Pièce où l’on s’entretient beaucoup, où l’on débat de grandes questions
(la politique, la société, la guerre, la morale, etc.), “Mère Courage” est l’une des plus grandes oeuvres du XXe siècle à
cause de son message universel.
Mais Brecht se méfiait de la tendance des Allemands à noyer tout
événement dans la métaphysique, à considérer comme destin fatal des calamités
qui sont en fait inévitables et explicables parce qu'issues d’un système
social.
Par son «théâtre épique», qui
se donnait un rôle didactique, une tâche profondément politique, il voulait
montrer que toute situation est transformable, qu’on peut intervenir dans le
fonctionnement des rapports sociaux, qu’il faut clairement les montrer sur
scène afin que les spectateurs s’aident eux-mêmes et se préparent à la prise en
charge, critique et créatrice, de leur société. «C’est pourquoi le drame épique paraîtra inintéressant, froid, à tous
ceux qui n’ont pas l’habitude d’envisager les situations comme des questions
(ou les redoutent)» (“Écrits sur le
théâtre”)
On peut voir d’abord, dans l’histoire de Mère Courage, une évocation de la
condition de la femme. On a pu dire que la pièce montre «l'émouvante endurance de l’animal féminin».
Et Mère Courage, qui est mère monoparentale et femme d’affaires, est bien
l’image de certaines femmes du monde contemporain.
Pourtant, cette femme est mauvaise et déterminer en quoi elle l'est peut
faire découvrir le message de Brecht qui est vraiment universel. Elle est
habitée par le Mal, nous rappelle nos propres inconsciences, nos propres
complicités avec un monde de destruction. Et, si nous reconnaissons Ie Mal qui
habite cette femme, quand arrêterons-nous de lui ressembler?
D’abord, il faut dire qu’elle vit en temps de guerre, participe à la
guerre, collabore avec elle. Voilà un premier niveau du Mal. La pièce est une
dénonciation de la guerre avec laquelle Mère Courage croit pouvoir trouver un
accommodement, dont elle croit pouvoir tirer profit, à l’image du peuple
allemand. Brecht condamne la guerre qui est le symbole d'un mal plus vaste. Il
visait un certain public à une époque donnée, écrivait en un temps où le rythme
de l’Histoire s’était accéléré chaotiquement, suivant ou précédant l’évolution
des mentalités. Comme il était allemand, qu'il avait été brancardier à la fin
de la Première Guerre
mondiale, qu’il voyait venir la
Seconde, il n’eut de cesse de mettre en garde ses
compatriotes contre Ies dangers du nationalisme et du bellicisme germaniques
qui se sont manifestés non seulement pendant la guerre de Trente Ans mais
surtout pendant celles de 1870, de 1914-1918, de 1939-1945, qui ont été des
guerres d’agression déclenchées par les Allemands contre leurs voisins. Le
nationalisme et le bellicisme sont justement liés quand le patriotisme (qui est
en soi tout à fait justifié) se fait agressif, devient dominateur,
impérialiste. Cela a été le cas pour le national-socialisme hitlérien qui est
apparu à Brecht comme l’exemple type d’une utilisation idéologique d'une
situation socio-économique conflictuelle née de la défaite de 1918, du Traité
de Versailles qui fut perçu par les Allemands comme un diktat, exploite la
psychose collective de «la pureté de la race», toute fabriquée et entretenue à
dessein de reporter sur les prétendus «impurs» toute la responsabilité d'un
désordre (le chômage par exemple) certes bien réel mais qui avait bien d'autres
causes. Bouleversé par l’aveuglement du peuple allemand, et même de son
prolétariat qui avait succombé à l'attrait des avantages immédiats de la
prospérité retrouvée, sans s’apercevoir que l'économie nazie fonctionnait au
réarmement et que celui-ci n'allait pas tarder à servir. Brecht fait de Mère
Courage, en 1939, le symbole du peuple allemand qui croyait tirer profit au
maximum de la guerre. Et la pièce, «grande
stigmatisation de la guerre», annonçait bien des situations qu’elle allait
produire.
