jeudi 8 mai 2014

la Figure du Christ dans Mistero Buffo par Omaël André




 

Le travail de Dario Fo, metteur en scène et acteur de théâtre italien du XX eme siècle, prix Nobel de littérature en 1997 est toujours une critique envers l’actualité, la politique, la religion etc.. Envers les idées reçues et les injustices. Pour éviter la censure, il s’est toujours servi de ses personnages qu’il appelle des Bouffons : personnages du peuples qui l’aident à faire passer son message, notamment dans sa pièce de 1970 : Mort accidentelle d’un anarchiste, ou le soit disant bouffon fait référence à un fait réel. Dans ses engagements politiques, Dario Fo s’est attaqué au premier ministre Silvio Berlusconi, il a aussi remis en causes l’histoire publique des attentats du 11 septembre 2001 ou encore a fait une satire du monde industriel. Dans toutes ces remises en causes, Dario Fo a écrit une pièce à laquelle nous allons nous intéresser plus particulièrement.
Dans cette pièce : Mistero Buffo,qui raconte, par le peuple et pour le peuple la vie du Christ, et par là, dénonce le détournement du message christique par la papauté (notamment le pape boniface VIII), Dario Fo montre alors un théâtre nouveau, complet. En effet, à la fois Acteur, metteur en scène et auteur de la pièce, Dario fo se place comme artiste complet et maitrisant totalement son art jouant à lui seul tous les personnages. C’est une pièce intercalant la langue et le grommelot, un effet choisi par Dario Fo pour ancrer cette histoire sainte dans le réel et donner a la pièce un aspect humoristique et compréhensible dans n’importe quelle langue puis que les jongleurs étaient amenés à voyager. Si Dario Fo a écrit cette pièce, c’est principalement pour nous montrer un aspect désacralisé du Christ comme ayant vécu une vie a priori commune à celle des autres citoyens de son époque contemporaine.
On peut alors se demander comment Dario Fo imagine et met  en scène, à travers les textes et le jeu, la figure du Christ dans Mistero Buffo .
En fait-il un personnage lambda, au même rang que les autres ou amène t-il le Christ (par un autre chemin)  à l’image que l’on a de lui aujourd’hui, c'est-à-dire un personnage important et symbole d’un idéal de pensée ?
       Nous verrons dans un premier temps que le rôle scénique du personnage du Christ n’est pas très important à première vue, et qu’il est ridiculisé au même titre que les autres personnages, néanmoins, il est le personnage qui amorce la pièce et le sujet de discussion premier des mystères bouffes.Nous verrons enfin que le Christ reste le personnage moteur et central de la pièce. Il est prit au sérieux est engagé, Symbole du fils de Dieu.
En effet, le rôle scénique du Christ n’est pas très important, son texte pourrait être retiré de la pièce, et une simple croix en comparaison marquerait sa présence. C’est en tout cas le choix qu’a fait Chiara Villa dans sa mise en scène des Mistero buffo à la comédie de l’Est. Toutes les scènes se déroulent sans la présence du Christ, mais avec une croix au centre qui

