mardi 15 septembre 2015

Sur le mentir vrai

"Par quel paradoxe magique, la fiction, l’œuvre d’art sont-elles plus à même de révéler la vérité profonde d’une époque, d’un être humain, qu’une étude historique, biologique, psychologique, anthropologique ou documentaire ? Ce que Aragon appelle le « mentirvrai ».
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Comment expliquer que n’importe quel volume de La Comédie Humaine de Balzac, à travers une histoire inventée, suggère mieux l’essence de la Restauration et de la Monarchie de Juillet qu’un livre d’histoire ? Que la pièce d’Ariane Mnouchkine, le Dernier Caravansérail en dit plus et plus fort que tous les articles et reportages réunis sur les sans-papiers ? On peut faire les mêmes remarques sur un film de Bergman ou Pasolini, un poème de René Char. Maints tableaux de Watteau représentant des fêtes galantes, donnent à voir surtout, au-delà de l’anecdote peinte, comme par transparence, par une vibration des tons et des valeurs, la vérité d’une société aristocratique secrètement travaillée par le pressentiment de sa disparition, et cela, quatre-vingts ans avant la Révolution. Une sculpture de Giacometti comme l’Homme qui marche n’est-elle pas une incroyable condensation d’une vérité humaine bouleversante sans commune mesure avec la réalité visible ?
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C’est que l’œuvre d’art n’est pas simple message – c’est-à-dire vérité à transmettre (on serait alors dans l’idéologie). La vérité naît dans l’acte créateur, surgit de « crises » que Michel Leiris définit comme « les moments où le dehors semble brusquement répondre à la Sommation du dedans ». La vérité pour l’artiste est objet de quête : rendre visible l’invisible, faire entendre l’inouï; il crée un monde parallèle, celui qui y pénètre ne trouve ni message, ni morale, ni leçon, mais se rencontre lui-même, à ses risques et périls.

Pour citer cet article

Dotal Sabine, « Le « mentir-vrai ». », Gestalt 1/2008 (n° 34) , p. 152-152
URL : www.cairn.info/revue-gestalt-2008-1-page-152.htm.