Le travail
de Dario Fo, metteur en scène et acteur de théâtre italien du XX eme siècle,
prix Nobel de littérature en 1997 est toujours une critique envers l’actualité,
la politique, la religion etc.. Envers les idées reçues et les injustices. Pour
éviter la censure, il s’est toujours servi de ses personnages qu’il appelle des
Bouffons : personnages du peuples qui l’aident à faire passer son message,
notamment dans sa pièce de 1970 : Mort accidentelle d’un anarchiste,
ou le soit disant bouffon fait référence à un fait réel. Dans ses engagements
politiques, Dario Fo s’est attaqué au premier ministre Silvio Berlusconi, il a
aussi remis en causes l’histoire publique des attentats du 11 septembre 2001 ou
encore a fait une satire du monde industriel. Dans toutes ces remises en
causes, Dario Fo a écrit une pièce à laquelle nous allons nous intéresser plus
particulièrement.
Dans cette pièce : Mistero Buffo,qui raconte, par le peuple et pour le peuple la vie
du Christ, et par là, dénonce le détournement du message christique par la
papauté (notamment le pape boniface VIII), Dario Fo montre alors un théâtre
nouveau, complet. En effet, à la fois Acteur, metteur en scène et auteur de la
pièce, Dario fo se place comme artiste complet et maitrisant totalement son art
jouant à lui seul tous les personnages. C’est une pièce intercalant la langue
et le grommelot, un effet choisi par Dario Fo pour ancrer cette histoire sainte
dans le réel et donner a la pièce un aspect humoristique et compréhensible dans
n’importe quelle langue puis que les jongleurs étaient amenés à voyager. Si
Dario Fo a écrit cette pièce, c’est principalement pour nous montrer un aspect
désacralisé du Christ comme ayant vécu une vie a priori commune à celle des
autres citoyens de son époque contemporaine.
On peut alors se demander comment Dario Fo imagine et
met en scène, à travers les textes et le
jeu, la figure du Christ dans Mistero
Buffo .
En fait-il un personnage lambda, au même rang que les
autres ou amène t-il le Christ (par un autre chemin) à l’image que l’on a
de lui aujourd’hui, c'est-à-dire un personnage important et symbole d’un idéal
de pensée ?
Nous
verrons dans un premier temps que le rôle scénique du personnage du Christ
n’est pas très important à première vue, et qu’il est ridiculisé au même titre
que les autres personnages, néanmoins, il est le personnage qui amorce la pièce
et le sujet de discussion premier des mystères bouffes.Nous verrons enfin que
le Christ reste le personnage moteur et central de la pièce. Il est prit au
sérieux est engagé, Symbole du fils de Dieu.
En effet, le
rôle scénique du Christ n’est pas très important, son texte pourrait être
retiré de la pièce, et une simple croix en comparaison marquerait sa présence.
C’est en tout cas le choix qu’a fait Chiara Villa dans sa mise en scène des Mistero buffo à la comédie de l’Est.
Toutes les scènes se déroulent sans la présence du Christ, mais avec une croix
au centre qui
bien sûr symbolise le Christ et aussi la religion. Le
rôle du Christ peu donc être amené par les autres personnages qui le font vivre
dans leur mémoire (Les noces de Cana) (Moralité de l’aveugle et du boiteux).
Lorsque Jésus est tout de même présent de part un personnage ou joué par Dario
Fô lui-même, il ne clame pas de grand discours ou quoi que ce soit de ce genre,
mais est joué au même titre que les autres personnages avec des répliques
parfois vaines et irréfléchies tel un Bouffon. Dario Fô prend soin de ramener le
personnage à son statut d’homme historique, ayant les mêmes désirs, passion
qu’un autre homme de son âge. Néanmoins, il le détourne beaucoup et en fait un
(agneau) : fils a sa maman « ce jeune homme lui a donné un bécot sur
le nez a sa maman » « Oh, regarde, il y a même la vierge. Toute la
famille est là », quelqu’un de gentil « tous ont vu naitre et fleurir
sur les lèvres de ce Jésus un sourire si doux […] doux il était ce
sourire » « Qu’est ce qu’il est sympathique, Jésus »
« Bravo Jésus » « Jésus, douce créature ». On arrive en
contrepartie à l’image d’un Jésus débauché qui mêle ses miracles à des jeux
d’argent, boit avec ses amis, vie avec des femmes (Madeleine). Les mystères
parlent aussi de son beau physique (comme dans les évangiles) etc... De là,
sort une image ambigüe du Christ : Un duel entre deux caractères. Le côté
jovial et fêtard de Jésus et son autre face, de maître initiatique.
