personnage.
Une simplification, un dessin en lignes claires, comme dans une imagerie enfantine.
Pas de développement « psychologique ».
Sont donnés
clairement : leur âge (entre 13 et 18, les trois filles ont 14 ans, Sead 18,
Bosko 16, Amar
& Stipan 15, Josip 13), leur appartenance (chrétiens, musulmans), leurs
relations (vitales,
archétypales, ils sont liés, ou séparés, fratrie, amour, haine, guerre de
religion, etc.), leur
histoire et celle de leurs disparus (comment ils sont devenus orphelins), les
images, souvenirs,
traumatismes qui en résultent.
Curieusement
la didascalie initiale, après leur âge, insiste sur les cheveux, courts, longs,
sale, bouclés,
bruns, blonds, roux, sur l’apparence physique, saleté, fatigue, froid, et sur
leur costume,
usure, pauvreté, singularisation, matières, couleurs.
Par ordre
d’apparition en scène :
SEAD
Un garçon
debout. Il fume.
La clope.
« Je fais le
petit mec qui en a, parce que j’en ai » (89). Voir aussi la séquence 8, clopes
et
allumettes
comme moyen de communication entre Nada et lui.
Le « grand
», l’homme, le cow-boy Marlboro. Debout, et il parle de « marcher ». Une marche
en avant. Le
chef de la bande. Le sens des responsabilités. Il organise la Parade.
Il pense aux
départs. Marcher voilà la chance. Il joue « l’éducateur » : distribue des
gifles quand on parle mal (99), quand on vole (129). Faut s’organiser (138
& 140).
L’anglais
AMAR
Vient Amar
Hélium,
brique, poussière, herbe (gonflé à l’hélium, manger des briques, mordre la
poussière, il finira par manger de l’herbe)
La
nourriture, la faim. Quignon de pain, sauciflard, etc.
Boulimique
(l’envers de l’anorexie, trouble fréquent chez les enfants de la guerre). C’est
sa
«
constitution », c’est à dire son tempérament, son métabolisme. Ou lutter contre
la peur et le
froid (il
souffre des deux).
Toutes ses
paroles font jeu de mot avec ou ramènent à la nourriture, obsessionnellement et
de
manière
hyperbolique : « je finis le pré puis je m’attaque à la ville ».
Le petit
gros à lunettes ?
Pas si
mignon, l’air débile, disent de lui les filles.
Mais
d’esprit vif : « j’apprends à lire, à écrire, et je cours vite. Je chante aussi
» (109).
Un faux
ventre ?
Ses fantômes
Il n’est pas
vraiment orphelin, mais ses parents (nourriciers) l’ont abandonné et ont fui
Sarajevo
sans lui, en Suède, le pays de l’herbe verte à foison, son espoir d’aller les
rejoindre
là-bas et
d’être enfin « rassasié » d’herbe verte et d’amour.
Song
Une chanson
« à se flinguer » (quand j’ai faim je chante des trucs en rapport / des trucs à
se
flinguer) :
« Les poissons d’avril ». Nourriture illusoire, avenir sans illusions,
désenchantement
?
Pour la
parade Un sac à patates (joke ! et sans doute que ça lui va comme un tablier à
une vache, lui qui broute les prés) comme armure de chevalier.
Il va pourtant
essayer de conjurer le fiasco en chantant sur le parvis du Parlement : derrière
lui, des trous noirs, étoilés.
REFKA
Vient Refka,
mains dans les poches.
La petite
pisseuse.
Incontinente.
Troubles psychologiques liés à la guerre ? La peur au ventre (comme Tania
séquence 2).
« Faut que je fasse pipi sinon je parle jusqu’à la nuit ». Incontinence
urinaire et/ou verbale contre la peur.
Le lipstick.
Le rouge à
lèvres, le maquillage. La féminité, la séduction. La beauté, la laideur : « je
suis un
rat ». (Le
rouge et la féminité avec les règles de Vildana et la séduction avec Méliha
séquence 2).
Le petit
Poucet des morts.
Une relation
privilégiée avec les morts, ceux qui sont en dessous.
Même les
vivants sont ceux qui ne sont pas encore morts : « Dans la brume, j’entends
rire les
filles qui
ne sont pas encore mortes. »
Les cailloux
blancs, les pierres blanches (tombes),les croix.
La semeuse
de cailloux, devant « chaque trou » où ils ont disparu, façon de se souvenir
des
morts (elle
parle aux morts, elle redit leur nom, leur histoire) : « même si je souris, je
sème
des cailloux
sur la tête des morts » (122).
Kaddish ?
Le
Kaddish(hébreu : « sanctification ») est l'une des pièces centrales de la
liturgie juive et a également influencé plusieurs prières chrétiennes, dont le
Notre Père1
Il a pour
thème la magnification et sanctification du Nom divin,
Plusieurs
versions en existent dans la liturgie, la plus connue étant celle des endeuillés,
bien que le Kaddish ne comporte aucune
allusion aux morts ni à leur
résurrection.
