jeudi 23 avril 2015

Docteur Camiski ou l'esprits du sexe: une critique intéressante

Docteur Camiski ou l’esprit du sexe (Éditions de L’Arche), théâtre feuilleton en 7 épisodes, de 6 centres dramatiques et leur équipe artistique, écrit à quatre mains par Pauline Sales et Fabrice Melquiot, mises en scène – Episode 1 – de Richard Brunel de La Comédie de Valence, CDN Drôme Ardèche, – Episode 2 de Johanny Bert du Fracas à Montluçon, CDN de Montluçon-Auvergne, – Episode 3 de Guy-Pierre Couleau de La Comédie de l’Est à Colmar, CDN d’Alsace, – Episode 4 de Pauline Bureau de la Compagnie La Part des Anges, Episode 5 de Arnaud Meunier de La Comédie de Saint-Étienne, CDN, – Episode 6 de Yves Beaunesne de La Comédie Poitou-Charentes à Poitiers, CDN, – Episode 7 de Fabrice Melquiot du Théâtre Am Stram Gram de Genève, et Pauline Sales du Préau, CDR de Basse-Normandie-Vire.


« J’étais psy. Avant. Et puis, j’ai voulu devenir sexologue. Il y avait une telle panne de désir. Généralisée, j’entends. À croire que le monde débande. Je n’entendais que ça. Chez chacun. Homme ou femme. Ils avaient tellement envie d’avoir envie. »

Un sourire en passant, et il y en aura d’autres, à l’évocation people d’un des tubes de Johnny Halliday appelés en renfort pour « durcir » l’argumentation en question.