bien sûr symbolise le Christ et aussi la religion. Le rôle du Christ peu donc être amené par les autres personnages qui le font vivre dans leur mémoire (Les noces de Cana) (Moralité de l’aveugle et du boiteux). Lorsque Jésus est tout de même présent de part un personnage ou joué par Dario Fô lui-même, il ne clame pas de grand discours ou quoi que ce soit de ce genre, mais est joué au même titre que les autres personnages avec des répliques parfois vaines et irréfléchies tel un Bouffon. Dario Fô prend soin de ramener le personnage à son statut d’homme historique, ayant les mêmes désirs, passion qu’un autre homme de son âge. Néanmoins, il le détourne beaucoup et en fait un (agneau) : fils a sa maman « ce jeune homme lui a donné un bécot sur le nez a sa maman » « Oh, regarde, il y a même la vierge. Toute la famille est là », quelqu’un de gentil « tous ont vu naitre et fleurir sur les lèvres de ce Jésus un sourire si doux […]  doux il était ce sourire » « Qu’est ce qu’il est sympathique, Jésus » « Bravo Jésus » «  Jésus, douce créature ». On arrive en contrepartie à l’image d’un Jésus débauché qui mêle ses miracles à des jeux d’argent, boit avec ses amis, vie avec des femmes (Madeleine). Les mystères parlent aussi de son beau physique (comme dans les évangiles) etc... De là, sort une image ambigüe du Christ : Un duel entre deux caractères. Le côté jovial et fêtard de Jésus et son autre face, de maître initiatique.
Dans le miracle de l’enfant Jésus, le petit Palestinien est montré tel un enfant ordinaire qui a des caprices, des peurs, qui veut se faire accepter  par les autres. Il a conscience de ses dons mais ne fait pas de différence entre bien et mal, agit pour ses propres intérêts . La figure de Dieu est aussi ridiculisée, présentée comme un père qui éduque Jésus. Dario Fô joue sur les mots à travers la bouche des enfants « Tu fais pas ton Juda hein !! » etc... Jésus ne fait donc pas la part des choses, il parle même de tuer le « Fils du Patron ». Dario Fô, par ce Mystère montre le chemin initiatique que Jésus doit accomplir pour devenir ce qu’il est. La figure du Christ est donc humanisée dans les Mistero buffo, Le fait que Dario Fô joue tous les personnages, qu’il  rapporte Jésus à tout autre personnage des mystères bouffes le désacralise, ou le rend peut être tel qu’il était vraiment sur le plan matériel. Dans le mystère Boniface VIII qui clot la pièce, le pape se pavane devant ce Jésus sur la Croix et manque de respect ; On comprend alors que Dario Fô ne ridiculise pas Le Christ durant les Mistero buffo mais bel et bien la Papauté et L’Eglise Catholique que l’on distingue de la Religion Chrétienne et du lieu symbolique « Eglise ». Cette Eglise qui s’est servi des dires du Christ pour sa soif de richesse et de Puissance.
 Dès lors, si le Christ en soi n’est pas moqué, n’est-il pas finalement un personnage, sujet de toutes les discussions des mystères ? Et qui impose le respect ?
     Effectivement, même si le rôle du Christ n’est pas très dense, il est néanmoins le personnage dont tous les mystères parlent : Le premier miracle de l’enfant Jésus, La Passion, La résurrection de Lazare, Le massacre des innocents etc.… Tous rappellent un moment, un miracle de la vie de Jésus. Il est le personnage nécessaire au déroulement des piécettes, puisque c’est son parcours vu par les gens extérieurs à lui, c'est-à-dire autre que lui ou que ses disciples. Dario fô explique d'ailleurs que le Christ et la vierge ne sont pas ridiculisés mais qu’il s’agit de la population qui entoure cette vie historique de Jésus qui est la proie de la dérision de Dario Fô, Lui-même est croyant !
Il dira dans Le monde selon Fô à la page 84 « Aucun historien du christianisme ne peut faire abstraction des évangiles apocryphes. Ils sont très nombreux. Contrairement aux quatre textes adoptés par l’Église, qui ont subi des modifications et des adaptations en fonction des situations historiques, les évangiles apocryphes n’ont jamais été altérés et ont gardé intacts personnages et situations. ». Dario Fô explique qu’ au delà des 4 textes des évangiles retenus par l’Eglise Catholique et réorganisés selon elle, de nombreuses personnes étaient présentes autour du Christ, extérieur à lui mais dont les dires non jamais étaient « altérés » et qui sont donc authentiques. C’est de ces gens dont parle Dario Fô dans les Mistèro buffo, c’est en fait une vision plus objective du Christ et de sa vie vus par ses interlocuteurs, et donc qui permet une image plus complète et moins falsifiée du fils de Dieu. C’est en cela que la pièce Mistero Buffo n’est centrée que Sur le Personnage du Christ.
Le Christ est montré sous différents angles, avec différent caractères, par exemple, dans Le fou au pied de la croix le Fou raconte cette anecdote : « La seule fois où tu m’as fait plaisir Jésus, c’est le jour ou tu est arrivé à l’Eglise pendant qu’ils tenaient leur marché, et que tu a commencé à les rosser a coup de bâton. » Cette anecdote qui figure dans le récit du Christ lui donne un pouvoir plus combatif, un rôle plus costaud pour montrer l’absurdité d’un marché de contrebande dans le lieu du seigneur. Un caractère de révolutionnaire.
Dario Fô dans ce même mystère propose une alternative possible à la crucifixion du Christ en s’échappant avec le Fou, mais on remarque que Jésus avait prévu ce sacrifice « même si il n’y en avait qu’un seul digne ». Il n’y a donc aucun mystère qui ne mentionne pas le nom de  Jésus. Décrit par les personnages qui l’entoure, il est soit apparenté à une personne du peuple simple, doté simplement de pouvoir mais que l’on ne respecte pas plus que ca « Y’a personne qui connaisse ce Jésus Christ […] On ne va pas chaque fois attendre des heures pour les miracles » dit une femme dans La Résurrection de Lazare ; soit apparenté à un Héros, un sauveur.
Même si son personnage n’est pas représenté sur scène, la croix ou quelque élément métonymique est indispensable pour donner un sens, un centre à la pièce et le symbole de la religion chrétienne. En ce sens, le personnage de Jésus représente le symbole de la religion pure, saint, mature, spirituel ; Il est donc rendu dans Mistero buffo tel le Jésus dont on se fait l’image, un fils de Dieu.

