Un rideau
translucide, des ombres chinoises, des corps nus déformés, une danse lente, et
la voix de
Dionysos rappelant les amours de Zeus avec sa mère Sémélé, brûlée vive tandis
que son
divin amant cache l’enfant en le cousant dans sa cuisse. Ainsi sauvé, Dionysos
parcourt
l’Orient, entraînant une armée de femmes vouées à son culte, les Bacchantes.
Mais à
Thèbes, sa ville natale, sur laquelle règne Penthée, elles et lui sont
indésirables...
Bakkhantes est
la dernière œuvre connue d’Euripide, la plus complexe, la plus sauvage
sans doute.
Obligatoirement, elle devait attirer Omar Porras, qui, la saison dernière, se
révé-
lait aux
Abbesses avec Noces de sang de García
Lorca, rituel furieux, joyeux, du désir et
de la mort.
Ici plus
encore, dans son adaptation resserrée sur l’essentiel, on plonge jusqu’aux
racines du
tragique
grinçant, dans le sang, dans la mutilation et les chants, dans les danses et
les
masques,
dans les travestissements. On plonge jusqu’aux racines du théâtre dont on
dit qu’il
est né des rites célébrant Dionysos, les bacchanales.
C’est sur
les échanges d’identité, sur les faux-semblants et les passions vraies que se
construit
l’histoire de Bakkhantes: Dionysos entre à Thèbes sous l’apparence d’un humain
Par esprit
de vengeance, il convertit les Thébaines, convainc Penthée de les rejoindre,
pour voir,
se rendre compte, sévir. Mais alors,le roi, le macho, doit se vêtir en femme.
Et plus
encore,
abandonner à jamais son état d’homme. Entraîné dans la bacchanale, il se-
ra écartelé,
déchiré, lacéré par sa propre mère, Agavè, qui, mêlée aux bacchantes,
s’est
dissoute dans l’ivresse du rituel.
On a parfois
donné à la légende une coloration politique, Penthée symbolisant le "monstre
froid" de l’État, la dictature de la raison, alors que Dionysos porte la
liberté, le goût du bonheur. Mais, parce que né en Colombie, ses premiers
contacts avec la théâtralité passent par l’Église, Omar Porras se
réfère à ce
qu’il appelle une iconographie religieuse. À vrai dire absolument païenne. Il entre
de plain-pied dans le labyrinthe du mythe. Il multiplie les ambiguïtés. Les bacchantes
arborent des signes féminins et masculins, la part animale est visible chez la plupart
des personnages. Une actrice inter-prète Dionysos, qui lors de sa rencontre
avecPenthée, se transforme jusqu’à sembler son double, son inquiétant reflet...«Nous
avons cherché des éléments "organiques", vestiges du culte
dionysiaque [...]
En dansant
et en chantant [notre corps] traduit son besoin d’exprimer la part érotique et
mortelle de notre existence» écrit Omar Porras.
Chez lui,
l’ironie n’est jamais loin de l’effroi,l’émotion se heurte à la dérision,
tragique et grotesque ne font qu’un.
Colette
Godard