La pièce raconte la difficulté des rapports entre parents
et enfants. Ce texte saisissant est composé de plusieurs situations familiales
: une jeune femme attend un enfant et jubile à l'idée de ce bonheur, une petite
fille joue dans sa chambre et refuse de voir son père, un homme explose au
repas familial... On traverse tour à tour l'angoisse, la peur de vivre, le
désir de prouver quelque chose, l'appréhension, l'envie d'être, d'exister face
au regard de l'autre.
La présence d'un étonnant musicien mi homme mi
enfant amène humour et magie dans ces moments délicats où les personnages
viennent dire ce qui leur est resté en travers de la gorge. La marionnette est
déclinée de multiples façons et permet toutes les projections de vies, des
enfants mais aussi des adultes. Mère, père, enfant, tout le monde y passe !
http://www.la-magouille.com/images/marionnette/cet-enfant/Dossier_Cet_enfant.pdf
Défaites de famille
Qui a jamais cru que l’amour maternel, paternel allait de soi, et
l’amour filial de même ? A ceux-là, l’admirable Cet enfant, de Joël
Pommerat, retournera les sangs. Dans l’ancestrale et archaïque pénombre
des Bouffes du Nord, où l’auteur-metteur en scène et sa troupe sont pour
trois ans en résidence, une jeune mère épuisée, déprimée, comme
abandonnée sur le plateau nu, écoute la voix off coquettement
compatissante de sa maman. « Tu es grise ma fille. Ça me fait tellement
de mal de te voir comme ça. » S’ensuit la litanie des avertissements et
sous-entendus qui tuent : « Tu crois que tes enfants vont aimer grandir
avec cette image de leur mère que tu leur proposes ? Même ton mari ne
pourra pas toujours se passer de lumière. Vois le regard qu’il porte
autour de lui. Moi, en tout cas, cela me gêne énormément. D’abord parce
que c’est ton mari et puis ensuite parce qu’il pourrait être mon fils...
» Et la fille de s’excuser – « pardonne-moi maman, j’ai toujours fait
mon maximum pourtant » – et la fille d’encaisser, de tomber encore plus
bas.
D’autres courtes séquences suivent, aussi terribles. La jeune paumée enceinte qui attend le salut de l’enfant à naître, puis le donne à peine né à des voisins de palier ; l’adolescent qui insulte le père chômeur ; des mères célibataires qui vont reconnaître à la morgue le corps d’un gamin fugueur, leur fils peut-être ; une petite fille de parents divorcés qui ne veut plus voir son père ; une mère dépressive qui supplie son petit garçon de ne pas aller à l’école pour rester avec elle ; une autre qui s’excuse des années après d’avoir été trop dure...
Pour trouver des mots qui cognent et ébranlent si violemment le spectateur, Joël Pommerat a recomposé les paroles recueillies auprès des habitants d’une cité, à Hérouville-Saint-Clair. La commande lui venait de la Caisse d’allocations familiales du Calvados. Et, magistralement, l’homme de théâtre plasticien, bien plus esthète que travailleur social, a fait de ces témoignages œuvre d’art. Parce qu’il ne cherche jamais ni plat réalisme, ni convenue vraisemblance – les enfants sont par exemple joués ici par des adultes, sans que cela trouble le spectateur –, parce qu’il donne juste à entendre la matière sonore brute des mots – encore relevée par les compositions jazzy de six musiciens live en fond de scène –, Joël Pommerat invente un théâtre-vérité complètement onirique.
Sur la scène toute en clairs-obscurs que n’aurait pas reniés Rembrandt, des comédiens opaques, terriens, paysans, empoignent les phrases et leur font cracher tout leur jus. Splendide et modeste travail d’interprètes-artisans que ce corps-à-corps radical avec la langue, qui en clarifie jusqu’aux barbaries secrètes, jusqu’aux silences. Ainsi Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Ruth Olaïzola, Jean-Claude Perrin et Marie Piemontese ne nous taisent plus rien de la cruauté et de l’infinie perversité de tout lien familial. Que les mères et les pères désirent mystérieusement la mort des fils et des filles et réciproquement devient même soudain tragiquement lumineux, sous ces éclairages quasi psychanalytiques, devant ce mur de lumières incandescent derrière lequel s’agitent brièvement quelques mages musiciens...
