mardi 15 avril 2014

L'enfant chez Pommerat

Joel Pommerat a écrit une pièce intitulée Cet Enfant et qu'il faut connaître en complément de Cendrillon:



 La pièce raconte la difficulté des rapports entre parents et enfants. Ce texte saisissant est composé de plusieurs situations familiales : une jeune femme attend un enfant et jubile à l'idée de ce bonheur, une petite fille joue dans sa chambre et refuse de voir son père, un homme explose au repas familial... On traverse tour à tour l'angoisse, la peur de vivre, le désir de prouver quelque chose, l'appréhension, l'envie d'être, d'exister face au regard de l'autre.
La présence d'un étonnant musicien mi homme mi enfant amène humour et magie dans ces moments délicats où les personnages viennent dire ce qui leur est resté en travers de la gorge. La marionnette est déclinée de multiples façons et permet toutes les projections de vies, des enfants mais aussi des adultes. Mère, père, enfant, tout le monde y passe !

 http://www.la-magouille.com/images/marionnette/cet-enfant/Dossier_Cet_enfant.pdf


Défaites de famille


Qui a jamais cru que l’amour maternel, paternel allait de soi, et l’amour filial de même ? A ceux-là, l’admirable Cet enfant, de Joël Pommerat, retournera les sangs. Dans l’ancestrale et archaïque pénombre des Bouffes du Nord, où l’auteur-metteur en scène et sa troupe sont pour trois ans en résidence, une jeune mère épuisée, déprimée, comme abandonnée sur le plateau nu, écoute la voix off coquettement compatissante de sa maman. « Tu es grise ma fille. Ça me fait tellement de mal de te voir comme ça. » S’ensuit la litanie des avertissements et sous-entendus qui tuent : « Tu crois que tes enfants vont aimer grandir avec cette image de leur mère que tu leur proposes ? Même ton mari ne pourra pas toujours se passer de lumière. Vois le regard qu’il porte autour de lui. Moi, en tout cas, cela me gêne énormément. D’abord parce que c’est ton mari et puis ensuite parce qu’il pourrait être mon fils... » Et la fille de s’excuser – « pardonne-moi maman, j’ai toujours fait mon maximum pourtant » – et la fille d’encaisser, de tomber encore plus bas.
D’autres courtes séquences suivent, aussi terribles. La jeune paumée enceinte qui attend le salut de l’enfant à naître, puis le donne à peine né à des voisins de palier ; l’adolescent qui insulte le père chômeur ; des mères célibataires qui vont reconnaître à la morgue le corps d’un gamin fugueur, leur fils peut-être ; une petite fille de parents divorcés qui ne veut plus voir son père ; une mère dépressive qui supplie son petit garçon de ne pas aller à l’école pour rester avec elle ; une autre qui s’excuse des années après d’avoir été trop dure...
Pour trouver des mots qui cognent et ébranlent si violemment le spectateur, Joël Pommerat a recomposé les paroles recueillies auprès des habitants d’une cité, à Hérouville-Saint-Clair. La commande lui venait de la Caisse d’allocations familiales du Calvados. Et, magistralement, l’homme de théâtre plasticien, bien plus esthète que travailleur social, a fait de ces témoignages œuvre d’art. Parce qu’il ne cherche jamais ni plat réalisme, ni convenue vraisemblance – les enfants sont par exemple joués ici par des adultes, sans que cela trouble le spectateur –, parce qu’il donne juste à entendre la matière sonore brute des mots – encore relevée par les compositions jazzy de six musiciens live en fond de scène –, Joël Pommerat invente un théâtre-vérité complètement onirique.
Sur la scène toute en clairs-obscurs que n’aurait pas reniés Rembrandt, des comédiens opaques, terriens, paysans, empoignent les phrases et leur font cracher tout leur jus. Splendide et modeste travail d’interprètes-artisans que ce corps-à-corps radical avec la langue, qui en clarifie jusqu’aux barbaries secrètes, jusqu’aux silences. Ainsi Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Ruth Olaïzola, Jean-Claude Perrin et Marie Piemontese ne nous taisent plus rien de la cruauté et de l’infinie perversité de tout lien familial. Que les mères et les pères désirent mystérieusement la mort des fils et des filles et réciproquement devient même soudain tragiquement lumineux, sous ces éclairages quasi psychanalytiques, devant ce mur de lumières incandescent derrière lequel s’agitent brièvement quelques mages musiciens...
De spectacle en spectacle, Joël Pommerat et sa bande excellent depuis dix ans à peindre et repeindre des gouffres familiaux réinventés par eux. Ils parviennent aujourd’hui à transfigurer jusqu’aux douleurs de la famille ordinaire.

4* Cet enfant, de Joël Pommerat, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 14 avril, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 18e. Tél. : 01-46-07-34-50. Et le 3 mai à Lons-le-Saunier, Scène du Jura. Tél. : 03-84-86-03-03.
Fabienne Pascaud
Télérama n° 2986 - 7 Avril 2007

 http://cet-enfant.over-blog.com/10-index.html

la relation parents-enfants:http://lettres.lecolededesign.com/2008/04/10/cet-enfant/

 http://passerelles-theatre.fr/site/2013/06/cet-enfant-de-joel-pommerat/