mardi 13 mai 2014

Blush de Wim Vandekeybus

Dossier Blush

 

sur le site d'Ultima Vez

film sur youtube

Fiction réalisée et chorégraphiée par Wim Vandekeybus, inspirée du spectacle éponyme de 2002. Porté par la musique de David Eugene Edwards / Woven Hand, Blush est un voyage fulgurant, oscillant entre les décors paradisiaques corses et les bas-fonds bruxellois.
Blush est une exploration de l’inconscient sauvage, des forêts mythiques, des impulsions contradictoires, de l’imaginaire, où le corps a ses raisons que la raison ignore.

Entretien avec Wim Vandekeybus, réalisateur de 'Blush'

Quelle est l’histoire du film ?
C’est une histoire d’amour, proche du mythe d’Orphée et d’Eurydice, mais retravaillée avec mes propres métaphores cinématographiques. Par exemple, dans la scène de funérailles, les danseurs marchent sur les mains et les pieds d’autres qui sont au sol. Dans un film, on assisterait plutôt à un enterrement. J’ai essayé de donner une image différente de la douleur, loin des clichés.

Pourquoi faites-vous du cinéma, à quel désir cela répond – il ?
Je suis avant tout un conteur d’histoires. D’une certaine manière, le médium utilisé importe peu. Je recherche toujours la forme qui figure le mieux ce que je souhaite exprimer. Le cinéma est un moyen d’expression qui m’est très familier. Je dois même confesser que j’ai fait beaucoup de films dans mes spectacles parce que je n’arrivais pas à trouver de l’argent pour faire uniquement des films. Je prenais l’argent alloué à la scénographie pour financer le film. En réalité, j’ai commencé par la photographie et le cinéma. J’ai réalisé de nombreux courts métrages, j’ai tourné plus de mille bobines en Super 8. J’ai d’abord étudié la psychologie à l’université puis, j’ai passé une audition pour Jan Fabre. Deux plus tard, je me suis mis à faire des spectacles de danse. J’ai commencé mon travail chorégraphique par une approche très visuelle, avec l’idée de spectacles qui ne correspondraient pas à une règle de jeu instituée, tout simplement parce que je n’avais aucune base chorégraphique.

Comment s’inscrit Blush (2005) dans votre filmographie ?
Il s’oriente plus que mes films précédents vers la fiction, tout en restant un film de danse. Ce n’est pas la version filmée du spectacle Blush, bien qu’il s’en inspire, mais ce n’est pas totalement une fiction non plus. C’est un film de danse qui inclue des éléments qui conduisent vers la fiction, en particulier grâce à son atmosphère générale. Pour moi, ce film est un pas en avant vers la fiction. J’ai voulu filmer en super 16, pas en vidéo, et c’est moi qui filme.

Comment se fait ce «pas vers la fiction», de la scène à l’écran ?
Les règles du jeu sont très différentes entre spectacle vivant et cinéma. Sur scène, par exemple, il y a 10 personnages avec le même degré de présence, ce qui est très difficile à réaliser dans un film. Dans le film, j’ai recentré l’action autour d’une figure principale. Ina est le fil rouge du film. J’ai également renforcé sa relation avec Joseph. Dans le spectacle, tout en étant connectée avec lui, elle l’était tout autant avec les 4 autres hommes. Le spectacle était une histoire d’amour entre 2 personnes, jouée par 10 personnes, 5 femmes et 5 hommes qui figuraient les caractères différents de la même personne, et passaient par tous les états amoureux : énergie, douleur, jalousie... Dans un film, ce n’est pas si facile, j’ai donc plus divisé, plus séquencé l’histoire, et recentré sur un personnage principal. Les autres personnages ne reflètent pas une des facettes de son état mais ils sont d’autres personnes. Comme je viens du spectacle vivant, je n’écris pas les histoires comme un scénariste, mon imaginaire, ma fantaisie sont très différents.