La marelle
A sans doute
aussi à voir avec une sorte de culte aux morts : de la terre au ciel.
Jeu d’enfant
qui se joue à cloche-pied. En relationavec la chanson.
Song de la
petite fille croche
Croche, note
de musique « crochue », recourbée.
Proximité
avec cloche. Croche-pied, cloche-pied.
Bancroche,
bancale, elle boîte dans l’existence. Elle attend sa double croche ? Quête
désespérée
de l’amour ?
Voir aussi
sa tendresse maternelle (gestes, caresses) pour Josip (le petit frère ?).
Pour la
parade.
La première
elle dit : » Pour la parade je veux avoir l’air d’avoir de la chance ».
Echapper au
réel par le
théâtre. Or elle reste telle qu’elle est.
Avec un
anorak rose dont la couleur est comme un appel et maquillée comme un camion. A
la
pelle ou
avec un gant. Une pute ou un ange ? (136).
BOSKO ET
ADMIRA
Viennent
Bosko et Admira, main dans la main Un couple. Ils apparaîtront toujours
ensemble.
Roméo
tchetnik et Juliette bialinka « bialinka » : argot utilisé par les
nationalistes
serbes pour désigner les femmes musulmanes.
Tchetniks :
les nationalistes serbes.
Le chrétien
et la musulmane, qui continuent à s’affronter malgré l’amour qui les lie, ou
bien
qui s’aiment
malgré les haines ethniques. Comme Roméo et Juliette, ils appartiennent à deux
familles ennemies.
Ils
véhiculent cette haine jusque dans leurs amours, disputes d’amoureux, menaces,
insultes : « avis de
tempête ».
Ils
incarnent le rêve d’une réconciliation nationale ?
Le masculin
et le féminin, opposition des sexes, leur scène d’amour séquence 4, avec la
grâce et la
maladresse des premières fois.
On se tire
Ils vont partir. Ensemble. Au bout de l’Europe. Ils portent aussi le rêve d’une
nouvelle vie, d’un nouveau départ, de la
possibilité d’oublier Sarajevo et son siège, l’existence d’un avenir.
Ils portent
le nom des amants de Sarajevo abattus sur le Pont Vrbanja au moment où ils
quittaient
la ville assiégée.
Hommage
rendu aux amants de la réalité ? Présage funeste, comme si la fuite et l’oubli
étaient
impossibles,
comme s’il fallait encore craindre un sniper trop « nerveux »
Prose de théâtre
Les duos
amoureux justement ne sont pas un duetto, mais un récitatif (voir plus haut).
Romantisme
impossible ? Comment on parle d’amour aujourd’hui (voir Koltès). D’ailleurs,
ils ne
chantent ni l’un ni l’autre. Juste une phrase par Admira dans leur scène pour
la parade.
Pourtant ils
sont dans le théâtre ces deux là, et ce sont les deux seuls qu’on voit «
répéter »
leur rôle
dans la parade (séquence 4). Comme les autres ils joueront ce qu’ils sont (ils
ont
répété une
scène d’amour comme pour de vrai : « toute la nuit on a répété, mon Bosko et
moi,
la scène où
on se dit toutes les vérités pour de faux comme si c’était vrai » (95), mais
ils
apportent la
force de l’imagination du théâtre.
« On a été
lyrique et drôle et tragique. »
Un mode
d’emploi ? « Il n’y a pas de rose dans ses cheveux. »
Autre mode
d’emploi ?
Pour la
parade
Ils
s’envelopperont dans des bandelettes ensanglantées.
Le sang, l’amour, la mort. Roméo et Juliette à
Sarajevo
STIPAN ET
JOSIP
Viennent
Stipan et Josip. Stipan un revolver à la ceinture. Josip, l’air de n’être pas
là où il
est. Stipan
agité comme la marée sous la lune, Josip immobile comme la lune sur la marée
UNcouple,
comme dirait Beckett. Les deux frères.
La lune et
la marée. Attraction / Répulsion.
Stipan : le
revolver
Le cow-boy
énervé (joue aux cow-boys et aux indiens, court dans tous les sens, se jette
contre
le mur,
saute, s’essouffle 114, « tête en bas, tire la langue au ciel » 98).
Lui, il joue
à la guerre. Agité, perturbé. Un enfant traumatisé qui réagit par la violence,
la
provocation,
la transgression. Les jeux dangereux.
Il est du
côté de la haine. Avec lui, même un livre est une arme : « avec ça tu blesses
un
homme » 107
Il n’a que la violence pour exprimer ses émotions (avec Josip, avec Nada qu’il
tente de
peloter 120).
Importance
dramatique de ce revolver qui cause réellement la mort (accidentelle ou
suicidaire
?) de Josip et le sentiment de culpabilité de son frère : « c’est son putain de
flingue qui a tiré
».
Josip :
trois pommes
Au contraire
est tout amour, besoin d’amour, « I love you ».
C’est le
plus petit, par l’âge, par la taille. Le minot. Trois pommes. Il suce son
pouce. Petit
Poucet avec
son double féminin : Refka ?
