Docteur Camiski ou l’esprit du sexe (Éditions de L’Arche), théâtre
feuilleton en 7 épisodes, de 6 centres dramatiques et leur équipe
artistique, écrit à quatre mains par Pauline Sales et Fabrice Melquiot,
mises en scène – Episode 1 – de Richard Brunel de La Comédie de Valence,
CDN Drôme Ardèche, – Episode 2 de Johanny Bert du Fracas à Montluçon,
CDN de Montluçon-Auvergne, – Episode 3 de Guy-Pierre Couleau de La
Comédie de l’Est à Colmar, CDN d’Alsace, – Episode 4 de Pauline Bureau
de la Compagnie La Part des Anges, Episode 5 de Arnaud Meunier de La
Comédie de Saint-Étienne, CDN, – Episode 6 de Yves Beaunesne de La
Comédie Poitou-Charentes à Poitiers, CDN, – Episode 7 de Fabrice
Melquiot du Théâtre Am Stram Gram de Genève, et Pauline Sales du Préau,
CDR de Basse-Normandie-Vire.
« J’étais psy. Avant. Et puis, j’ai voulu devenir sexologue. Il y
avait une telle panne de désir. Généralisée, j’entends. À croire que le
monde débande. Je n’entendais que ça. Chez chacun. Homme ou femme. Ils
avaient tellement envie d’avoir envie. »
Un sourire en passant, et il y en aura d’autres, à l’évocation people
d’un des tubes de Johnny Halliday appelés en renfort pour « durcir »
l’argumentation en question.
Ainsi parle le Docteur Virgile Camiski dont le radical du patronyme
s’inspire peut-être de l’humoriste français Pierre-Henri Cami
(1884-1958). Doué pour la caricature et pour le théâtre loufoque, Cami
crée des personnages burlesques jusqu’en 1940.
La représentation en 2015 et en sept épisodes d’une épopée contemporaine
par les auteurs de théâtre, Pauline Sales et Fabrice Melquiot, sur la
question de savoir comment on expérimente sa relation quotidienne et
existentielle avec le sexe, s’annonce plutôt joyeuse sous les auspices
solaires d’une bonne comédie populaire.
Le catalogue des situations déclinées dans la vie quotidienne, selon les
inclinations de chacun, d’un épisode à l’autre, s’inspire des séries
offertes au regard voyeuriste.
Les auteurs ont imaginé, apprend-on, un feuilleton historique, social,
poétique et philosophique qui prend comme angle premier la sexualité.
Le feuilleton théâtral se fonde sur le plateau à partir des séances de
consultation du docteur Camiski, psychiatre et spécialiste des thérapies
de couple que consultent des patients successifs banals ou atypiques,
seuls ou en couple.
Le comédien Vincent Garanger, co-directeur avec Pauline Sales du Préau,
CDR de Basse-Normandie-Vire, incarne le médecin, un physique mythique à
la Yul Brynner, personnage taiseux, calme froid et force intérieure, la
chienne Junon à ses pieds.
Dans ce cabinet en triangle habillé de plusieurs jeux de fauteuils en
duo ou en solo, se dévoilent non seulement des choses intimes dont on ne
parle pas, à Tours comme ailleurs, mais les problèmes masculins
d’impuissance dont il faut traiter, tel le cas du tourangeau Yann Delay
(Éric Massé), figure convenue du chanteur bisexuel de variété
télévisuelle en mal fébrile de séduction et consommateur exaspéré des
biens matériels et immédiats de ce monde (Épisode 1 : Obsession, mise en
scène de Richard Brunel).
Dans une école du centre-ville de Tours,
l’instituteur Claude Pané (Thomas Gornet) – qu’appelle le jeu de mots
inévitable sur la « panne » -, abstinent depuis six ans, craint de ne
pouvoir concrètement passer à l’acte dans une affaire qui s’ébauche avec
une collègue sympa. Le précieux Camiski l’accompagne au rendez-vous
mais se défile au moment crucial pour laisser libre son patient,
incapable pourtant de satisfaire la belle, non loin la chienne Junon
veille…
Auparavant, aura surgi pour la première fois le fils de Camiski, Pierre,
dont on avait déjà entendu la voix sur le répondeur paternel, bachelier
parti en Australie travailler dans une ferme bio, qui est tombé
amoureux de la fermière qui pourrait être sa mère. (Épisode 3 : Ouvert
au coup de foudre, mise en scène de Guy-Pierre Couleau).
D’un autre côté, pour le couple d’homosexuels, Paul Bouillet (Anthony
Poupard) et Jérémy Tournier (Martin Kipfer), unis depuis cinq ans, la
déroute guette également avec l’étiolement du désir et les aventures
collatérales pour Paul ; chacun voudrait éviter la catastrophe en se
retrouvant sur un projet commun : élever un enfant à deux. Un enfant de
la guerre ? Un Syrien ? Un Africain ? L’enfant « naturel » de l’un ?