La guerre cause la mort
d'innocents, la destruction les familles, la famine, la maladie, etc.. Elle
exalte la violence, la sauvagerie, l’inhumanité, etc. Il est facile de prononcer
toutes les condamnations conventionnelles de la guerre au nom des bons
sentiments. Il faudrait cependant distinguer la guerre d’agression qui est
condamnable et la guerre qui est justifiable, qui est nécessaire : la guerre de
résistance contre l’oppression, contre l'occupation, contre l’impérialisme, la
guerre de libération.
La guerre provoque les déplacements de population, dont les
pérégrinations de Mère Courage sont l’image, l'exil dont Brecht lui-même a été
victime. La charrette bâchée de Mère Courage où elle vit et dort, transportant
ses biens et sa famille, est plus sans doute qu'une simple carriole de
cantinière, c'est le symbole même de l’exil. Le lendemain même de l'incendie du
Reichstag en 1933, Brecht avait fui à Vienne car son nom était en tête de la
liste des personnalités que Ies nazis se proposaient de liquider. Il était
passé ensuite en France puis avait émigré au Danemark, où la barbarie
hitlérienne allait le rejoindre. Il se réfugia alors en Finlande.. Il aurait pu
alors se rendre en U.R.S.S., mais il s’en méfiait et s’installa plutôt aux
États-Unis en 1941. “Mère Courage”
qu’il avait écrite en 1979, allait. être jouée cette année-là, à Zurich, sans
qu’il puisse y assister. À Hollywood, il fut interrogé pour ses idées
communistes par la commission des activités antiaméricaines. En 1948, il revint
donc en Europe, d'abord en Suisse puis en R.D.A., à Berlin-Est, où il put enfin
travailler concrètement, pratiquer son art.
La guerre provoque aussi une inversion des valeurs qui a pour résultat
qu’on ne sait plus distinguer le bien et le mal. Les méfaits commis par Eilif,
qui lui sont reprochés pendant une trève,
sont approuvés en temps de guerre. Les vertus ont un caractère dangereux
en temps de guerre. Le chant de Salomon montre que les vertus ne servent à rien
en ce monde, qu’elles ne donnent aucune récompense à ceux qui les pratiquent et
sont même un signe de stupidité. À première vue, le chant est destiné à
provoquer la compassion des habitants du presbytère. Mais son contenu entre en
conflit avec l’action telle qu’elle
s’est déroulée devant le spectateur car le cuisinier n’est pas un modèle de
vertu et, s’il est réduit à la mendicité, la cause en est la guerre et son peu
de moyens pour y faire son chemin. On pense, en l’écoutant, à Eilif, à
Petitsuisse : l’un pratiquait la vertu de courage, l’autre celle d’honnêteté ;
or ils sont morts tous les deux parce qu’ils ne disposaient pas de la position
de force nécessaire en ce monde pour être à l’abri de tous les accidents. «La vertu ne paie pas, c’est la méchanceté
qui rapporte.. Ainsi va le monde, et il ne va pas bien».
La guerre met au pouvoir des dictateurs. Elle favorise l’égoïsme et
l’individualisme.
“Mère Courage” met en garde
contre la perversion de l’amour que montre le chant de la Fraternisation. Il
est, à première vue, la poursuite du récit que fait Yvette de sa déchéance,
mais il ne prend sa vraie signification que par référence au problème de
l’amour dans toute la pièce. Ce n’est pas la trahison d’un homme qui a provoqué
la déchéance d’Yvette mais la guerre. Puisqu’en effet, dans la guerre, seuls
comptent les rapports de force, il faut essayer de ne pas se trouver
désavantagé. Sur le plan amoureux, le meilleur moyen de ne pas entrer en
conflit avec la force, c’est d’aimer du côté des protestants comme du côté des
catholiques : si je ne peux aimer qui je
veux, je dois aimer ce que je peux. La prostitution, à son tour, peut devenir
un moyen d’acquérir la force : tel est le sens de la transformation d’Yvette en
colonelle Sarhemberg.
Mère Courage est donc sciemment immorale et c’est là un second niveau du
Mal qui l’habite. Pour elle, qui prétend vivre de la guerre, c’est la paix qui
apparaît néfaste.
