Dario
Fo dans le théâtre politique
Dans cette troisième et dernière
partie, nous allons nous pencher sur l'auteur Italien Dario Fo et plus
précisément sur son implication dans le théâtre politique. Nous allons
notamment voir comment il introduit des éléments politiques dans son ouvrage "Mistero
buffo".
a. Inspiration du théâtre politique.
Dario
Fo est né le 24 Mars 1926 à Sangiano, en Lombardie, une région Italienne. C'est
un écrivain, metteur en scène, acteur et dramaturge.
Pour
son théâtre, il s'inspire de Molière et d'Angelo Beolco (dramaturge vénitien du
XVIe siècle,dit Ruzzante) qu'il considère comme ses plus grands
maîtres.
Déjà
à 17 ans, Dario Fo veut s'opposer au système en essayant d'éviter d'entrer à l'armée. Pour finir, voyant qu'il
va y être contraint (et de peur de représailles sur sa famille) il décide de
devancer l'appel et s'engage en 1943, comme parachutiste. Cet épisode montre
tout à fait l’esprit de Dario Fo : en opposition avec le pouvoir établi et se
voyant contraint, il cherche une solution non sans humour.
Après
la guerre, il étudie les beaux-arts à Brera près de Milan et sort diplômé en
Architecture en 1950. C'est aussi là-bas qu'il étudie la mise en scène et
découvre la peinture qui le passionne.
Il
commence sa carrière à la télévision et à la radio où il présente des
monologues satiriques qu'il écrit. Ensuit il fait quelques expériences dans le
théâtre et se marie en 1954 avec la
comédienne Franca Rame. Il va à Rome où il participe à la mise en scène de
plusieurs films et fonde une compagnie théâtrale et présente des pièces de
Shakespeare, Molière et des farces traditionnelles.
C'est
en 1959 qu'il devient populaire avec sa pièce "Les archanges ne jouent pas au flipper".
Après 1968, les thèmes sont plus
explicitement politiques et provocateurs. Grande pantomima con bandiere e
pupazzi piccoli e medi ((Grande pantomime avec drapeaux et pantins
petits et moyens) est une des pièces emblématiques de cette période. Il
écrit plusieurs pièces par an et fait face aux pressions extérieures. Pourtant,
un drame advient en 1973. Sa femme est enlevée, violée et torturée par des
militants d’extrême droite. Elle en restera profondément choquée et on peut
imaginer que cette tragédie influença aussi Dario Fo pour son théâtre.... Cela
ne l'empêche pourtant pas d'inaugurer sa propre salle de théâtre en 1974.
Dans les années 2000, il s'oppose
ouvertement à Silvio Berlusconi et en 2001 il va jusqu'à mettre en doute la
thèse du gouvernement américain concernant les attentats du 11 septembre....
Dario Fo s'impose donc comme un
anticonformiste, provocateur et engagé politiquement à l’extrême gauche (ce qui
ne l’empêche pas de s'attirer des problèmes avec le parti communiste italien).
Tout au long de sa carrière, il aura des opposants, comme le Vatican par
exemple, mais surtout beaucoup de spectateurs et de lecteurs partout dans le
monde. En 1997, il reçoit le Prix Nobel de littérature, ce qui ne plaît pas du
tout à la bourgeoisie et à l'élite italienne.
b.
Théâtre politique dans ses œuvres.
Le style de ses pièces perpétue le
style de la commedia dell'arte et de la farce médiévale. L'improvisation, le
déluge verbal, la performance physique et l'enchaînement de gags en sont les
principales caractéristiques. L'utilisation de parlers populaires, d'accents
régionaux et de formules idiomatiques occupe également une place centrale. Le
théâtre de Fo se démarque par une esthétique grotesque, faisant la part belle
au délire, aux allusions scatologiques et aux notations grivoises. À noter
aussi un remarquable sens de l'économie et d'invention dans l'utilisation de
rares accessoires. Souvent chez Fo, qui met en scène ses propres pièces, un
même acteur interprète plusieurs personnages et porte un masque, un
accoutrement ou un maquillage volontairement simple et délibérément trivial et
bouffon. Fo cherche souvent à dépasser le cadre de la représentation scénique
en la parodiant et en la renvoyant à sa nature d'artifice. Le naturalisme est
farouchement rejeté puis le faux et l'invraisemblable sont célébrés. Ainsi, il
n'est pas rare de voir les comédiens s'adresser au public, utiliser la salle
comme extension de la scène, commenter les objets du décor, critiquer
ouvertement la progression dramatique de la pièce et émettre des jugements sur
les contraintes imposées par la préparation d'un rôle. Tout ceci fait du
théâtre de Dario Fo un théâtre populaire et accessible à tous. Sa portée
politique n'en est qu'augmenté. Par conviction « antibourgeoise »,
refusant de poursuivre le rôle de « bouffon de la bourgeoisie », ils
amènent le théâtre dans les usines et les maisons du peuple.
Quant au fond, le comique, la
fantaisie et la satire s'inscrivent dans une perspective éminemment politique,
voire militante : la charge sociale aux accents anticonformistes,
anticapitalistes et anticléricaux est toujours présente, entraînant fréquemment
la censure, qui se révéla particulièrement féroce en 1962 pour une émission
télévisée, Canzonissima, où le couple Fo-Rame est médiatiquement lynché,
car on tolérait encore qu'ils fassent rire de petites salles de théâtre, mais on
s'effrayait du message corrosif qu'ils pourraient faire passer avec les médias.
