samedi 11 octobre 2014

Sur la robe de la mère dans Cendrillon



(...)Dans le spectacle, cette absence/ présence ( de la mère morte) est rendue sensible par un accessoire (Faut-il dire un costume ?) : la robe de la mère de la très jeune fille. En effet, on apprend que Sandra dort avec cette robe. Une nuit, la belle-mère surprend le père apporter en cachette à Sandra cette robe, sorte d’objet transitionnel :
« LE PERE : Chez nous, elle avait l’habitude de l’avoir avec elle dans sa chambre, ça l’aide à dormir ! C’est des trucs de gosses ça! C’est pas grave! ça va lui passer ! Après elle nous laissera tranquilles tu vois! Elle fera sa petite vie avec sa mère... avec la robe de sa mère et voilà ! C’est pour nous que je fais ça en réalité ! Pour qu’on se retrouve nous ! Nous deux ! »
30Le lapsus du père montre que l’équivalence entre l’être et le vêtement de la mère ne se fait pas seulement dans l’esprit de Sandra. D’ailleurs, la belle-mère s’écrie ensuite : « Jamais ton ex-femme ne viendra dans ma maison ! / LE PERE : Mais elle est morte. / LA BELLE-MERE : Ça m’est égal ! il est hors de question qu’elle habite chez moi ! c’est tout ! »
31On sait l’importance du costume pour la compagnie. Isabelle Deffin (costumière de la troupe) considère que son travail consiste à trouver le vêtement en parfaite adéquation avec l’identité et la personnalité des personnages. Cette quête artistique, qui consiste à trouver presque une équivalence entre le personnage et le costume est en germes dans le texte : la robe de la mère est, d’une certaine manière, la mère. En un sens, cet accessoire vient donner corps à la mère morte. Elle donne à voir de manière concrète l’absente, la réalité fantôme, pour le plus grand trouble du spectateur. On touche là à un point essentiel des convictions et de l’univers artistique de Joël Pommerat. Le réel ne se limite pas au rationnel,  «cette tension entre réalité réelle et réalité perçue ou imaginée » traverse toute son œuvre :  
« les choses», nous dit-il « sont composées de ce qu’elles sont et de l’imaginaire qui les accompagne. La réalité se situe aussi dans la tête »
« Je souhaitais donner corps, non pas au réel ou à l’action, mais à l’imaginaire ».
« Pour toucher à la réalité humaine, il ne faut pas choisir entre le dedans et le dehors mais admettre l’entremêlement des deux ».
La robe de la mère n’est pas seulement robe, vêtement. Si, elle est dans l’esprit de Sandra, la mère, alors cette robe est robe et mère à la fois, elle est à la fois vide et pleine d’une absente / présente.(...)
Article dans la revue Agon