Dans le miracle de l’enfant Jésus, le petit
Palestinien est montré tel un enfant ordinaire qui a des caprices, des peurs,
qui veut se faire accepter par les
autres. Il a conscience de ses dons mais ne fait pas de différence entre bien
et mal, agit pour ses propres intérêts . La figure de Dieu est aussi
ridiculisée, présentée comme un père qui éduque Jésus. Dario Fô joue sur les
mots à travers la bouche des enfants « Tu fais pas ton Juda
hein !! » etc... Jésus ne fait donc pas la part des choses, il parle
même de tuer le « Fils du Patron ». Dario Fô, par ce Mystère montre
le chemin initiatique que Jésus doit accomplir pour devenir ce qu’il est. La
figure du Christ est donc humanisée dans les Mistero buffo, Le fait que Dario Fô joue tous les personnages,
qu’il rapporte Jésus à tout autre
personnage des mystères bouffes le désacralise, ou le rend peut être tel qu’il
était vraiment sur le plan matériel. Dans le mystère Boniface VIII qui
clot la pièce, le pape se pavane devant ce Jésus sur la Croix et manque de
respect ; On comprend alors que Dario Fô ne ridiculise pas Le Christ
durant les Mistero buffo mais bel et
bien la Papauté et L’Eglise Catholique que l’on distingue de la Religion
Chrétienne et du lieu symbolique « Eglise ». Cette Eglise qui s’est
servi des dires du Christ pour sa soif de richesse et de Puissance.
Dès lors, si le
Christ en soi n’est pas moqué, n’est-il pas finalement un personnage, sujet de
toutes les discussions des mystères ? Et qui impose le respect ?
Effectivement, même si le rôle du Christ n’est pas très dense, il est
néanmoins le personnage dont tous les mystères parlent : Le premier
miracle de l’enfant Jésus, La Passion, La résurrection de Lazare, Le massacre
des innocents etc.… Tous rappellent un moment, un miracle de la vie de
Jésus. Il est le personnage nécessaire au déroulement des piécettes, puisque
c’est son parcours vu par les gens extérieurs à lui, c'est-à-dire autre que lui
ou que ses disciples. Dario fô explique d'ailleurs que le Christ et la vierge
ne sont pas ridiculisés mais qu’il s’agit de la population qui entoure cette
vie historique de Jésus qui est la proie de la dérision de Dario Fô, Lui-même
est croyant !
Il dira dans Le monde selon Fô à la page 84 «
Aucun historien du christianisme ne peut faire abstraction des évangiles
apocryphes. Ils sont très nombreux. Contrairement aux quatre textes adoptés par
l’Église, qui ont subi des modifications et des adaptations en fonction des
situations historiques, les évangiles apocryphes n’ont jamais été altérés et
ont gardé intacts personnages et situations. ». Dario Fô explique qu’ au delà
des 4 textes des évangiles retenus par l’Eglise Catholique et réorganisés selon
elle, de nombreuses personnes étaient présentes autour du Christ, extérieur à
lui mais dont les dires non jamais étaient « altérés » et qui sont
donc authentiques. C’est de ces gens dont parle Dario Fô dans les Mistèro buffo, c’est en fait une vision
plus objective du Christ et de sa vie vus par ses interlocuteurs, et donc qui
permet une image plus complète et moins falsifiée du fils de Dieu. C’est en
cela que la pièce Mistero Buffo n’est
centrée que Sur le Personnage du Christ.
Le Christ
est montré sous différents angles, avec différent caractères, par exemple, dans
Le fou au pied de la croix le Fou raconte cette anecdote :
« La seule fois où tu m’as fait plaisir Jésus, c’est le jour ou tu est
arrivé à l’Eglise pendant qu’ils tenaient leur marché, et que tu a commencé à
les rosser a coup de bâton. » Cette anecdote qui figure dans le récit du
Christ lui donne un pouvoir plus combatif, un rôle plus costaud pour montrer
l’absurdité d’un marché de contrebande dans le lieu du seigneur. Un caractère
de révolutionnaire.
Dario Fô dans ce même mystère propose une alternative
possible à la crucifixion du Christ en s’échappant avec le Fou, mais on
remarque que Jésus avait prévu ce sacrifice « même si il n’y en avait
qu’un seul digne ». Il n’y a donc aucun mystère qui ne mentionne pas le
nom de Jésus. Décrit par les personnages
qui l’entoure, il est soit apparenté à une personne du peuple simple, doté
simplement de pouvoir mais que l’on ne respecte pas plus que ca « Y’a
personne qui connaisse ce Jésus Christ […] On ne va pas chaque fois attendre
des heures pour les miracles » dit une femme dans La Résurrection de
Lazare ; soit apparenté à un Héros, un sauveur.
Même si son personnage n’est pas représenté sur scène,
la croix ou quelque élément métonymique est indispensable pour donner un sens,
un centre à la pièce et le symbole de la religion chrétienne. En ce sens, le
personnage de Jésus représente le symbole de la religion pure, saint, mature,
spirituel ; Il est donc rendu dans Mistero
buffo tel le Jésus dont on se fait l’image, un fils de Dieu.
