Carnet de bord : Le théâtre, plus qu’une simple matière,
un véritable plaisir
Mon premier contact avec le théâtre se fit quand j’étais au
CE2 (je devais avoir 9 ans). Notre professeur de l’époque nous avait donné un
livre contenant quatre petites pièces destinées à être lues par un jeune public
(dont je ne me rappelle malheureusement pas les noms), et dans notre cas, à
être joué. C’était vraiment une expérience mémorable pour nous tous, nous avons
pu découvrir les difficultés d’apprendre nos textes, de les jouer en petit
groupe puis devant un public (certaines personnes devaient apprendre à vaincre
leur trac), pourtant derrière ces contraintes apparentes, quelles joies nous
avons eues de nous retrouver tous ensemble, de nous sentir intégrés à une
troupe et quelle satisfaction ce fut lorsque nous parvenions enfin à maitriser
nos rôles ! La représentation finale fut vécue d’abord avec appréhension, puis avec un grand
soulagement ainsi qu’une immense fierté. Imaginez vous : toutes nos
familles étaient là pour nous admirer, nous écouter, ce fut vraiment un moment
inoubliable.
Malheureusement je me suis un peu éloigné du théâtre depuis,
en seconde, je n’ai pas eu la curiosité de tenter l’enseignement d’exploration,
probablement par timidité due à l’âge. Toujours est il que c’est durant cette
période que je me suis (re)découvert un goût et des facilités pour parler en
public. Plusieurs personnes me faisaient la remarque : « tu devrais
faire du théâtre », et, même si l’image qu’ils avaient de cet art était
caricaturale, j’ai décidé de les écouter et de m’inscrire à l’option
facultative durant mon année de première. Là j’ai eu la chance de tomber sur un
groupe très hétéroclite où j’ai pu doucement me trouver ma place. Certaines
personnes faisaient plus de 10 heures de théâtre par semaines, d’autres en
faisaient depuis des années tandis que certains se retrouvaient presque dans la
même situation que moi et n’avaient commencé qu’une année auparavant. Le thème
de l’année était le théâtre politique chez Bertolt Brecht, et pour sa dernière
année, monsieur Ficher (l’enseignant de l’année passée) voulait finir sur
quelque chose de grand : L’opéra de quatre sous ! Très vite nous
avons commencé à répéter les scènes et à les visionner, ce qui a fait que la
cohésion de groupe a été très forte très vite. Auprès de mes ainés, j’ai pu
progresser rapidement et découvrir ce qu’était réellement le théâtre. J’ai appris que le théâtre ce n’est pas
seulement connaître un texte et l’interpréter devant un public mais bien plus
que cela : cela nécessite d’entrer dans son personnage, que ce soit dans
ses répliques, ses intonations ou ses geste, il faut lui donner une forme, le
vivre et le faire vivre et ressentir au public, il doit y croire (malgré le
phénomène de distanciation mis en avant par Brecht) pour que le message soit
compris. Arrivés au jour J, l’accueil du public fut triomphal, et je
redécouvris ce plaisir d’être une partie d’un tout harmonieux et d’être
apprécié des foules (c’est assez égocentrique, je sais). C’est ainsi que je
m’engageai pour une deuxième année de théâtre.
Cette année de
terminale fut différente, tout en restant dans le théâtre politique, nous avons
étudié une manière tout à fait différente d’aborder ce dernier : fini le
donjuanesque gangster de Soho menant une vie s’opposant à la bourgeoisie
londonienne, désormais c’est au travers de moralités (ou mystères) du Moyen Age
réécrites par le dramaturge et prix Nobel de littérature italien Dario Fo ainsi
que de la figure du jongleur que nous avons découvert un théâtre populaire, où
acteur et scène ne forment qu’un, et qui tourne en dérisions les sujets de
sociétés pour pousser à la prise de conscience de cette condition tout en y
insufflant une part de « supportable » par l’emploi du burlesque.
