mardi 22 avril 2014

Hamlet Marcowitz 31



Hamlet, 31.
Et Ophélie ?....« en doutez-vous ? »
Oui, Ophélie… je vous bassine depuis trente chroniques, sur Hamlet, sur le père, sur Horatio, sur l’air, et l’aire, et tout et tout, et, tout en ayant fini l’acte I, j’ai très intentionnellement sauté la scène 3, celle de Laërte et Ophélie, et de Polonius. Que cette chronique-ci soit comme une espèce de préface à notre deuxième souffle, — juste pour commencer.
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Et d’abord, ce nom, Ophelia. — Je ne sais pas d’où il vient. Peut-être qu’il y a des études sur ça, sans doute qu’il y en a : mais, par exemple, je ne trouve rien dans mon édition Arden, et, dans les sources d’ « Hamlet », comme le Saxo Grammaticus, et Belleforest, et toutes les autres, je n’ai pas l’imrpession qu’elle existe.
Et puis, j’ai juste envie, pour le moment, de laisser résonner le nom : O –fi - lia, en anglais. Comme si j’entendais un vocatif latin, « O filia »… Et je ne peux pas m’empêcher de sourire : l’acteur qui jouait Polonius, qui jouait-il, six mois auparavant ? Jules César. Et qui jouait Brutus ? — Burbage, l’acteur qui joue Hamlet. « Tu quoque, fili », dit Polonius à Hamlet, je veux dire César à son fils… et, sans doute, le jeune garçon qui jouait Ophélie, il devait être là aussi, pour jouer je ne sais quoi… C'est comme, une fois encore, une blague entre acteurs, comme entre grands enfants. Et sans doute que, dans le public, il y avait des gens qui comprenaient, et souriaient aussi — parce que, s'ils comprenaient, ils entraient dans le cercle des amis, ou, du moins, dans le cercle des élus…
Mais, sérieusement, on entend bien d’autres choses dans le nom d'Ophelie : elle est la « fair Ophelia », — la blonde Ophelie, et pas que « blonde », puisque « fair » veut aussi dire « belle» et « juste ». Fr, fl – le r, et le l, c’est la même chose, on sait bien. Et si je mets les deux ensemble, en anglais, ça me donne « frail » — « frailty, thy name is woman » — fragilité, ton nom est femme. Comme si Ophélie, portait, de par la sonorité même de son nom, le nom de la féminité, et sa faiblesse. Et je ne peux pas ne pas penser à « folly », à la folie… Comme si, elle aussi, par nature, elle était ce qu’elle était. Et, Ophélie, me semble-t-il, c’est d’abord ça : le nom inévitable. Le nom, comme malédiction, et le nom comme beauté. Les deux ensemble. — Par un hasard heureux, en français, je pourrai jouer sur le "fl", sur, oui, le souffle de ces consonnes… , pour peu que j'y fasse attention. Nous verrons bien.
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Et les premières paroles d'Ophélie dans la pièce ?
« Do you doubt that ? » — « En doutez-vous ? »
Elle répond à Laërte, qui lui demande de lui écrire dès qu’elle pourra, et sa réponse, bien sûr, elle est sur ça, mais on pense évidemment au poème qu’Hamlet lui avait envoyé :
« Doubt thou the stars are fire,
Doubt that the sun doth move,
Doubt truth to be a liar,
But never doubt I love… »

Je traduis :
« Doute du feu de l’étoile brillante,
Du mouvement de l’étoile du jour,
Doute que le mensonge mente
Mais ne doute jamais de mon amour ».
Hum… Je cite ma traduction, et, quand je la regarde, encore une fois, je me couvre de cendres. Mais, pour l’instant, l’idée n’est pas de la changer : pour l’instant, je n’entends que le doute, lié à Ophélie.
Non, Laerte ne doit pas douter qu’elle aime son frère,— mais ce qu’elle lui demande, à lui, après son long sermon, c’est d’être lui-même ce qu’il paraît être, ou ce qu’il dit.
« … good my brother,
Do not as some ungracious pastors do,
Show me the steep and horny way to heaven,
Whiles like a puff’d and reckless libertine
Himself the primrose path of dalliance treads
And recks not his own rede… »

« Mais vous, mon frère,
N’imitez pas ce pasteur sacrilège
Qui, libertin lui-même sans vergogne,
Montrant les ronces du chemins des cieux,
Suit le sentier des plaisirs et des roses
Et oublie ses discours… »
Pour aujourd’hui, c'est tout. — Les « ronces du chemins des cieux », pour Ophélie, qui doit abandonner Hamlet depuis qu’il a été désigné successeur de Claudius, et que, par conséquent, il porte en lui-même les deux corps du roi. Et être ce qu’on montre.
Mais Ophélie, c'est aussi, — et surtout, j'ai l'impression — l’image du renversement. Nous verrons ça, au fur et à mesure de ces chroniques.