jeudi 9 avril 2015

Les Bacchantes d'Omar Porras

Site du théâtre malandro avec notamment une video




Un rideau translucide, des ombres chinoises, des corps nus déformés, une danse lente, et
la voix de Dionysos rappelant les amours de Zeus avec sa mère Sémélé, brûlée vive tandis
que son divin amant cache l’enfant en le cousant dans sa cuisse. Ainsi sauvé, Dionysos
parcourt l’Orient, entraînant une armée de femmes vouées à son culte, les Bacchantes.
Mais à Thèbes, sa ville natale, sur laquelle règne Penthée, elles et lui sont indésirables...
Bakkhantes est la dernière œuvre connue d’Euripide, la plus complexe, la plus sauvage
sans doute. Obligatoirement, elle devait attirer Omar Porras, qui, la saison dernière, se révé-
lait aux Abbesses avec  Noces de sang de García Lorca, rituel furieux, joyeux, du désir et
de la mort.
Ici plus encore, dans son adaptation resserrée sur l’essentiel, on plonge jusqu’aux racines du
tragique grinçant, dans le sang, dans la mutilation et les chants, dans les danses et les
masques, dans les travestissements. On plonge jusqu’aux racines du théâtre dont on
dit qu’il est né des rites célébrant Dionysos, les bacchanales.
C’est sur les échanges d’identité, sur les faux-semblants et les passions vraies que se
construit l’histoire de Bakkhantes: Dionysos entre à Thèbes sous l’apparence d’un humain
Par esprit de vengeance, il convertit les Thébaines, convainc Penthée de les rejoindre,
pour voir, se rendre compte, sévir. Mais alors,le roi, le macho, doit se vêtir en femme. Et plus
encore, abandonner à jamais son état d’homme. Entraîné dans la bacchanale, il se-
ra écartelé, déchiré, lacéré par sa propre mère, Agavè, qui, mêlée aux bacchantes,
s’est dissoute dans l’ivresse du rituel.
On a parfois donné à la légende une coloration politique, Penthée symbolisant le "monstre froid" de l’État, la dictature de la raison, alors que Dionysos porte la liberté, le goût du bonheur. Mais, parce que né en Colombie, ses premiers contacts avec la théâtralité passent par l’Église, Omar Porras se
réfère à ce qu’il appelle une iconographie religieuse. À vrai dire absolument païenne. Il entre de plain-pied dans le labyrinthe du mythe. Il multiplie les ambiguïtés. Les bacchantes arborent des signes féminins et masculins, la part animale est visible chez la plupart des personnages. Une actrice inter-prète Dionysos, qui lors de sa rencontre avecPenthée, se transforme jusqu’à sembler son double, son inquiétant reflet...«Nous avons cherché des éléments "organiques", vestiges du culte dionysiaque [...]
En dansant et en chantant [notre corps] traduit son besoin d’exprimer la part érotique et mortelle de notre existence» écrit Omar Porras.
Chez lui, l’ironie n’est jamais loin de l’effroi,l’émotion se heurte à la dérision, tragique et grotesque ne font qu’un.
Colette Godard