Franca Rame, la femme de Dario Fo, rapporte qu'il est arrivé durant cette
période que l'évêque de Vincenza demande à la police d'arracher toutes les
affiches de leur spectacle ou que, refusant les coupes imposées dans leur texte
par la censure, ils ont joué malgré tout le texte original en risquant ainsi
l'arrestation immédiate. Le manuscrit des Arcangeli aurait ainsi fait
l'objet de 280 plaintes et demandes de censure, de la part de la police, à
chaque fois que la pièce était jouée.
Inspiré
d'un fait réel, en 1970 "Morte
accidentale di un anarchico" donne avec humour et brio, sa
version abracadabrante du cas de l'anarchiste Giuseppe Pinelli, dont la garde à
vue, à la questure de Milan, s'était soldée par une défenestration mal
expliquée. L'anarchiste serait un de ces personnages de soi-disant
« fous » ou « bouffons », que Dario Fo affectionne et qu'il
utilise fréquemment dans ses pièces pour les effets comiques absurdes qu'il
peut créer avec et pour pouvoir contourner la censure.
Tous cela montre à quel point Dario
Fo était engagé dans son théâtre. Il ne connaît aucune limite, ni le politique,
ni le culturel ni même la religion ne lui font peur. Les "mistero buffo" en sont un bon exemple...
c.
Dans les mystères.
Dario
Fo joue les "mystère bouffe" pour la première fois en 1969. Il les
joue tout seul et interprète donc tous les rôles en même temps. Ces petites
histoires sont inspirées des jongleries populaires du Moyen Âge. Les mystères
commencent souvent par un prologue, qui plante le décor de la scène à venir,
inspiré souvent de peintures murales médiévales et d’événements de la bible et
expose avec parfois beaucoup d’érudition l’origine du Mystère. Les personnages
alors mis en scène sont des bouffons et prennent les caractéristiques d'un
jongleur, d'un fou, d'un ivrogne d'un ange ou encore de la mort elle-même. Les
personnages de l’ancien et du nouveau testament bien connus du public prennent
vie. La foule intervient et commente les actions.
Pour
faire rire le public et se faire comprendre partout, Fo utilise le
« gromelot, » une sorte d'imitation de langage sans signification
véritable mais très humoristique à entendre et très explicite soutenu par une
gestuelle appropriée.
Seul en scène, face à un public
assis par terre en cercle autour de lui, Dario Fo joue l’ensemble des rôles,
intervient sans cesse dans son propre texte pour le commenter et faire
participer le spectateur. Le spectacle change à chaque représentation, comprenant
une grande partie d’improvisation, et le texte publié ne correspond donc que de
manière très trompeuse à ce qui a réellement été représenté.
Le but est donc de proposer un
théâtre populaire, pour le peuple et émanant du peuple et de son histoire :
à maintes reprises, Fo dénonce la déformation de l'histoire populaire par les
élites et les savants, et la constitution d'une histoire officielle qui oublie
les révoltes et les soulèvements populaires, qui passaient aussi par la
dérision et le théâtre. Le propos général tend à exalter la mission de Jésus et
à dénoncer ses détournements par les puissants de l’Église et du monde. Par exemple, il met en scène un pape qui
ne se préoccupe que de futilités et de richesses, des mendiants ayant pour pire
cauchemar la guérison ou encore des miracles avec "accès payant" pour
dénoncer la vénalité des gens qui exploitent la crédulité des autres…
Dans les mystère bouffe, on ressent très fortement l'opposition de Dario Fo
envers l'élite sociale et en particulier religieuse. Néanmoins, on comprend
aussi très bien que Fo ne s'en prend pas à la religion et au message
christique, bien au contraire. Les puissants d’aujourd’hui sont critiqués même
si l'époque à laquelle se situent les histoire semble remonter aux alentours de
l'an zéro, les messages véhiculés (abus de pouvoir, utilisation des livres
saints à des fins personnelles, religion béquille...) sont tout à fait actuels
et donc très pertinents.
De plus, on perçoit le fait que
c'est toute la biographie de Dario Fo qui a inspiré et mené l'auteur à faire
ses Mystères. De cette manière il peut les vivre et donc les faire vivre à son
public, car un auteur n'ayant pas de vécu ne peut pas tout inventer et le
public ne sera pas dupe. Comme beaucoup de grands artistes, son expérience de
vie semble indissociable de ses œuvres et c'est ce qui en fait des dons de sa
part d'une valeur inestimable.
Conclusion
C'est donc grâce au travail d'hommes
tel que Dario Fo, éternel contradicteur, que le théâtre politique a pu se
développer et trouver sa place dans le monde actuel. Il semble pourtant que
depuis les débuts du théâtre, un lien existe avec la politique. Il semble que
ce soit la qualité de transmission, de partage et de communication qui confère
à cette art la possibilité de faire comprendre et même de faire vivre un
message au personnes qui voudront bien le saisir. Le théâtre, même s’il n’est pas
toujours directement lié à la politique, permet de la faire vivre en
montrant des personnages qui s’interrogent sur le vivre ensemble, sur les
oppressions qu’ils subissent, sur les luttes à mener contre les puissants et
donc de la partager avec « l’assemblée » théâtrale. ». En effet
le théâtre est le seul art qui rassemble le public dans une salle ou en
extérieur pour entendre des paroles de gens en conflit, un peu comme dans les
meetings politiques.