Ce soir vendredi 13 juin FR3 programme un documentaire sur les enfants de Sarajevo.
http://www.france3.fr/emission/sarajevo
Interview de la réalisatrice Virginie Linhart
En plein siège de Sarajevo, des enfants blessés sont évacués en
France pour y être soignés. Ils y resteront trois ans, tentant de
communiquer avec leurs familles restées en Bosnie. Virginie Linhart
signe un documentaire émouvant sur cet exil, ayant retrouvé plusieurs de
ces enfants qui aujourd’hui se souviennent. Dans une salle du Bellevue à
Biarritz, elle nous parle de cette expérience.
La guerre, Virginie Linhart connaît. Non parce qu’elle l’a vécue
personnellement, mais parce que la plupart des films qu’elle a réalisés
traitent de ce sujet. Pourquoi cet intérêt exacerbé pour les conflits,
les morts et les survivants ? Parce que c’est un thème généralement
plébiscité par la gente masculine, plaisante la fidèle lectrice de
Simone de Beauvoir. Mais aussi parce que ses origines juives polonaises
l’on logiquement conduite à s’intéresser tout particulièrement à la
Seconde guerre mondiale.
Elle était donc venue présenter son film sur la Shoah au festival de
Blois lorsque sa productrice, Pascale Servan-Schreiber, lui fit part
d’une nouvelle idée de documentaire, dans le cadre du centenaire de
l’attentat de Sarajevo. Ce projet s’est formé à partir de 15h de rushs
inédits, constituant un « matériau d’archives inouï ». Ces rushs
proviennent de la collection personnelle de Romain Goupil, qui pendant
trois ans a été le « facteur vidéo » entre des enfants bosniens en
convalescence à Albertville et leurs familles demeurées à Sarajevo.
Sarajevo – Albertville : de la guerre à l’exil
Aujourd’hui, ces jeunes de 25 à 35 ans sont médecin, charpentier,
étudiants ou professeur de français. Vingt ans plus tôt, grièvement
blessés, ils étaient transportés en France pour subir des opérations
chirurgicales souvent longues et douloureuses. En Bosnie, dans les
hôpitaux bondés, on les aurait probablement amputés. La France fut leur
chance et leur salut. Mais si les premiers mois se déroulent dans
l’espoir, le soulagement de constater les progrès physiques indéniables,
bientôt la joie laisse place à la lassitude. Dans les préfabriqués
d’Albertville où les enfants et leurs mères vivent tous ensemble, la
nostalgie s’installe, et l’angoisse tord les ventres quand on pense aux
proches restés sous les bombes à Sarajevo. Pour égayer le quotidien,
certains trouvent des échappatoires. Comme ce groupe d’adolescents qui
s’adonne à la réalisation de mini-vidéos parodiques, déployant leur
humour noir dans des satyres de chaînes d’information publique. En
parallèle, ils créent également un journal dans lequel ils publient
leurs dessins et leurs textes, bilingue français – bosniaque.
Un nouvel élément vient bientôt rompre la monotonie et apaiser les
inquiétudes. Devant l’extrême difficulté pour les exilés de joindre
leurs familles, Romain Goupil propose d’enregistrer des messages vidéos
destinés aux proches, et de les apporter ensuite à Sarajevo. Là-bas, il
organise des projections clandestines, et filme les réponses à
l’attention des convalescents d’Albertville. Pendant plusieurs mois,
celui dont la caméra a aussi immortalisé l’évacuation des enfants fera
ainsi la navette entre les deux villes.
Entre histoire et actualité, un reportage poignant
C’est sur ces archives exceptionnelles que s’est appuyée Virginie
Linhart pour élaborer son documentaire. Elle y mêle également de
poignantes images du siège de Sarajevo, principalement tirées de la
télévision bosniaque, ainsi que des interviews avec les quelques
ex-enfants d’Albertville qui ont accepté de témoigner.
Retrouver ces enfants, explique Virginie Linhart, n’a pas été trop
difficile. Avec l’aide de Sanda, la femme bosniaque de Romain Goupil,
elle contacte les jeunes et leurs familles. Certains refusent, d’autres
sont partis à l’étranger. Mais certains acceptent de participer,
revenant sur leurs souvenirs de ces années en France. On voit leurs
visages émus, voire bouleversés, devant le visionnage des archives de
Goupil. Parler de l’événement à l’origine de leurs blessures reste
douloureux.
Bien qu’ayant vécu ensemble trois années durant, les enfants
d’Albertville n’ont jamais cherché à se revoir après leur retour en
Bosnie, à la fin de la guerre. Le temps passé en France a été avant tout
une parenthèse dans leurs existences, quelques mois d’attente
confortable avant de retourner à la vraie vie. Néanmoins, pour certains
ce séjour a été décisif dans leurs choix d’avenir ; deux d’entre ont
ainsi décidé de rester en France, une autre est aujourd’hui professeur
de français.
Outre la rétrospective intéressante qu’il offre sur le conflit
yougoslave, le documentaire de Virginie Linhart séduit par son aspect
humain, suivant ainsi une poignée d’individus avec leurs expériences et
leurs parcours. Retrouver les visages vieillis de ces enfants dont on a
vu les corps sur les civières et les regards marqués par la guerre a
quelque chose de réellement émouvant. Pour la réalisatrice, la
principale difficulté a justement été de s’approprier ces personnages
qu’elle n’avait pas choisis, à la différence de ces précédents
documentaires. Elle dit avoir été marqué par leur dignité, leur
autodérision, sans haine ni pathos.
Pour Virginie Linhart, la guerre de Bosnie était une chose lointaine,
très éloignée de nos propres préoccupations. Avec ce film, elle enfin
découvert la signification de cette phrase que les actualités françaises
diffusaient alors : « Sarajevo, c’est nous. »