lundi 10 février 2014

Gertrude (Le Cri) d'Howard Barker




C'est l'histoire d'un amour fou. Celui de Gertrude et Claudius, prêts à tout pour s'appartenir et jouir ensemble du pouvoir, mais qui découvrent chemin faisant que leur passion a pour moteur fatal l'excès et la transgression.

Cette histoire, Shakespeare a voulu la laisser dans l'ombre, pour s'intéresser plutôt au trouble qu'elle suscite chez un certain Hamlet. Barker, lui, dissipe d'entrée de jeu les énigmes de son modèle (Corsetti parle d'ailleurs d'une"écriture liquide", où les scènes se succèdent avec l'élégance fluide des rêves): oui, Gertrude a été l'amante de Claudius dès avant le meurtre de son premier époux ; oui, elle a voulu ce crime qu'elle aurait volontiers commis de sa main, elle y a assisté, elle a donné à voir au roi agonisant son plaisir adultère et a tiré de cet ultime outrageun surcroît de vertige. Et c'est en ce point inaugural, alors que tout paraît clair, que le personnage de Barker accède à son énigme propre. Car c'est à l'instant même du meurtre que son cri, mêlé à celui de sa victime, s'élève pour la première fois. Et ce cri, ce signe vide de l'extase ou de l'horreur, va désormais hanter tous ses témoins. Inouï, sans exemple, fascinant, comment le faire à nouveau résonner, comment ne pas tout sacrifier à l'affolante éventualité de son retour ? Exposant son corps pareil à un territoire pulsionnel, provocante et abandonnée, insaisissable, la reine est devenue à la faveur du cri le centre de la pièce autour duquel tout gravite. Tout, y compris elle-même...