Dans quelles conditions avez-vous tourné Blush (2005) ?
Les conditions de tournage sont très éloignées d’un tournage habituel de fiction. On a filmé en 10 jours seulement : 1 jour sous l’eau avec les dauphins, 7 jours en Corse et 2 jours en Belgique, dans les caves de l’Académie. C’est filmé de manière très intuitive, très vite, avec un programme très chargé où je pouvais faire appel à chaque acteur comme je voulais, à chaque minute, nuit et jour. Disponibilité totale.

Comment avez-vous dirigé les acteurs, que leur avez-vous demandé ?
Il faut préciser que nous avons tourné Blush (2005) après avoir dansé la pièce plus de 100 fois, les interprètes pourraient la danser dans tous les sens. Au début, quand on s’est retrouvés dans la forêt et que je leur ai demandé d’enlever leurs chaussures alors que le sol était recouvert d’épines et de cailloux, ils se sont sentis frustrés parce qu’ils ne pouvaient faire la même chose que sur scène. C’est exactement ce qui m’intéresse. Je mets les acteurs dans des conditions précises pour repousser plus loin encore les limites expressives du corps. Je centre tout sur l’énergie, pas sur les gestes. Ils ont tourné des scènes très difficiles, comme plonger et nager dans l’eau gelée et faire comme s’ils nageaient dans un paradis. Je pense qu’une autre équipe de cinéma aurait trouvé des solutions pour réchauffer l’eau ou d’autres effets mais ici, la solution c’est les acteurs. J’aime qu’on fasse les choses, qu’on filme et qu’on ne puisse pas reculer. Dans le cinéma en général, on fait des choses fantastiques mais c’est truqué, chez moi, le tournage est une aventure. Il ne faut pas avoir peur de faire faire des choses aux gens.


Quelle fonction donnez-vous à la parole ?
Ici, le texte est presque de la poésie, il est au même niveau que les images et que les actions. Nous ne sommes pas dans le quotidien. La forme du texte est aussi étrange que celle de l’image et des mouvements. Blush (2005) est un film poétique, un hymne au corps. Je veux montrer tout ce que le corps peut transmettre, et ce film me permet de multiplier les possibilités d’expression du corps.

La narration de votre film repose sur la relation triangulaire entre la présence humaine, la présence animale et la nature. Que signifie cette triangulation ?
Je trouve que l’homme est un animal avec une passion humaine, une passion dangereuse que l’animal n’a pas. L’homme veut ressentir des émotions, veut les contrôler aussi. Il souffre de cette passion humaine. La nature est tout à fait indifférente vis à vis de cette passion. La nature reprend la vie, créée des catastrophes. L’indifférence crée le drame dans notre vie. Pour moi, l’animal c’est le témoin silencieux de cette relation. Il est à la fois protégé et victime parce qu’il ne parle pas. Mais il accepte sa condition, contrairement à l’homme. On peut le tuer, il ne se révolte pas.
C’est exactement comme dans un western, quelqu’un tue quelqu’un et deux autres regardent. Mais, comme le tueur ne veut pas que les autres parlent, il va les tuer aussi. Pour se protéger, il tue tout le monde, mais le cheval, lui, est toujours là. Il le regarde et le laisse vivre car il ne parlera pas, c’est un témoin silencieux. Cette présence animale est très importante pour contrebalancer la parole de l’homme qui veut tout expliquer, qui veut tout comprendre, et qui va même jusqu’à en payer d’autres pour lui expliquer ses propres émotions.

D’autres projets de film ?
Oui, plus que jamais. Dans le prochain film, pour l’instant intitulé, « Little Bear », il n’y aura pas de danse. C’est un long métrage de fiction. Un montage parallèle de deux histoires. Le scénario est fini, mais je dois le réécrire car il est trop compliqué. Avec ce long métrage, ma vie va changer... je sais que je peux le faire, je peux donner une énergie au cinéma qui, pour le moment, n’est pas là.


Entretien avec Wim Vandekeybus
(extrait du dossier de presse du film)