L’inversion des valeurs est encore plus scandaleuse dans le cas d’une
guerre de religion car c’est au nom des
vertus mêmes que ces chrétiens que sont les protestants et les catholiques se
battent en employant des moyens que la religion condamne et qu’il y a collusion
du pouvoir politique et du pouvoir religieux.
«À la guerre, les vertus sont
converties en crimes, la religion et l’honneur y servent d’attape-nigauds pour
camoufler les vraies fins de la guerre : le maintien forcené de l’exploitation
des peuples par les seigneurs et l’Église.» Car la guerre est faite par les
grands sur le dos des petites gens, de ceux «d’en-bas», qui peuvent croire,
s’ils sont des Mères Courage, que la guerre peut être l’occasion d’un enrichissement. En fait, il y a
appauvrissement de certains au profit d’autres : Mère Courage exploite les
soldats mais Yvette essaie de lui acheter sa roulotte quand elle est en
difficulté ; le capitaine d’Eilif se goberge et le commandant ne paie pas la
solde. Le problème de Mère Courage et des petits en général, c’est qu’ils ne
savent pas que leur véritable ennemi est la guerre elle-même, et que c’est elle
qu’il faut supprimer.
Brecht s’est toujours opposé à la guerre d’agression, a toujours défendu
une position pacifiste envers et contre tous les faucons de droite comme de
gauche (on le jugeait dangereux parce qu’il répandait des «idées défaitistes»).. Sa pièce a profondément marqué l’Europe
libérée du nazisme. Et sa dénonciation est toujours pertinente : la guerre tue
toujours, beaucoup de gens en vivent (en particulier ceux qui travaillent dans
les industries d’armement) et nous assistons même à une banalisation de la
violence. Mais Brecht va plus loin, et, en constatant que la guerre est faite
sur le dos des petites gens, il demande à qui elle profite.
L’exploitation du peuple, qui a lieu en tout temps, est dénoncée. Mère
Courage est une image du peuple tout entier car, esclave de son gagne-pain, de
ses devoirs, obstiné à croire au miracle, à espérer la chance envers et contre
tout, obstiné à survivre avec la résignation du vaincu, soutenant les chocs et
se relevant, il est sans défense devant la cruauté, la violence de l’époque, il
est à la merci des événements, de la volonté des puissants, des riches, de ceux
qui commandent le monde, il est victime d’un ordre social mauvais. Tout en
sachant que les victoires comme les défaites sont toujours payées par les
petites gens, la Courage
espère tirer profir de la guerre sans lui payer son tribut.
Or, pour tout bon marxiste, la guerre est une des manifestations du
capitalisme. Elle est abominable, mais elle n’est que l’exacerbation de la situation
générale où règne l’exploitation de l’Homme par l’Homme, des plus faibles par
les plus forts. La guerre est une des façons de continuer de faire des affaires
avec d’autres moyens, et Mère Courage le dit bien : «La guerre, c’est bon pour le commerce ; au lieu de fromage, on vend du
plomb». Elle exploite les soldats qui l’exploitent aussi ; elle exploite
ses enfants. Évidemment, même si, comme l’a remarqué le metteur en scène André
Brassard, «elle gagne sa vie au service
d’une multinationale», elle ne représente que le petit commerce, la petite
entreprise, l’initiative privée, le capitalisme à son niveau le plus
élémentaire mais qui est tout autant animé de la soif du profit : «Dieu merci, on peut les acheter, ce ne sont
pas des loups, ce sont des hommes, ils aiment l’or. La vénalité des hommes,
c’est comme la charité du bon Dieu. C’est
notre seule sauvegarde». Brecht définit le statut social de Mère Courage
comme celui d’une «petite-bourgeoise»
: mal assise entre ceux qui ont tout à gagner et ceux qui n’ont rien à perdre
dans la guerre.