Ainsi parle le Docteur Virgile Camiski dont le radical du patronyme s’inspire peut-être de l’humoriste français Pierre-Henri Cami (1884-1958). Doué pour la caricature et pour le théâtre loufoque, Cami crée des personnages burlesques jusqu’en 1940.
La représentation en 2015 et en sept épisodes d’une épopée contemporaine par les auteurs de théâtre, Pauline Sales et Fabrice Melquiot, sur la question de savoir comment on expérimente sa relation quotidienne et existentielle avec le sexe, s’annonce plutôt joyeuse sous les auspices solaires d’une bonne comédie populaire.
Le catalogue des situations déclinées dans la vie quotidienne, selon les inclinations de chacun, d’un épisode à l’autre, s’inspire des séries offertes au regard voyeuriste.
Les auteurs ont imaginé, apprend-on, un feuilleton historique, social, poétique et philosophique qui prend comme angle premier la sexualité.
Le feuilleton théâtral se fonde sur le plateau à partir des séances de consultation du docteur Camiski, psychiatre et spécialiste des thérapies de couple que consultent des patients successifs banals ou atypiques, seuls ou en couple.
Le comédien Vincent Garanger, co-directeur avec Pauline Sales du Préau, CDR de Basse-Normandie-Vire, incarne le médecin, un physique mythique à la Yul Brynner, personnage taiseux, calme froid et force intérieure, la chienne Junon à ses pieds.
Dans ce cabinet en triangle habillé de plusieurs jeux de fauteuils en duo ou en solo, se dévoilent non seulement des choses intimes dont on ne parle pas, à Tours comme ailleurs, mais les problèmes masculins d’impuissance dont il faut traiter, tel le cas du tourangeau Yann Delay (Éric Massé), figure convenue du chanteur bisexuel de variété télévisuelle en mal fébrile de séduction et consommateur exaspéré des biens matériels et immédiats de ce monde (Épisode 1 : Obsession, mise en scène de Richard Brunel).
 Dans une école du centre-ville de Tours, l’instituteur Claude Pané (Thomas Gornet) – qu’appelle le jeu de mots inévitable sur la « panne » -, abstinent depuis six ans, craint de ne pouvoir concrètement passer à l’acte dans une affaire qui s’ébauche avec une collègue sympa. Le précieux Camiski l’accompagne au rendez-vous mais se défile au moment crucial pour laisser libre son patient, incapable pourtant de satisfaire la belle, non loin la chienne Junon veille…
Auparavant, aura surgi pour la première fois le fils de Camiski, Pierre, dont on avait déjà entendu la voix sur le répondeur paternel, bachelier parti en Australie travailler dans une ferme bio, qui est tombé amoureux de la fermière qui pourrait être sa mère. (Épisode 3 : Ouvert au coup de foudre, mise en scène de Guy-Pierre Couleau).
D’un autre côté, pour le couple d’homosexuels, Paul Bouillet (Anthony Poupard) et Jérémy Tournier (Martin Kipfer), unis depuis cinq ans, la déroute guette également avec l’étiolement du désir et les aventures collatérales pour Paul ; chacun voudrait éviter la catastrophe en se retrouvant sur un projet commun : élever un enfant à deux. Un enfant de la guerre ? Un Syrien ? Un Africain ? L’enfant « naturel » de l’un ? Rien ne va de soi. (Épisode 5 : L’Enfant, mise en scène d’Arnaud Meunier).
À Camiski encore, revient la rencontre d’une figure mystique, Sœur Héloïse (Jessica Vedel), religieuse et objet d’une Annonciation inédite puisqu’elle se dit enceinte, travaillant auprès des Roms, habitée par un feu d’amour pour Jésus qui l’emplit d’un plaisir ardent. Un sourire de poupée miniature, assise sur un bras de fauteuil, apporte la gaieté réelle d’un théâtre d’objets, une marionnette amusée, un joli miroir tendu à la religieuse (Épisode 2 : Comblée, mise en scène de Johanny Bert).
Avec Purple Radio, Arrivée là par hasard et Yasmine, dans les mises en scène respectives de Pauline Bureau et Yves Beaunesne d’abord, puis de Fabrice Melquiot et de Pauline Sales -, on bascule davantage du côté féminin de l’humanité, avec la présence inattendue chez le sexologue d’une quarantenaire épanouie dans l’art de la provocation, Kate Lagrange (Anne Cressent), ancienne actrice du porno, reconvertie dans une émission de radio sur la sexualité pour adolescents (Épisode 4).
La situation loufoque est radicalement farcesque ; la séance bon enfant au comique grotesque s’arrête au moment où l’on voit se plaindre la vedette défaite qui, écœurée par les hommes, milite près de sa nièce pour une attirance salutaire entre femmes.
Elle entraîne Camiski sur les chemins glissants d’une animation de radio endiablée, recourant aux mots espiègles et ludiques, un moment de franc divertissement.
On retrouve dans le salon de consultation une adolescente (Chloé Chantôme), venue sans rendez-vous (Épisode 6), après la séance thérapeutique de sa mère.
Atteinte du virus VIH, elle menace de contaminer le médecin, une seringue à la main, s’il ne l’accompagne en bord de la mer, près de M. Hulot à Saint-Marc-sur- Mer…
Quant à l’Épisode 7, il met en scène Sybille (Aurélie Édeline), l’épouse hystérique de Camiski dont on aura entendu le monologue récurrent dans les épisodes précédents sur le répondeur enregistreur du praticien qui ne répond jamais aux appels, ou par Skype. L’ex-épouse est en présence de la jeune compagne de Camiski, Yasmine (Olivia Châtain) qui a l’âge de son fils, et est mère d’une enfant de neuf ans.
À l’amour trans-générationnel du jeune fils pour une femme plus âgée répond en écho l’amour du père pour une femme plus jeune, un terrain d’entente possible.
Le médecin, et non pas le patient, s’est finalement révélé peu à peu à lui-même grâce à l’intervention paradoxale de ses « malades » – un contre-transfert inattendu – puisqu’après chaque consultation le maître en sexologie délivre son diagnostic en mettant en scène spectaculairement sa propre vision du cas clinique, en l’exacerbant dans une mise à distance nécessaire qu’il se réapproprie aussitôt.
C’est l’occasion, en clôture de chaque épisode, d’un solo dément de théâtre inventif et créatif du sexologue-roi et maître, un instant libre de théâtre dans le théâtre.
À bien réfléchir sur l’état d’une société, la perdante de l’histoire pourrait être Sybille, l’épouse de Camiski, la mère de Pierre, à laquelle il ne reste qu’une nervosité convulsive qui agace ses proches, absolument insupportable, mais dont la force de vie ne s‘épuise jamais, capable d’analyse sur ses propres fragilités et ses manques.
C’est elle qui semble la victime désignée des railleries et dérisions complaisantes.
L’épopée s’accomplit toutefois sur le plateau comme un divertissement amusé et un morceau de bravoure pour Vincent Garanger/Camiski, en scène continuellement.
Les représentations répondent d’abord à un esprit festif et moqueur, que frôlent les questions contemporaines de société, sans la moindre prétention à vouloir cerner et résoudre les problèmes posés, ni appesantissement sur une morale out-fashioned.
Un regard enjoué de distraction amusée et allègre sur la planète des intimités.
Véronique Hotte

Intégrale : Le Préau – CDN Basse-Normandie- Vire, le 14 mars,
Les Scènes du Jura, le 11 avril, Saint-Etienne, le 6 juin.
Épisode 1 : Valence, Festival Ambivalence(s), du 23 au 27 mai, Vire, Présentation de saison, extraits 1 et 2, le 13 juin. Épisodes 1 et 2 : Poitiers, le 9 juin. Épisodes 3 et 4 : Poitiers, le 10 juin. Épisodes 6 et 7 : Valence, les 19 et 20 mars, Colmar, les 21, 22 et 23 avril, Poitiers, le 11 juin. Épisode 7 Saint-Étienne, le 5 juin
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