jeudi 8 mai 2014

Dario Fo: un théâtre politique ( extrait de l'approfondissement d'Alexis Duflot)



Dario Fo dans le théâtre politique

            Dans cette troisième et dernière partie, nous allons nous pencher sur l'auteur Italien Dario Fo et plus précisément sur son implication dans le théâtre politique. Nous allons notamment voir comment il introduit des éléments politiques dans son ouvrage  "Mistero buffo".


a. Inspiration du théâtre politique.
            Dario Fo est né le 24 Mars 1926 à Sangiano, en Lombardie, une région Italienne. C'est un écrivain, metteur en scène, acteur et dramaturge.
            Pour son théâtre, il s'inspire de Molière et d'Angelo Beolco (dramaturge vénitien du XVIe siècle,dit Ruzzante) qu'il considère comme ses plus grands maîtres.
            Déjà à 17 ans, Dario Fo veut s'opposer au système en essayant d'éviter  d'entrer à l'armée. Pour finir, voyant qu'il va y être contraint (et de peur de représailles sur sa famille) il décide de devancer l'appel et s'engage en 1943, comme parachutiste. Cet épisode montre tout à fait l’esprit de Dario Fo : en opposition avec le pouvoir établi et se voyant contraint, il cherche une solution non sans humour.
            Après la guerre, il étudie les beaux-arts à Brera près de Milan et sort diplômé en Architecture en 1950. C'est aussi là-bas qu'il étudie la mise en scène et découvre la peinture qui le passionne.
            Il commence sa carrière à la télévision et à la radio où il présente des monologues satiriques qu'il écrit. Ensuit il fait quelques expériences dans le théâtre et  se marie en 1954 avec la comédienne Franca Rame. Il va à Rome où il participe à la mise en scène de plusieurs films et fonde une compagnie théâtrale et présente des pièces de Shakespeare, Molière et des farces traditionnelles.
            C'est en 1959 qu'il devient populaire avec sa pièce "Les archanges ne jouent pas au flipper".
            Après 1968, les thèmes sont plus explicitement politiques et provocateurs. Grande pantomima con bandiere e pupazzi piccoli e medi ((Grande pantomime avec drapeaux et pantins petits et moyens) est une des pièces emblématiques de cette période. Il écrit plusieurs pièces par an et fait face aux pressions extérieures. Pourtant, un drame advient en 1973. Sa femme est enlevée, violée et torturée par des militants d’extrême droite. Elle en restera profondément choquée et on peut imaginer que cette tragédie influença aussi Dario Fo pour son théâtre.... Cela ne l'empêche pourtant pas d'inaugurer sa propre salle de théâtre en 1974.
            Dans les années 2000, il s'oppose ouvertement à Silvio Berlusconi et en 2001 il va jusqu'à mettre en doute la thèse du gouvernement américain concernant les attentats du 11 septembre....
            Dario Fo s'impose donc comme un anticonformiste, provocateur et engagé politiquement à l’extrême gauche (ce qui ne l’empêche pas de s'attirer des problèmes avec le parti communiste italien). Tout au long de sa carrière, il aura des opposants, comme le Vatican par exemple, mais surtout beaucoup de spectateurs et de lecteurs partout dans le monde. En 1997, il reçoit le Prix Nobel de littérature, ce qui ne plaît pas du tout à la bourgeoisie et à l'élite italienne.
b. Théâtre politique dans ses œuvres.

            Le style de ses pièces perpétue le style de la commedia dell'arte et de la farce médiévale. L'improvisation, le déluge verbal, la performance physique et l'enchaînement de gags en sont les principales caractéristiques. L'utilisation de parlers populaires, d'accents régionaux et de formules idiomatiques occupe également une place centrale. Le théâtre de Fo se démarque par une esthétique grotesque, faisant la part belle au délire, aux allusions scatologiques et aux notations grivoises. À noter aussi un remarquable sens de l'économie et d'invention dans l'utilisation de rares accessoires. Souvent chez Fo, qui met en scène ses propres pièces, un même acteur interprète plusieurs personnages et porte un masque, un accoutrement ou un maquillage volontairement simple et délibérément trivial et bouffon. Fo cherche souvent à dépasser le cadre de la représentation scénique en la parodiant et en la renvoyant à sa nature d'artifice. Le naturalisme est farouchement rejeté puis le faux et l'invraisemblable sont célébrés. Ainsi, il n'est pas rare de voir les comédiens s'adresser au public, utiliser la salle comme extension de la scène, commenter les objets du décor, critiquer ouvertement la progression dramatique de la pièce et émettre des jugements sur les contraintes imposées par la préparation d'un rôle. Tout ceci fait du théâtre de Dario Fo un théâtre populaire et accessible à tous. Sa portée politique n'en est qu'augmenté. Par conviction « antibourgeoise », refusant de poursuivre le rôle de « bouffon de la bourgeoisie », ils amènent le théâtre dans les usines et les maisons du peuple.
            Quant au fond, le comique, la fantaisie et la satire s'inscrivent dans une perspective éminemment politique, voire militante : la charge sociale aux accents anticonformistes, anticapitalistes et anticléricaux est toujours présente, entraînant fréquemment la censure, qui se révéla particulièrement féroce en 1962 pour une émission télévisée, Canzonissima, où le couple Fo-Rame est médiatiquement lynché, car on tolérait encore qu'ils fassent rire de petites salles de théâtre, mais on s'effrayait du message corrosif qu'ils pourraient faire passer avec les médias. Franca Rame, la femme de Dario Fo, rapporte qu'il est arrivé durant cette période que l'évêque de Vincenza demande à la police d'arracher toutes les affiches de leur spectacle ou que, refusant les coupes imposées dans leur texte par la censure, ils ont joué malgré tout le texte original en risquant ainsi l'arrestation immédiate. Le manuscrit des Arcangeli aurait ainsi fait l'objet de 280 plaintes et demandes de censure, de la part de la police, à chaque fois que la pièce était jouée.
            Inspiré d'un fait réel, en 1970 "Morte accidentale di un anarchico" donne avec humour et brio, sa version abracadabrante du cas de l'anarchiste Giuseppe Pinelli, dont la garde à vue, à la questure de Milan, s'était soldée par une défenestration mal expliquée. L'anarchiste serait un de ces personnages de soi-disant « fous » ou « bouffons », que Dario Fo affectionne et qu'il utilise fréquemment dans ses pièces pour les effets comiques absurdes qu'il peut créer avec et pour pouvoir contourner la censure.
            Tous cela montre à quel point Dario Fo était engagé dans son théâtre. Il ne connaît aucune limite, ni le politique, ni le culturel ni même la religion ne lui font peur. Les "mistero buffo" en sont un bon exemple...