Il a souvent trouvé dans la conception marxiste une explication et un
possible remède aux maux du monde moderne. Du point de vue marxiste, la guerre
n’est ni une fatalité surnaturelle ni une folie attribuable aux seuls
dirigeants : elle est l’expression meurtrière d’intérêts humains
essentiellement économiques, de nature capitaliste, c’est-à-dire l’un des
moyens par lesquels la classe dominante tente de réactiver son profit. Brecht
veut mettre en cause le capitalisme à la fois parce qu’il engendre des guerres
et parce qu’il s’en sert pour masquer la réalité de l’oppression des classes :
«Ce système économique repose sur la
lutte de tous contre tous, les puissants contre les puissants, les puissants
contre les petits, les petits entre eux. Il faudrait donc d’abord reconnaître
le caractère funeste du capitalisme avant de dire que la guerre avec tous les
malheurs qu’elle apporte est détestable et qu’on peut s’en passer.» Le spectacle doit montrer la réalité de la
lutte des classes sous les apparences de la guerre profitable à tous. Brecht
voudrait qu’on se rende compte que les maîtres, les grands, qui donnent
l’impression parfois d’aider les petits, au fond les détruisent et les
entraînent dans une guerre économique, une guerre culturelle, une guerre
intellectuelle, que même la paix est une forme de guerre. La pièce est utile
pour tous ceux qui subissent ou risquent de subir un jour la guerre,
c’est-à-dire pour nous tous. Les autres, ceux qui, au lieu de la subir, en profitent,
ne la comprendront pas et la trouveront étrange.
Maintenant que le marxisme a, semble-t-il, échoué, la pièce continue à
avoir sa pertinence puisqu’elle dénonce la généralisation du mercantilisme et
de l’exploitation, le règne de l’argent et de l’individualisme auxquels nous
assistons en nous résignant devant l’esprit de guerre et de concurrence qui
prévaut dans les rapports humains et que nous jugeons inévitable.
L’insensibilité mercantile de Mère Courage, qui fait son commerce de la misère
humaine, est provoquée par une société qui repose sur «les affaires» faites aux
dépens d’autrui.
La pièce, au fond, dénonce l’ordre du monde car elle pose la question :
«Comment vivre en paix dans un monde en
guerre?», car elle presse l’individu de mettre en perspective ses intérêts
personnels et le sort de l’humanité, l’invite à l’engagement, à ne pas demander
: «Pour qui sonne le glas?»
Pourtant, la solution n’est pas donnée, Brecht laissant le spectateur
sans indications précises. Le sens de la pièce fut d’ailleurs mal compris : «Son public, dont il voulut éveiller les
facultés critiques, n’a souvent été ému jusqu’aux larmes et n’a fait que
renforcer sa foi dans les vertus permanentes d’une nature humaine immuable : il
vit ses traîtres acclamés comme des héros et ses héros pris pour des traîtres».
L’esthétique de la distanciation n’étant guère conciliable avec le réalisme
socialiste, la critique communiste a reproché à Brecht de montrer que «le peuple, qui est victime de la guerre, n’a
que des réactions instinctives et inconscientes, n’agit jamais avec sa raison
pour rendre sa révolte positive» ; d’être «un pessimiste qui ne fait que constater et faire constater les maux de
la guerre». La R.D.A.
lui demanda même de rendre la pièce plus explicite par un petit discours dans
lequel Mère Courage, éveillée par ses malheurs à un discernement définitif des
causes et des conséquences de la guerre, aurait fait, sur scène, son propre
procès et celui de la guerre, aurait
pris publiquement parti contre elle et se serait dégagée de son esclavage,
aurait tiré de ses malheurs une leçon plus positivement communiste.
Il n’en fit rien car il s’est toujours défié des ravages idéologiques
d’un marxisme superficiel, s’est toujours montré critique à l’égard du
dogmatisme, connaissant d’ailleurs de fréquents affrontements avec les
appareils politiques (en Allemagne nazie, aux U.S.A. et en R.D.A.). Aussi
s’est-il toujours refusé aux mots d’ordre quelle qu’en ait été la provenance,
et il n’a jamais fait du marxisme la source unique de sa méditation. Sensible à
la sagesse orientale et réservant finalement son adhésion à aucune orthodoxie,
sa pensée en ce domaine n’est pas dénuée d’ambiguïté. En dépit de l’idée reçue,
son théâtre n’est pas du tout un théâtre de propagande : c’est un instrument forgé
pour la lutte, mais qui jamais n’impose une conviction par la force du slogan.
