Un fil à la patte (1894)de Georges Feydeau entre au répertoire de la
Comédie-Française en1961 dans une mise en scène de Jacques Charon. Cette mise
en scène sera ensuite reprise et captée au théâtre Marigny en 1970. Jacques
Charon,entré au Français à 21 ans, a effectué sa carrière parallèlement dans la
Maison et sur les boulevards. Sa mise en scène se ressent de cette double
filiation : elle garde les codes (décors, costumes, jeu) du vaudeville à sa
création :
apartés
adressés au public mais sans clin d’œil appuyé, silhouettes des personnages secondaires
vite tracées mais vivantes, et surtout
un sens du
rythme et du comique mémorable porté par des comédiens très complices parvenus
au sommet de leur art : Jean Piat en Bois-d’Enghien se présente comme aussi bel
homme que faible ; Micheline Boudet campe une Lucette gracieuse et élégante qui
joue de toutes les armes de la divette, du chant, de la danse, du jeu ; Robert
Hirsch en Bouzin construit une figure inoubliable, burlesque et ridicule, allant
souvent jusqu’à la pantomime. Micheline Boudet et Robert Hirsch ont d’ailleurs
une formation de danseurs.
L’objectif
de cette mise en scène est de divertir le public du Français sans appuyer sur
le caractère grivois ni sur la satire de la bourgeoisie. André Levasseur
recherche un parfum de la Belle Époque. Les décors parodient le style « nouille
» en même temps qu’ils rappellent les
décors
d’origine : salon au premier acte, chambre aménagée en loge au deuxième acte,
avec portes et armoires, comme il se devait pour la plupart des vaudevilles.
Rappelons qu’à l’époque de la création les décors appartenant au théâtre
servaient pour de nombreuses pièces.
L’escalier
de l’acte III, par contre, renvoie à la mode des décors spectaculaires de la
fin du XIXesiècle. Les costumes du même André Levasseur – quis’était
illustré en créant les décors des grandes fêtes organisées en l’honneur du
mariage de prince Régnier et de Grace Kelly à Monaco en 1956, et avait
travaillé avec Christian Dior avant d’arriver au théâtre – mettent en valeur
chaque personnage : Lucette devient une trèsbelle femme élégante, plus
fantaisiste que facile ; Bois-d’Enghien un bel homme fat et Bouzin un ridicule
petit-bourgeois à cause, entre autres, des gants dont il n’arrive pas à se
débarrasser.
Tout en
étant historisante, la mise en scène se veut légère : la critique des mœurs
n’est pas l’enjeu, on se situe davantage du côté vaudeville divertissant que de
la grande comédie
.
La mise en
scène d’Alain Sachs est un exemple de vaudeville tel que le théâtre privé a
encore, particulièrement en province, coutume d’en monter.
Le décor
respecte les didascalies et se met en place à vue. Il est donc assez léger et
peut tourner facilement dans de petites salles ; les
costumes
tendent à caricaturer les personnages, ainsi de Marceline déguisée en petite marinière
ou de Nini Galant affublée d’un boa rouge qui sent la rue davantage que le
salon.
Le jeu est
très chargé, les clins d’œil au public sont constants : tout dans cette mise en
scène est dirigé non par les enjeux du texte, mais par l’effet à produire, le
rire. Nous sommes là en présence d’un vaudeville qui se souvient de ce qu’il
doit au théâtre de foire et à la tradition du théâtre dit de boulevard.
Jérôme
Deschamps montre les travers de la société avec légèreté et cruauté, car la
drôlerie n’exclut pas le cynisme. Le metteur en scène fait confiance à sa
troupe qu’il connaît bien, sachant que chacun y ajoute ses inventions intérieures,
pour entrer au mieux dans la
mécanique de
Feydeau. Il évite le jeu psychologique
et mise sur
la connivence avec les spectateurs en position de « surplomb » : ils peuvent
anticiper péripéties et quiproquos et se
laisser
aller à un rire cathartique jubilatoire.
Le registre
burlesque est parfaitement maîtrisé déjà par Jérôme Deschamps. Il sait aussi trouver
le rythme juste avec les accélérations et les enchaînements des différentes
vitesses exigées par le texte.