Pourtant l’année n’avait pas débuté d’emblée avec cette
perspective, au départ nous avions fait beaucoup d’improvisations seuls ou en
groupe, à la fois pour nous découvrir les uns les autres mais également pour
établir les fondements de relation entre divers comédiens d’une troupe. Ce qui
a plutôt bien marché et qui était très plaisant, puisque l’improvisation
permettait de libérer notre imagination. A ce propos, c’est à ce moment que je
me suis rendu compte que je voyais ces trois heures de théâtre du mardi après
midi comme une véritable parenthèse dans la semaine de cours
« normaux », ce qui était plus qu’agréable. Cependant ces exercices
ont très vite été orientés vers la pièce, pour trouver des idées de placements,
gestes, intonations adéquates. Vint alors l’apprentissage du texte qui, bien
qu’entamé très tôt (environ début novembre), se révèlera être non seulement le
pari du groupe, mais aussi l’épée de Damoclès menaçant l’harmonie du groupe
ainsi que l’avancement de la mise en place du spectacle ; mystères bouffe
est composé de 12 mystères, dont nous avons choisi d’en jouer 8, s’ensuit une
divisions de la classe en plusieurs petits groupes, ce qui eu certes pour effet
de resserrer les liens à l’intérieur de ses groupes, au détriment des liens
tissés avec les autres personnes. Les problèmes de textes devinrent très vite
des obstacles majeurs pour l’avancement de la mise en scène, car dans chaque
petit groupe demeurait toujours une personne en retard par rapport aux autres.
Une des scènes les plus travaillées (d’ailleurs la première à avoir été
travaillée) est la moralité de la naissance du jongleur. Je mis bien longtemps
à en comprendre la raison : du succès de cette pièce dépendait le succès
de la pièce entière car tout était annoncé dans cette pièce : le rôle
véritable du jongleur, le sens des mystères, l’engagement politique de Dario,
passer à côté de cette scène reviendrait à laisser le spectateur livré à
lui-même pour le reste de la pièce.
Tout au long de l’année
nous avons travaillé sur une mise en scène d’un Mistero Buffo joué à plus de 20, ce qui fut un véritable défi
puisqu’initialement, en jongleur des temps modernes, Dario Fo s’adressait seul
à son public et créait un lien avec lui, tout en jouant les nombreux
personnages intervenant dans l’intrigue. Ici il fallait réussir à recréer cette
complicité malgré la multiplicité des acteurs, pour cela nous avons pensé à une
mise en scène en croix où le public serait des quatre côtés de la croix et les
acteurs en son centre, comme un jongleur se donnant au milieu d’une foire, les
acteurs ne jouant pas seraient contenus dans le public et réagiraient à
certains moment pour entretenir une proximité avec ce dernier et tenter de
l’inclure dans le jeu. Cependant l’idée de la croix se révéla bien difficile à
mettre en œuvre car compte tenu des situations des scènes, bien trop souvent
les acteurs tournaient le dos au public, on abandonna la croix, optant pour un
patchwork de tapis, cependant l’idée d’acteurs au milieu de la foule a été
conservée. Nous avons aussi pu assister à une représentation des 12 mystères
mis en scène par Chiara Villa. Bien que certains aspects furent intéressants,
comme le départ où les artistes circulent au milieu du public pour introduire
le premier mystère, ou alors la complexité du jeu à trois acteurs, nous ne nous
sommes que très peut servi de cette mise en scène qui dérangeait notre vision
en certains point : parmi les trois personnages, un seul sortait du lot et
faisait véritablement jongleur, tandis que les autres n’étaient que de
« simples » acteurs (le mot n’est pas à prendre péjorativement), de
plus, la scène de la naissance du jongleur, à laquelle nous accordions tant
d’importance (et moi plus encore vu que j’y ai un des rôles principaux) n’a pas
été jouée mais simplement racontée, or à nos yeux la naissance du jongleur ne
doit pas se savoir, elle doit se vivre tout comme son histoire. Mais cet aspect
sera plus développé dans l’approfondissement fait à ce sujet.
« A l’heure où j’écris ces dernières lignes, nous sommes
à moins d’une semaine de la représentation, le moment est venu pour nous de
prendre nos responsabilités et de donner le meilleur de nous même, car oui
c’est cela la raison même du théâtre, montrer ce qu’on a de meilleur, et le
donner aux autres. Bonne lecture »