mercredi 12 février 2014

Le vaudeville, des origines à Feydeau (Dictionnaire du théâtre)

Le mot vaudeville est ancien mais son acception a sensiblement évolué entre l'époque où le genre était tiré plutôt vers la chanson, et aujourd’hui où l’on a tendance à en faire un des cantons du théâtre de Boulevard. Le plus intéressant est la mécanique dramaturgique et stylistique qu'il met en branle, marquée au sceau de la folie, du côté des situations comme des personnages.

Historique

A l’origine, chanson bachique et satirique originaire du "Val" ou du "Vau-de-Vire" et dont la tradition attribue la création, vers 1430, à Olivier Basselin. Le terme vaudeville, dont l'étymologie demeure contestée (il aurait pu aussi subir l’attraction paronymique de "voix-de-villes", recueils de chansons populaires), désigne tour à tour des chansons gaies, grivoises et caustiques, puis les couplets chantés sur des airs connus introduits dans une comédie légère, enfin la comédie elle-même. Aujourd’hui, il désigne une comédie d’intrigue sans couplets, riche de complications (généralement amoureuses) nées de rencontres fortuites et de quiproquos.

Dès la fin du XVIIème siècle, par le biais des théâtres de la Foire, des airs (timbres) connus de tous (seules les paroles changent) s’insèrent dans des trames théâtrales. Avec Lesage, Fuzelier, D’Orneval, naît ainsi l’opéra-comique première manière. L’ariette (air nouveau) prend plus tard le pas sur le vaudeville, et l’opéra-comique se distingue nettement de la "comédie à vaudevilles" qui, après une certaine éclipse, renaîtra sous la Révolution avec la création du théâtre du Vaudeville (1792).

Le terme désigne alors un nouveau genre théâtral qui crée des types (Mme Angot, M. Dumollet) et qui, grâce à des auteurs inventifs (Piis et Barré, Radet et Desfontaines, Désaugiers), connaît d'extraordinaires succès qui se prolongent sous l'Empire et la Restauration.

Toutefois, dans la plupart de ces innombrables pièces, qu'elles tirent vers la "folie", l'anecdote ou la farce grivoise, l'argument était mince et ne reposait souvent que sur quelques calembours et le talent de l'acteur. Le mérite de Scribe, qui dominele genre de 1815 à 1850, est de donner au vaudeville une charpente fortement construite où imprévus et quiproquos s'insèrent dans un jeu subtil de préparations et où le suspens ménagé n'exclut ni sentiment, ni psychologie, ni critique sociale. Cette évolution conduit vers 1860 à la disparition des couplets chantés. Le vaudeville accentue encore la rigueur de sa construction sous l'impulsion de Labiche qui, à partir d'Un chapeau de paille d'Italie(1851), donne plus de tempo au mouvement, hypertrophie les procédés comiques, en particulier les répétitions, les méprises, et la logique des situations où sont jetés des personnages tétanisés.

Cet héritage sera repris par A. Hennequin (1842 - 1887) et surtout par Feydeau qui construisit des pièces le plus souvent en trois actes où l'intriguetrès complexe et méticuleusement agencée, après un quiproquo ou une rencontre inattendue, lance les personnages dans un monde où, avec frénésie, s'enchaînent des péripéties saugrenues et où règne la logique loufoque de l'absurde.

Esthétique

L’évolution de l’art du vaudeville permet de déceler le développement d’une mécanique d’écriture originale, faite de dialogues et de chansons imbriqués au gré des fantaisies de l’auteur et du trajet bousculé des personnages.

Montées une à une, les répliques se suffisent à elles-mêmes, sans silence, sans intervalle, sans psychologie immédiate. Chaque réplique est un accident imprévu, et pas seulement un moment, dans le parcours du personnage. Ignorant ce qu’il fera après la réplique, il ne sait pas ce qu'il faisait avant qu'elle ne lui échappe. Sans passé, innocent de ce qu’il enclenche, en réaction, chez les autres, le personnage est pleinement en acte ce que la réplique contient en puissance : un cri, un mot d’esprit, une exclamation, une injure, une douleur, un éclat de rire. Sans autre projet.

Le vaudeville présente la conception de rencontres inattendues et détonantes, de rapprochements de situations incompatibles, d’affrontements de personnages, enchaînés aux répliques, qui, l’instant précédent, ne se connaissaient pas. De ces coïncidences apparemment fortuites, néanmoins habilement agencées par l'auteur, naissent des entrées et sorties foudroyantes, des dérèglements du comportement, des poursuites minées d’embûches et de chausse-trapes dans lesquelles s’engouffre le personnage qui a oublié le but de sa précipitation excitée. Epuisé, exténué, meurtri, il endure l’accumulation d’aventures et de coups qu'il ne maîtrise pas.

A cette souffrance physique s'ajoute l’objet créateur de situation. La transmission d'un vêtement, la perte de billets de banque, la recherche d'un chapeau de paille disparu, l’oubli d’une jarretière ou d’une livrée concourent à la fabrication du rythme infernal du vaudeville.

Heureusement le fol aboutement des situations est ponctué de havres de bonheur. La musique, les chansons fondent l’humeur joyeuse qui doit dominer au spectacle vaudeville. Ironiques, sarcastiques, fortement rythmées et scandées, les chansons, aux sonorités répétées, redoublées, permettent au public le plus large de participer aux heurs et malheurs des personnages. Ainsi le cours effréné des scènes, les chocs entre les situations sont atténués par plaisir vocal comme s’il s’agissait de se donner du cœur à la poursuite du spectacle, immergé dans le flot de plaisirs sonores.

Si l’auteur de vaudevilles ne parvenait pas à créer de surprenants et heureux dénouements, la pièce s’accomplirait, en fin finale, dans un carnage féroce, un cauchemar au réveil brutal. La chanson populaire et maligne du XVème siècle, l'alternance de textes satiriques parlés et chantés des XVIIème et XVIIIème siècles, les histoires de fous constituées de quiproquos et d'intrigues à rebondissements du milieu du XIXème siècle, ces étapes dans l’histoire du vaudeville se sont transformées en trajets rapides et pénibles du personnage dont on moque l’absence de conscience. A l'origine, simple divertissement d'oùle sérieux est exclu, le vaudeville aboutit, à la fin du XIXème siècle et au XXème siècle, à la risible confrontation de personnages prisonniers d'objets, qui confondent les mensonges répétés de ces pantins articulés, victimes de répliques agressives surgies de l’inconscient.


in "Dictionnaire encyclopédique du théâtre",

Michel Corvin
Editions Borda