Rien ne va de soi. (Épisode 5 : L’Enfant, mise en scène d’Arnaud
Meunier).
À Camiski encore, revient la rencontre d’une figure mystique, Sœur
Héloïse (Jessica Vedel), religieuse et objet d’une Annonciation inédite
puisqu’elle se dit enceinte, travaillant auprès des Roms, habitée par un
feu d’amour pour Jésus qui l’emplit d’un plaisir ardent. Un sourire de
poupée miniature, assise sur un bras de fauteuil, apporte la gaieté
réelle d’un théâtre d’objets, une marionnette amusée, un joli miroir
tendu à la religieuse (Épisode 2 : Comblée, mise en scène de Johanny
Bert).
Avec Purple Radio, Arrivée là par hasard et Yasmine, dans les mises en
scène respectives de Pauline Bureau et Yves Beaunesne d’abord, puis de
Fabrice Melquiot et de Pauline Sales -, on bascule davantage du côté
féminin de l’humanité, avec la présence inattendue chez le sexologue
d’une quarantenaire épanouie dans l’art de la provocation, Kate Lagrange
(Anne Cressent), ancienne actrice du porno, reconvertie dans une
émission de radio sur la sexualité pour adolescents (Épisode 4).
La situation loufoque est radicalement farcesque ; la séance bon enfant
au comique grotesque s’arrête au moment où l’on voit se plaindre la
vedette défaite qui, écœurée par les hommes, milite près de sa nièce
pour une attirance salutaire entre femmes.
Elle entraîne Camiski sur les chemins glissants d’une animation de radio
endiablée, recourant aux mots espiègles et ludiques, un moment de franc
divertissement.
On retrouve dans le salon de consultation une adolescente (Chloé
Chantôme), venue sans rendez-vous (Épisode 6), après la séance
thérapeutique de sa mère.
Atteinte du virus VIH, elle menace de contaminer le médecin, une
seringue à la main, s’il ne l’accompagne en bord de la mer, près de M.
Hulot à Saint-Marc-sur- Mer…
Quant à l’Épisode 7, il met en scène Sybille (Aurélie Édeline), l’épouse
hystérique de Camiski dont on aura entendu le monologue récurrent dans
les épisodes précédents sur le répondeur enregistreur du praticien qui
ne répond jamais aux appels, ou par Skype. L’ex-épouse est en présence
de la jeune compagne de Camiski, Yasmine (Olivia Châtain) qui a l’âge de
son fils, et est mère d’une enfant de neuf ans.
À l’amour trans-générationnel du jeune fils pour une femme plus âgée
répond en écho l’amour du père pour une femme plus jeune, un terrain
d’entente possible.
Le médecin, et non pas le patient, s’est finalement révélé peu à peu à
lui-même grâce à l’intervention paradoxale de ses « malades » – un
contre-transfert inattendu – puisqu’après chaque consultation le maître
en sexologie délivre son diagnostic en mettant en scène
spectaculairement sa propre vision du cas clinique, en l’exacerbant dans
une mise à distance nécessaire qu’il se réapproprie aussitôt.
C’est l’occasion, en clôture de chaque épisode, d’un solo dément de
théâtre inventif et créatif du sexologue-roi et maître, un instant libre
de théâtre dans le théâtre.
À bien réfléchir sur l’état d’une société, la perdante de l’histoire
pourrait être Sybille, l’épouse de Camiski, la mère de Pierre, à
laquelle il ne reste qu’une nervosité convulsive qui agace ses proches,
absolument insupportable, mais dont la force de vie ne s‘épuise jamais,
capable d’analyse sur ses propres fragilités et ses manques.
C’est elle qui semble la victime désignée des railleries et dérisions complaisantes.
L’épopée s’accomplit toutefois sur le plateau comme un divertissement
amusé et un morceau de bravoure pour Vincent Garanger/Camiski, en scène
continuellement.
Les représentations répondent d’abord à un esprit festif et moqueur, que
frôlent les questions contemporaines de société, sans la moindre
prétention à vouloir cerner et résoudre les problèmes posés, ni
appesantissement sur une morale out-fashioned.
Un regard enjoué de distraction amusée et allègre sur la planète des intimités.
Véronique Hotte
Intégrale : Le Préau – CDN Basse-Normandie- Vire, le 14 mars,
Les Scènes du Jura, le 11 avril, Saint-Etienne, le 6 juin.
Épisode 1 : Valence, Festival Ambivalence(s), du 23 au 27 mai, Vire,
Présentation de saison, extraits 1 et 2, le 13 juin. Épisodes 1 et 2 :
Poitiers, le 9 juin. Épisodes 3 et 4 : Poitiers, le 10 juin. Épisodes 6
et 7 : Valence, les 19 et 20 mars, Colmar, les 21, 22 et 23 avril,
Poitiers, le 11 juin. Épisode 7 Saint-Étienne, le 5 juin
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