En effet, Dario Fo a prit soin de remettre le personnage du Christ à la place qu’il doit occuper. Il a même parfois mis sa parole à travers le personnage de Jésus : Dans La naissance du Jongleur, mystère qui amorce très souvent la piécette de par son contenu (création du jongleur par le Christ) Dario Fô dans la peau de Jésus se place en tant que pédagogue, il explique au futur Jongleur ce qu’il faut faire des patrons, des riches. Dario Fô donne sa vision d’un bon jongleur et on retrouve son esprit révolutionnaire, sa volonté de dire la vérité qui l’a toujours guidée à travers son parcours. Il fait du Christ une personne mature, pédagogue, et révolutionnaire, et malgré sa description de « pauvre mine de Chrétien… tout pâle » Jésus apparait comme un leader qui veut rétablir la vérité et l’égalité entre les hommes.
Dario Fô fait de même dans Le fou au pied de la croix où du moins il renvoie, par le biais du Fou l’image qu’il a de Jésus en lui disant « t’est un asile de Fous au complet ». Dans le monde selon Fô il explique cela :
- « Si l’humanité n’avait pas en son sein [un] bon pourcentage de fous, elle ne serait plus là depuis longtemps. Quelqu’un comme le Christ qui bouleverse son époque en portant une parole nouvelle et se fait tuer pour sa foi était fou, sans l’ombre d’un doute. Mais le pauvre type qui toute sa vie poursuit un défi est fou aussi. Les artistes, les inventeurs, les explorateurs de terres et d’idées, ceux qui osent changer les règles, envoyer valser l’ordre constitué, le sens commun, les logiques aristotéliciennes et tout le saint-frusquin ont été, sont et seront tous fous.» Pour lui, Jésus était fou au même titre que tous les gens qui ont changé, bouleversé, remis en question leur sociétés.
A ce juste titre, Dario Fô place encore une fois le Christ dans le ( monde réel ) mais cette fois, il l’élève a un niveau supérieur car il le considère comme le type de personnes qui révolutionne son époque, de plus le dialogue entre le Fou ( pas si fou que ca) tient compte du message christique sans le déformer « pas tous des traitres » « même si il n’y en avait qu’un seul, oui, un seul homme sur toute la terre, digne d’être sauvé, un seul juste, ton sacrifice ne serait pas vain ? » Le fou  qui est donc quelqu’un de sensé selon Dario Fô mais un personnage absurde vu des autres, donne un espoir en comprenant les paroles du Christ, lui qui le définit comme un « saint », comprend sa valeur et le sacrifice du Christ, Le Fou en ce sens porte la vérité en lui. Ce dialogue entre les deux protagonistes devient alors plus profond, plus spirituel. Jésus montre que sa Foi se tourne surtout vers les Hommes.
Finalement, Dario Fô dans le mystère  La passion redonne un sérieux au Christ, une maturité. Il le place tel le symbole de la connaissance juste, au dessus des autres. Il appelle le soldat Frère, demande à Marie de rentrer a la maison. Dans ce moment très solennel, Jésus est représenté comme une image pure de lui-même, et concrétisant sa parole en étant compatissant, aimant, semblant connaître la valeur de toute chose, en Bref, un homme sage ayant atteins la béatitude. Dario Fô, pour la fin de la pièce lui redonne le statut de Précurseur de la religion Chrétienne comme personnage assumant le rôle de Fils de Dieu qu’on lui a attribué.
Finalement, Dari Fô décrédibilise encore l’ange Gabriel comme ignorant de la vie terrestre, ridiculisant encore le monde de l’haut delà et le Dieu des riches comme il l’appelle. Donnant de l’importance en l’homme et en Jésus plutôt qu’en un personnage surnaturel.

 En conclusion, nous pouvons dire que le personnage du Christ et ses dires semblent être transformés et ridiculisés au profit d’un personnage grossier au même plan que tous les autres qui serait là pour faire rire le spectateur, mais l’on voit peu à peu une évolution du personnage, Dario Fô le met au centre de la pièce et explique que ce n’est pas la religion qu’il rend burlesque, mais l’utilisation de l’Eglise (des riches) qui a fait de cette histoire du Christ une fable surréelle et burlesque. Dario fô réanime cette histoire, lui redonne son but et finalement fait du Christ le porte parole de Dario Fô dans la pièce, et Un personnage respecté avec un message saint d’amour et de confiance en l’homme qui est au service de la réflexion et non de l’ironie et de la moquerie.
Fin