En effet, Dario Fo a prit soin de remettre le
personnage du Christ à la place qu’il doit occuper. Il a même parfois mis sa
parole à travers le personnage de Jésus : Dans La naissance du Jongleur,
mystère qui amorce très souvent la piécette de par son contenu (création du
jongleur par le Christ) Dario Fô dans la peau de Jésus se place en tant que
pédagogue, il explique au futur Jongleur ce qu’il faut faire des patrons, des
riches. Dario Fô donne sa vision d’un bon jongleur et on retrouve son esprit
révolutionnaire, sa volonté de dire la vérité qui l’a toujours guidée à travers
son parcours. Il fait du Christ une personne mature, pédagogue, et révolutionnaire,
et malgré sa description de « pauvre mine de Chrétien… tout pâle »
Jésus apparait comme un leader qui veut rétablir la vérité et l’égalité entre
les hommes.
Dario Fô fait de même dans Le fou au pied de la
croix où du moins il renvoie, par le biais du Fou l’image qu’il a de Jésus
en lui disant « t’est un asile de Fous au complet ». Dans le monde
selon Fô il explique cela :
- « Si l’humanité n’avait pas en son
sein [un] bon pourcentage de fous, elle ne serait plus là depuis longtemps.
Quelqu’un comme le Christ qui bouleverse son époque en portant une parole
nouvelle et se fait tuer pour sa foi était fou, sans l’ombre d’un doute. Mais
le pauvre type qui toute sa vie poursuit un défi est fou aussi. Les artistes,
les inventeurs, les explorateurs de terres et d’idées, ceux qui osent changer
les règles, envoyer valser l’ordre constitué, le sens commun, les logiques
aristotéliciennes et tout le saint-frusquin ont été, sont et seront tous fous.»
Pour lui, Jésus était fou au même titre que tous les gens qui ont changé,
bouleversé, remis en question leur sociétés.
A ce juste titre, Dario Fô place encore une fois le
Christ dans le ( monde réel ) mais cette fois, il l’élève a un niveau
supérieur car il le considère comme le type de personnes qui révolutionne son
époque, de plus le dialogue entre le Fou ( pas si fou que ca) tient compte du
message christique sans le déformer « pas tous des
traitres » « même si il n’y en avait qu’un seul, oui, un seul
homme sur toute la terre, digne d’être sauvé, un seul juste, ton sacrifice ne
serait pas vain ? » Le fou qui
est donc quelqu’un de sensé selon Dario Fô mais un personnage absurde vu des
autres, donne un espoir en comprenant les paroles du Christ, lui qui le définit
comme un « saint », comprend sa valeur et le sacrifice du Christ, Le
Fou en ce sens porte la vérité en lui. Ce dialogue entre les deux protagonistes
devient alors plus profond, plus spirituel. Jésus montre que sa Foi se tourne
surtout vers les Hommes.
Finalement, Dario Fô dans le mystère La passion redonne un sérieux au
Christ, une maturité. Il le place tel le symbole de la connaissance juste, au
dessus des autres. Il appelle le soldat Frère, demande à Marie de rentrer a la
maison. Dans ce moment très solennel, Jésus est représenté comme une image pure
de lui-même, et concrétisant sa parole en étant compatissant, aimant, semblant
connaître la valeur de toute chose, en Bref, un homme sage ayant atteins la
béatitude. Dario Fô, pour la fin de la pièce lui redonne le statut de Précurseur
de la religion Chrétienne comme personnage assumant le rôle de Fils de Dieu
qu’on lui a attribué.
Finalement, Dari Fô décrédibilise encore l’ange
Gabriel comme ignorant de la vie terrestre, ridiculisant encore le monde de
l’haut delà et le Dieu des riches comme il l’appelle. Donnant de l’importance
en l’homme et en Jésus plutôt qu’en un personnage surnaturel.
En conclusion,
nous pouvons dire que le personnage du Christ et ses dires semblent être
transformés et ridiculisés au profit d’un personnage grossier au même plan que
tous les autres qui serait là pour faire rire le spectateur, mais l’on voit peu
à peu une évolution du personnage, Dario Fô le met au centre de la pièce et
explique que ce n’est pas la religion qu’il rend burlesque, mais l’utilisation
de l’Eglise (des riches) qui a fait de cette histoire du Christ une fable
surréelle et burlesque. Dario fô réanime cette histoire, lui redonne son but et
finalement fait du Christ le porte parole de Dario Fô dans la pièce, et Un
personnage respecté avec un message saint d’amour et de confiance en l’homme
qui est au service de la réflexion et non de l’ironie et de la moquerie.
Fin
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Un blog pour les élèves des options théâtre du Lycée Camille Sée à Colmar