De spectacle en spectacle, Joël Pommerat et sa bande excellent depuis dix ans à peindre et repeindre des gouffres familiaux réinventés par eux. Ils parviennent aujourd’hui à transfigurer jusqu’aux douleurs de la famille ordinaire.
4* Cet enfant, de Joël Pommerat, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 14 avril, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 18e. Tél. : 01-46-07-34-50. Et le 3 mai à Lons-le-Saunier, Scène du Jura. Tél. : 03-84-86-03-03.
D’autres courtes séquences suivent, aussi terribles. La jeune paumée enceinte qui attend le salut de l’enfant à naître, puis le donne à peine né à des voisins de palier ; l’adolescent qui insulte le père chômeur ; des mères célibataires qui vont reconnaître à la morgue le corps d’un gamin fugueur, leur fils peut-être ; une petite fille de parents divorcés qui ne veut plus voir son père ; une mère dépressive qui supplie son petit garçon de ne pas aller à l’école pour rester avec elle ; une autre qui s’excuse des années après d’avoir été trop dure...
Pour trouver des mots qui cognent et ébranlent si violemment le spectateur, Joël Pommerat a recomposé les paroles recueillies auprès des habitants d’une cité, à Hérouville-Saint-Clair. La commande lui venait de la Caisse d’allocations familiales du Calvados. Et, magistralement, l’homme de théâtre plasticien, bien plus esthète que travailleur social, a fait de ces témoignages œuvre d’art. Parce qu’il ne cherche jamais ni plat réalisme, ni convenue vraisemblance – les enfants sont par exemple joués ici par des adultes, sans que cela trouble le spectateur –, parce qu’il donne juste à entendre la matière sonore brute des mots – encore relevée par les compositions jazzy de six musiciens live en fond de scène –, Joël Pommerat invente un théâtre-vérité complètement onirique.
Sur la scène toute en clairs-obscurs que n’aurait pas reniés Rembrandt, des comédiens opaques, terriens, paysans, empoignent les phrases et leur font cracher tout leur jus. Splendide et modeste travail d’interprètes-artisans que ce corps-à-corps radical avec la langue, qui en clarifie jusqu’aux barbaries secrètes, jusqu’aux silences. Ainsi Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Ruth Olaïzola, Jean-Claude Perrin et Marie Piemontese ne nous taisent plus rien de la cruauté et de l’infinie perversité de tout lien familial. Que les mères et les pères désirent mystérieusement la mort des fils et des filles et réciproquement devient même soudain tragiquement lumineux, sous ces éclairages quasi psychanalytiques, devant ce mur de lumières incandescent derrière lequel s’agitent brièvement quelques mages musiciens...
De spectacle en spectacle, Joël Pommerat et sa bande excellent depuis dix ans à peindre et repeindre des gouffres familiaux réinventés par eux. Ils parviennent aujourd’hui à transfigurer jusqu’aux douleurs de la famille ordinaire.
4* Cet enfant, de Joël Pommerat, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 14 avril, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 18e. Tél. : 01-46-07-34-50. Et le 3 mai à Lons-le-Saunier, Scène du Jura. Tél. : 03-84-86-03-03.
Fabienne Pascaud
Télérama n° 2986 - 7 Avril 2007
http://cet-enfant.over-blog.com/10-index.html
la relation parents-enfants:http://lettres.lecolededesign.com/2008/04/10/cet-enfant/
http://passerelles-theatre.fr/site/2013/06/cet-enfant-de-joel-pommerat/
http://cet-enfant.over-blog.com/10-index.html
la relation parents-enfants:http://lettres.lecolededesign.com/2008/04/10/cet-enfant/
http://passerelles-theatre.fr/site/2013/06/cet-enfant-de-joel-pommerat/