Il se voulut communiste, mais, au fond, il s’est contenté de dire, comme
Confucius (à qui il est facile de faire dire ce qu’on veut : personne ne va
vérifier !), que «L’être humain ne doit
pas être un outil»., ou comme Kant, que «L’être humain n’est pas un moyen mais une fin».
La dialectique marxiste a fourni une méthode à Brecht : les situations
et les comportements furent présentés sous l’angle de leurs contradictions
internes et dans la perspective de leur dépassement. Mère Courage est
contradictoire puisqu’elle tente, sans succès, de concilier ses intérêts
commerciaux avec son rôle de mère et qu’ainsi elle perd tous ses enfants ;
puisque, tout en maudissant la guerre, elle n’en continue pas moins de la
souhaiter. Elle est une victime inconsciente des rapports de forces, du malheur
qui «en lui-même n’est pas instructif,
qui, à lui seul, est un mauvais maître».
Cette inconscience est le troisième niveau du Mal qui l’habite : «Le tragique de Courage et de sa vie,
profondément perceptible pour le public, consistait en l’épouvantable
contradiction qui ne pouvait être résolue par elle mais seulement par la
société et en de longues et terribles luttes » (Brecht, “Écrits sur le théâtre”). Elle n’a pas
encore de sagesse «politique», elle est réduite à la survie (sauver sa peau est
sa devise) qui est un devoir primordial tant que ne sont pas réunies les
conditions de la révolution. Mère Courage n’est pas Antigone, la révoltée, elle
est même l’anti-Antigone. Pour se révolter, il faut avoir compris qu’on est
victime. Mère Courage, elle, «ne
s’instruit pas plus que le cobaye n’apprend la biologie dans le laboratoire...
Je n’ai pas voulu l’amener à la compréhension. Elle entrevoit bien quelque
chose vers le milieu de la pièce, à la fin du sixième tableau, mais, ensuite,
tout redevient obscur. Ce qui m’importe, c’est que le spectateur, lui,
comprenne.» En effet, l’aveuglement de Mère Courage est un appel à la
lucidité du spectateur. Brecht nous demande moins de participer à ses
souffrances (du reste, elle refuse d’admettre qu’elle souffre : elle est armée
d’un désarmant optimisme) que de les comprendre, d’en distinguer les causes,
d’y déceler sa responsabilité : elle est objectivement coupable de la mort de
ses enfants, de son propre malheur. Elle n’est pas une victime de la fatalité
(ni d’une fatalité métaphysique, de quelque vengeance des dieux, ni d’une
fatalité sociale ou politique, de la guerre considérée comme un cataclysme qui
fondrait sur elle et auquel elle n’aurait pas de part) : elle est responsable
de sa propre fatalité. Les héros de Brecht se meuvent à l’intérieur d’un monde
inexorable, mais ce sont les humains qui l’ont fait trel et il leur appartient
de le briser et de le reconstruire. L’humanité est souffrante par sa faute.
Chacune de ses pièces fait le procès de tel être humain dans une situation
donnée.
Mère Courage ne comprend pas, n’apprend jamais, et, malheureusement,
elle nous représente tous parce que nous sommes justement tous, avec nos
grandeurs et nos faiblesses, d’une façon ou d’une autre, inconscients de nos
complicités avec le monde d’horreurs, de guerres et de famines, un peu trop
complices du Mal où nous ne trouvons souvent qu’un surcroît de désespoir.
À nous de tirer les conséquences des contradictions de Mère Courage et
de convertir cette fatalité en expérience. À nous d’en tirer la leçon, de
comprendre et d’apprendre. Mais il ne s’agit pas d’attendre des mots d’ordre :
il faut faire agir notre liberté, inventer une solution collective à la fable
représentée qui n’est pas une invitation à désespérer car, de toute façon, «Nommer le désespoir, c’est déjà le dépasser»
(Camus).