21Bien qu’hétérogène, ce chœur, contrairement à celui des Bacchantes de Grüber, fonctionnait souvent à l’unisson :
 à plusieurs reprises il proférait ou chantait le texte d’une seule 
voix. La chorégraphie, elle aussi, privilégiait les mouvements 
d’ensemble, et les choristes effectuaient souvent des tâches en commun. 
Ainsi, pour la Parodos, où le chœur se présente, narre l’origine divine 
de Dionysos et exhorte les thébains à se joindre à ses danses, les huit 
comédiennes entraient en une danse chaloupée, en chantant sur le rythme 
tenu et tonique des tambours des six musiciens29.
22Dans
 le premier Stasimon, après avoir dénoncé l’hybris de Penthée à 
Dionysos, le chœur donne sa version de la sagesse et loue celui qui sait
 jouir de la vie. Langhoff scinda ce passage en deux temps aux énergies 
différentes : d’abord empreinte de la tonicité de la Parodos (les 
Bacchantes assises en cercle racontaient à tour de rôle le comportement 
de Penthée, sur un ton agressif), puis beaucoup plus calme (l’une 
d’elles étalait un immense tissu jaune que les femmes se mettaient à 
coudre de concert, psalmodiant doucement leur texte).
23Le
 deuxième Stasimon constitue une adresse aux dieux, à Dionysos, à qui le
 chœur demande d’accourir d’où qu’il se trouve, pour le délivrer de 
Penthée. Les Bacchantes s’enroulaient dans le drap qu’elles avaient 
cousu, s’emprisonnant d’elles-mêmes comme par empathie avec leur maître.
 Leurs phrases et leurs voix se mêlaient dans des cris de révolte. Au 
changement des lumières sur les terrifiants « Iô, Iô » de Dionysos qui 
annonçaient le séisme, elles se recroquevillaient, avant de s’éparpiller
 en tous sens à l’entrée du chef percussionniste qui, dans la fumée et 
un bruit assourdissant, symbole des forces des ténèbres déchaînées, se 
mettait à battre son tambour au centre de l’orchestra. Durant ce long 
« tremblement de terre », les Bacchantes se tenaient juchées sur les 
échafaudages et le toit de la boucherie.
24Elles
 chantaient ensuite jusqu’au début du troisième Épisode, où Dionysos 
raconte l’humiliation qu’il vient d’infliger à Penthée – de manière 
générale, les choristes poursuivaient leurs chants et leurs danses en 
dehors des cinq Stasima.
25Pour
 le troisième Stasimon, lorsque le chœur évoque les punitions des dieux 
envers les impies, les Bacchantes, en jupon et seins nus, effectuaient 
une « ronde mécanique » sur des balançoires rudimentaires suspendues en 
place des carcasses bovines à la chaîne d’abattage de la boucherie.
26Dans
 le quatrième Stasimon, où elles s’identifient aux ménades et appellent 
la vengeance du dieu, sept d’entre elles revenaient vêtues d’une longue 
robe gris sale, pieds nus, et coiffées de masques monstrueux, 
mi-cubistes, mi-aborigènes. La huitième, habillée en « petite fille 
modèle », chantonnait doucement sur scène : « que vienne la justice ! »,
 tout en jouant à la poupée. Devant elle, ramassée en une masse compacte
 au bord de l’orchestra, la troupe de ménades lançait ses appels à la 
vengeance directement au public, en claquant dans les mains, dans un 
même élan agressif.
27Pour
 leur danse de l’Exodos, où le chœur se réjouit de la mort de Penthée, 
les Bacchantes se déchaînaient. Ayant ôté leurs masques, alors qu’elles 
avaient valsé tranquillement au début du récit du Messager puis qu’elles
 s’étaient tenues assises à l’écouter, elles bondissaient pour exécuter 
une sorte de danse guerrière primitive, en rond, sur le rythme 
frénétique des percussions (deux d’entre elles maniaient aussi des 
tambourins), ce jusqu’à l’entrée d’Agavé (Évelyne Didi30),
 qui emboîtait leur danse pour fêter son « triomphe ». Le chœur restait 
ensuite présent jusqu’à la fin, assis par terre ou sur des chaises, 
assistant plus ou moins immobile à la révélation d’Agavé et à la scène 
de deuil, dans une indifférence ostensible (l’une des femmes lisait). Au
 départ de Cadmos et d’Agavé pour l’exil, toutes se levaient, 
ramassaient leurs fripes et, armées de leurs ballots, face au public, 
d’une seule voix, prononçaient les mots du coryphée qui closent la 
tragédie d’Euripide.