(...)Dans le spectacle, cette absence/
présence ( de la mère morte) est rendue sensible par un accessoire (Faut-il
dire un costume ?) : la robe de la mère de la très jeune fille. En effet, on
apprend que Sandra dort avec cette robe. Une nuit, la belle-mère surprend le
père apporter en cachette à Sandra cette robe, sorte d’objet
transitionnel :
« LE PERE : Chez nous, elle avait l’habitude de l’avoir
avec elle dans sa chambre, ça l’aide à dormir ! C’est des trucs de gosses ça!
C’est pas grave! ça va lui passer ! Après elle nous laissera tranquilles tu
vois! Elle fera sa petite vie avec sa mère... avec la robe de sa mère et voilà
! C’est pour nous que je fais ça en réalité ! Pour qu’on se retrouve nous !
Nous deux ! »
30Le
lapsus du père montre que l’équivalence entre l’être et le vêtement de la mère
ne se fait pas seulement dans l’esprit de Sandra. D’ailleurs, la belle-mère
s’écrie ensuite : « Jamais ton ex-femme ne viendra dans ma maison ! /
LE PERE : Mais elle est morte. / LA BELLE-MERE : Ça m’est égal !
il est hors de question qu’elle habite chez moi ! c’est tout ! »
31On
sait l’importance du costume pour la compagnie. Isabelle Deffin (costumière de
la troupe) considère que son travail consiste à trouver le vêtement en parfaite
adéquation avec l’identité et la personnalité des personnages.
Cette quête artistique, qui consiste à trouver presque une équivalence entre le
personnage et le costume est en germes dans le texte : la robe de la mère est,
d’une certaine manière, la mère. En un sens, cet accessoire vient donner corps
à la mère morte. Elle donne à voir de manière concrète l’absente, la réalité
fantôme, pour le plus grand trouble du spectateur. On touche là à un point
essentiel des convictions et de l’univers artistique de Joël Pommerat. Le réel
ne se limite pas au rationnel, «cette tension entre réalité réelle et
réalité perçue ou imaginée »
traverse toute son œuvre :
« les choses», nous dit-il « sont composées de ce qu’elles
sont et de l’imaginaire qui les accompagne. La réalité se situe aussi dans la
tête »
« Je souhaitais donner corps, non pas au réel ou à l’action,
mais à l’imaginaire ».
« Pour toucher à la réalité humaine, il ne faut pas choisir
entre le dedans et le dehors mais admettre l’entremêlement des deux ».
La
robe de la mère n’est pas seulement robe, vêtement. Si, elle est dans l’esprit
de Sandra, la mère, alors cette robe est robe et mère à la fois, elle est à la
fois vide et pleine d’une absente / présente.(...)
Article dans la revue Agon