Mise en scène de Guy-Pierre Couleau:extrait video
Dossier sur la mise en scène de Guy-Pierre Couleau
Les justes Camus 1950
L’intrigue
Annenkov, Stepan, Dora, Kaliayev et Voinov établissent un plan afin
d’assassiner le grand-duc qui doit se rendre en calèche, un soir, au théâtre.
Les cinq personnages font partie d’un groupe de socialistes révolutionnaires
soucieux de la libération du peuple russe. Le grand-duc veut faire régner la
terreur et la domination sur son territoire. Annenkov, à la tête de cet
attentat veut libérer les victimes de la "dictature". Chacun répète
son "rôle" et la tâche qu’il doit accomplir (faire le guet, envoyer
la bombe...). A l’arrivée du grand-duc dans la ville, alors qu’ils s’apprêtent
tous à agir pour le "bien du peuple ", Kaliayev est dans l’impossibilité
de commettre ce crime. La présence d’une femme et d’enfants l’en dissuade. Ils
décident donc de remettre leur geste meurtrier mais nécessaire à plus tard Résumé ACTE I
Le rideau se lève sur deux personnages, puis la scène se peuple peu à peu, de telle façon que le groupe de terroristes soit au complet dès le premier tiers de l’acte.
Annenkov, le chef du groupe, en compagnie de Dora, acueille successivement Stepan, évadé du bagne, puis Voinov, qui était chergé d’un repérage topographique, enfin Kaliayev. Cette partie, qui fait office de prologue, à d’évidentes qualités dramatiques : un climat est crée, une atmosphère de clandestinité. Les nouveaus arrivants usent d’un signal convenu. Des silences, des regards, des jeux de scène révèlent, dans un décor austère (en fait, Camus se borne à indiquer que c’est un « appartement »), la tension, l’angoisse de gens qui se cachent et préparent un « coup ». En outre, la personnalité de chacun d’eux se laisse très vite deviner, fût-ce par un détail ou par quelques mots : Annenkov est le chef, soucieux de la cohésion du groupe. Voinov, jeune et fougueux, semble avoir hâte d’agir. Stepan est dur, intransigeant, et il s’oppose à Kaliayev qui met de la fantaisie partout et qui a éprouvé le besoin de changer, à son usage, le signal convenu. Quant à Dora, seule présence féminine, on la sent richement douée pour l’amitié, et plus encore pour l’amour.
La suite de l’acte est occupée par la préparation de l’attentat qui doit avoir lieu le lendemain, contre le grand-duc Serge, quand il se rendra au théâtre. Kaliayev doit lancer la première bombe ; Voinov, la seconde, si c’est nécessaire. Des détails indispensables sont donnés, mais tiennent assez peu de place, tandis que Camus invite déjà les spectateurs à réfléchir sur la personnalité du vrai révolutionnaire et sur la justification du meurtre. Ces thèmes nourissent successivement le dialogue violent qui oppose Stepan à Kaliayev, et le dialogue tendre et grave entre ce même Kaliayev et Dora à la fin de l’acte.
ACTE II
Dans le même décor, le lendemain, Annenkov et Dora attendent le moment où va être lancée la bombe. Ce qu’on appelle volontiers maintenant le « suspense » est très intelligemment ménagé, à tel point que le spéctateur, même s’il est au courant de la suite des événements, ne peut s’empêcher de participer à cette attente. Le silence, alors que la bombe aurait dû éclater, le retour d’un Voinov éperdu, puis d’un Kaliayev en larmes, nous font connaître l’echec de l’attentat, et Stepan en donnera la raison quand il apprendra aux autres la présence de deux enfants dans la calèche : le neveu et la nièce du grand-duc. La partie la plus remarquable de cet acte est un nouveau dialogue entre Kaliayev et Stepan, dialogue au cours duquel est clairement exposé le problème de la fin et des moyens. Chacun des autres personnages réagit selon sa nature . Dora, toujours prête à défendre Kaliayev
qu’elle aime, s’élève contre la volonté de destruction sans limite qui anime Stepan. Annenkov (qui parle peu) cherche à maintenir le groupe dans sa droite ligne, et oriente ses camarades vers la préparation d’une nouvelle action. Voinov laisse apparaître son angoisse et son hésitation à l’idée de « recomencer ».