Le lunaire,
l’idiot, l’innocent : « mongolien...bulbe... ».
Un peu le
ravi de la crèche : il regarde au ciel comme si quelqu’un devait en descendre
et,
dans les
tirs de balles traçantes, il voit « la guerre des étoiles » (119).
A la
violence de son frère il réagit par la soumission ou la peur et se pisse
dessus.
L’amour la
haine 22
Deux frères,
si proches, si dissemblables. Rivalité fraternelle, relation ambivalente de
rejet et
d’empathie,
avec une dimension « sadienne » si l’on peut dire : harcèlement ; domination,
humiliation,
vexation, cruauté de la part du grand frère
qui en même temps protège le plus
fragile des
traumatismes de la guerre. Séquences 3 & 10.
Stipan et
Josip : êtres sans père
Les deux
chansons de Stipan (il chante beaucoup, c’est qu’il doit avoir mal beaucoup !),
la
« formulette
de la gouttière » et le song du « Petit père haut dans les cieux, font
apparaître
clairement
l’image du père absent, le manque du père (voir Platonov) :
* papa est à
la pêche – d’où l’identification imaginaire, fantasmatique : « mon p’tit frère
dans
la gouttière
à pêcher de petits poissons » & « j’attends le poisson avec toi mongolien »
(114)
* petit père
haut dans les cieux – d’où le désir de« s’envoyer en l’air ». Le désir de mort.
Comportement
à risques.
Stipan ment
à son frère, lui cache la mort de leursparents, pour ne pas le perturber
davantage
(lui qu’il
sait n’être pas à l’abri, resté « dans la gouttière ») – puis dans un accès de
colère il
« lâchera le
morceau » : mère violée, père tué, révélation qui sera suivie de la mort de
Josip.
Les kids
rattrapés par l’horreur.
A creuser
également un thème qui innerve toute la pièce : l’eau, le lac, la pêche. Voir
le song
final du
petit pêcheur.
Pour la
Parade.
La momie et
l’infirmier.
Stipan est
réfractaire à la Parade. Par deux fois :« j’aime pas la parade, on n’est pas
des
singes » et
« je fais pas la parade, on n’est pas des singes », alors qu’il singe
continuellement
la guerre et
les haines ethniques. Quel rapport à l’animalité refoulée ?
Enveloppé de
bandelettes ensanglantées trouvées dans les poubelles de l’hôpital et avec son
flingue
comme un doudou qu’il ne quitte pas (objet transitionnel de désir) il sera une
momie.
Un
mort-vivant ? Un revenant ?
Tandis que
Josip revêtira une blouse d’infirmier trop grande.
NADA
De derrière
un rocher, apparaît Nada. Les mains en l’air, comme on s’est fait gauler
La petite
voleuse
Kleptomanie
? Ou Nécessité ? « Je vole pas pour le plaisir » (130).
Les mains de
la voleuse.
Et
l’obsession de se faire « gauler », de prendre sa retraite et se faisant «
prendre » ?
Métaphoriquement
? Renoncer à soi-même pour être (avec) l’autre ?
L’amoureuse
en secret
Totalement
en empathie avec Sead qu’elle aime secrètement. Elle parle seule parce qu’elle
est
seule. Elle
veut qu’il la remarque, elle veut exister à ses yeux. Se maquille (127) mais
aussitôt efface le rouge à lèvres : « c’est pas mon genre », personne ne la
voit et surtout pas celui qu’elle aime.
La scène
originelle rue Luledzina : le vol de la boîte d’allumettes.
Clopes et
allumettes, pulsion du vol, chacun amène ce qu’il est dans cette relation «
étrange »,
biaisée.
Peut-être elle fume pour faire comme lui.
Elle imite
le parler de Sead : « tu parles comme lui ».
Elle seule
est capable d’entrer dans les « visions » de Sead : « j’ai vu l’épervier ».
Dépassée par
l’émotion de cet amour : « quand ça touche à la biologie, je perds mes
moyens ».
Trop jeune (lui fera comprendre Sead, il faudra attende encore, « pousser ») :
elle a
rencontré
Sead à « neuf ans et des brouettes », elle a 14 ans – c’est la durée du siège
de
Sarajevo.
Song : « à
la dérobée »
Carte de
visite en jeu de mots : la dérobeuse et celle qui voudrait être « dé-robée ».
Celle qui
aime en
secret, qui parle seule mais ne dit pas son amour à celui qu’elle aime, mais
qui est la
seule à
évoquer l’écriture comme une écriture du se cret : « sur du papier j’écris à la
dérobée...
lâche ma
bride... passe les ponts.... ».
Pour la
Parade
Elle n’a
rien préparé, contrairement à Bosko et Admira
« Je sais
pas jouer / je sais pas chanter / je saisfaire que voler / courir et voler /
pour pas finir
/ sifflée ».
A la parade elle sera ce qu’elle est dans la vie :
elle fera les poches du public.