c. Dans les mystères.

            Dario Fo joue les "mystère bouffe" pour la première fois en 1969. Il les joue tout seul et interprète donc tous les rôles en même temps. Ces petites histoires sont inspirées des jongleries populaires du Moyen Âge. Les mystères commencent souvent par un prologue, qui plante le décor de la scène à venir, inspiré souvent de peintures murales médiévales et d’événements de la bible et expose avec parfois beaucoup d’érudition l’origine du Mystère. Les personnages alors mis en scène sont des bouffons et prennent les caractéristiques d'un jongleur, d'un fou, d'un ivrogne d'un ange ou encore de la mort elle-même. Les personnages de l’ancien et du nouveau testament bien connus du public prennent vie. La foule intervient et commente les actions.
            Pour faire rire le public et se faire comprendre partout, Fo utilise le « gromelot, » une sorte d'imitation de langage sans signification véritable mais très humoristique à entendre et très explicite soutenu par une gestuelle appropriée.
            Seul en scène, face à un public assis par terre en cercle autour de lui, Dario Fo joue l’ensemble des rôles, intervient sans cesse dans son propre texte pour le commenter et faire participer le spectateur. Le spectacle change à chaque représentation, comprenant une grande partie d’improvisation, et le texte publié ne correspond donc que de manière très trompeuse à ce qui a réellement été représenté.
            Le but est donc de proposer un théâtre populaire, pour le peuple et émanant du peuple et de son histoire : à maintes reprises, Fo dénonce la déformation de l'histoire populaire par les élites et les savants, et la constitution d'une histoire officielle qui oublie les révoltes et les soulèvements populaires, qui passaient aussi par la dérision et le théâtre. Le propos général tend à exalter la mission de Jésus et à dénoncer ses détournements par les puissants de l’Église et du monde. Par exemple, il met en scène un pape qui ne se préoccupe que de futilités et de richesses, des mendiants ayant pour pire cauchemar la guérison ou encore des miracles avec "accès payant" pour dénoncer la vénalité des gens qui exploitent la crédulité des autres…
            Dans les mystère bouffe, on ressent très fortement l'opposition de Dario Fo envers l'élite sociale et en particulier religieuse. Néanmoins, on comprend aussi très bien que Fo ne s'en prend pas à la religion et au message christique, bien au contraire. Les puissants d’aujourd’hui sont critiqués même si l'époque à laquelle se situent les histoire semble remonter aux alentours de l'an zéro, les messages véhiculés (abus de pouvoir, utilisation des livres saints à des fins personnelles, religion béquille...) sont tout à fait actuels et donc très pertinents.
            De plus, on perçoit le fait que c'est toute la biographie de Dario Fo qui a inspiré et mené l'auteur à faire ses Mystères. De cette manière il peut les vivre et donc les faire vivre à son public, car un auteur n'ayant pas de vécu ne peut pas tout inventer et le public ne sera pas dupe. Comme beaucoup de grands artistes, son expérience de vie semble indissociable de ses œuvres et c'est ce qui en fait des dons de sa part d'une valeur inestimable.

Conclusion
            C'est donc grâce au travail d'hommes tel que Dario Fo, éternel contradicteur, que le théâtre politique a pu se développer et trouver sa place dans le monde actuel. Il semble pourtant que depuis les débuts du théâtre, un lien existe avec la politique. Il semble que ce soit la qualité de transmission, de partage et de communication qui confère à cette art la possibilité de faire comprendre et même de faire vivre un message au personnes qui voudront bien le saisir. Le théâtre, même s’il n’est  pas  toujours directement lié à la politique, permet de la faire vivre en montrant des personnages qui s’interrogent sur le vivre ensemble, sur les oppressions qu’ils subissent, sur les luttes à mener contre les puissants et donc de la partager avec « l’assemblée » théâtrale. ». En effet le théâtre est le seul art qui rassemble le public dans une salle ou en extérieur pour entendre des paroles de gens en conflit, un peu comme dans les meetings politiques.