ACTE III
On pourrait craindre un piétinement, ou même une régression, puisqu’on reprend la préparation de l’attentat, et qu’on attend de nouveau sa réalisation. Mais l’état des esprits est tout autre. L’échec a fait retomber l’exaltation. Le plus touché a été Voinov. Il s’avoue « désespéré » et renonce à l’action directe ; son départ ressemble à une fuite. Kaliayev, qui se juge responsable de cette défection, se proclame « heureux » mais, pas plus que Dora, ne peut dissimuler sa tristesse. La foi dans l’action révolutionnaire semble les quitter. Ils ne renoncent pas, mais déjà cherchent au-delà. On ne saurait rester insensible en écoutant le dialogue de Kaliayev et de Dora qui, on l’a vu, a été le germe de la pièce. « Coeur », « tendresse », « amour », « paix », tels sont les mots qui donnent à ce duo une vibration aussi puissante que discrète. En contrepoint, c’est une déclaration de haine à l’humanité que fait Stepan à la fin de l’acte. On entend alors, comme dans l’acte II, le bruit d’une calèche ; puis, cette fois, c’est l’explosion. Mais, au cri de joie de Stepan répond la détresse de Dora, qui se sent responsable du meurtre.
ACTE IV
C’est un acte un peu surprenant, une sorte de parenthèse dans la pièce. Le décor, différent de celui des trois premiers actes, est une cellule de prison. Les personnages, en dehors de Kaliayev, ne nous étaient pas connus jusque-là. Le meurtrier du grand-duc, tel Polyeucte dans latragédie de Corneille, est soumis à plusieurs tentations. D’abord, avec Foka, c’est la tentation de l’absurde : à la fois victime et bourreua, cet homme simple se voit retirer un an de prison pour chaque condamné qu’il pend. Il ne comprend rien au geste de Kaliayev, ni à son idéal révolutionnaire. Avec Skouratov, le chef de la police, c’est la tentation du cynisme. Cet homme sûr de lui, ironique, et qui ne manque pas de bon sens, se livre à un chantage : s’il passe aux aveux, on évitera que ses camarades ne croient à la trahison ; sinon, on leur laissera croire qu’il a trahi. Avec la grande-duchesse enfin, c’est la tentation de la charité : sincère, profondément pieuse, elle voudrait obtenir de Kaliayev qu’il accepte de vivre pour expier. Ces trois personnages nous font connaître, chacun à leur manière, l’attitude du monde extérieur à l’égard de l’action terroriste. Dans les trois cas, il y a contresens ; dans les trois cas, l’action terroriste telle que la conçoivent Kaliayev et ses amis est mal interprétée. Le prisonnier, que nous avons senti ébranlé dès avant la réussite de son geste, ne va-t-il pas céder ?
ACTE V
Le lien se renoue avec les actes I, II et III. On retrouve un appartement « de même style » que le précédent. On retrouve les membres de l’organisation, y compris Voinov, qui a repris courage. Tous attendent de savoir si Kaliayev sera ou non exécuté, et les problèmes déjà évoqués surgissent à nouveau, mais sous l’éclairage lugubre de la mort. Que signifientl’amour, la vie, la révolution, le sacrifice ? C’est à Stepan que revient le soin de raconter l’exécution de Kaliayev. Et, tandis que le destin de celui-ci s’achève, l’action révolutionnaire va continuer, puisque Dora obtient la promesse de lancer elle-même la prochaine bombe. Mais elle accomplira ce geste comme une sorte de suicide, pour rejoindre Kaliayev. Les deux amants ne pourront être unis que dans la mort. Et ce n’est pas forcer les choses que d’évoquer ici Roméo et Juliette, puisque Camus a choisi comme épigraphe quelques mots empruntés au drame de Shakespeare, et que l’on peut traduire ainsi : « O amour ! O vie ! Non pas la vie, mais l’amour dans la mort ». Tragédie politique, Les justes s’achèvent ainsi en tragédie d’amour.