Le spectacle que vous avez vu l'an dernier est actuellement en tournée à Paris et attire les faveurs de la presse et du public.Vous pouvez en parler dans vos carnets de bord de cette année et ce d'autant plus que vous avez au programme la réécriture par Horwarth du mythe de Figaro dans Figaro divorce..
Voici l'article du Monde:
Est-ce un effet de la confusion des genres, des réalités et des
fantasmes, quel homme peut-il se reconnaître en Don Juan et être perçu
comme tel par des femmes ? Dans la pièce de HORVATH, c'est
l’inconscience, proche de la folie de DON JUAN qui se trouve à la porte
de consciences de femmes. Le Don Juan qu'il met en scène au retour de la
guerre de 14-18 est abattu, malade, il a une boule dans la gorge, une
seule boussole pour avancer fiévreux, le souvenir de sa fiancée qu'il a
abandonnée avant la guerre.
Au cours de ses tribulations, Don Juan
antithèse d'Ulysse, qui ne retrouvera pas Pénélope, va rencontrer pas
moins de 35 femmes auxquelles semble t-il, il ne pourra pas attacher
d'importance parce que leur partition se trouve trop éloignée de son
idéal forclos.
Le malheur des femmes nous dit HORVATH est que leur
horizon est terrestre. Ces femmes qu'il découvre ont pris leur destin en
mains, elles ont appris à se passer des hommes moralement et
sexuellement, elles sont endurcies. Horvath ne leur fait-il pas dire : «
La relation entre les sexes n'est plus du tout un problème, ce n'est
rien qu'une fonction comme manger et boire ». Seule, une adolescente
peut être véritablement tourmentée par le regard prédateur de Don Juan.
Et pourtant ces femmes qui aux yeux de Don Juan ne sont pas des vraies
femmes, vibrent de toutes les manières. Elles pensent, elles agissent,
elles se débattent, elles luttent pour vivre. Ce sont des infirmières,
des veuves, des religieuses, des mères, des filles légères, elles
tiennent même des propos politiques : « Et les millions de femmes dans
les usines qui se fanent si jeunes, pour elles toutes , vous n'éprouvez
aucun sentiment ? ! » s'exclame l'une d'elles. Tant il est vrai que pour
Don Juan qui n'est pas un mythe, une femme digne de ce nom n'a pas le
droit d'être laide.
HORVATH est contemporain d'un certain
bouleversement de valeurs pendant la grande inflation 1919-1923, le
malaise que porte en lui Don Juan, un homme du passé, fait partie de ces
maladies de l'âme qui égarent l'esprit. Ne le sentait-il pas déraper
l'esprit des hommes en Allemagne, sous l'emprise de l'idéologie nazie
qui le conduit à s'exiler et à errer en Europe, avant de mourir bêtement
assommé par une branche lors d'une tornade à Paris en Juin 1938. Une
tornade qui évoque bizarrement la mort de ce Don Juan venu se recueillir
sur la tombe de sa fiancée en pleine tempête de neige.
Pas de
romantisme élégiaque, pas de manichéisme chez HORVATH. La modernité de
son écriture est étonnante. Les propos que tiennent les femmes qui
jalonnent la route d'un Don Juan en prise avec le vide, cette énorme
béance que représente son amour manqué avec sa fiancée, il semblerait
qu'il les a entendus lui même . Leur virulence, leur violence prosaïque
éclairent par contraste, une féminité inattendue chez Don Juan. A la
même époque, Strindberg témoignait notamment dans sa pièce « Le père »
du désir d'un homme de faire éclater le carcan de sa virilité supposée.
Mais en foulant sa propre image, devant un bonhomme de neige, parce que
cela fait partie de nos rêves, la figure de Don Juan exalte encore la
mémoire amoureuse des femmes.
Les bourgeons sont secs sur cette
figure hivernale de Don Juan, gelés, ils appellent les larmes mais
également dans une embellie visionnaire, le printemps de nouvelles
femmes sur la scène d'action, la scène politique.
La direction des
comédiens est remarquable qui permet de rendre compte de cette présence
extrêmement physique des femmes qui embrassent la vie à mains nues face à
un Don Juan toujours ailleurs, exprimant la solitude d'un être perçu
comme un fantôme, un étranger.
Belle performance des comédiennes,
Carolina Pecheny, Jessica Vedel qui endossent les rôles de toutes ces
femmes, superbe incarnation par Nils Öhlund d'un Don Juan dans les
nuages avec pour seuls vis à vis, des femmes.
Dans une mise en scène
de Guy-Pierre COULEAU, nécessairement dépouillée, les tableaux
s’enchaînent avec fluidité mais on entend se cogner les rêves de Don
Juan contre la réalité de ces femmes de façon très prégnante. Les femmes
parlent à travers Don Juan, et leurs propos résonnent d'autant plus
qu'elles se heurtent à son autisme.
La sensibilité d'HORVATH
totalement lucide donne à voir à entendre, les êtres dans leur épaisseur
et leurs fragilités de façon naturaliste . Qu'est-ce à dire, une
branche qui se casse, un sarment qui se plante dans la terre, un sourire
de Don Juan à travers le regard de femmes, c'est aussi beau et cela en
dépit des guerres, le restera, qu'un rayon de soleil sur la neige.
Se rendre là-bas dans cette forêt de femmes qui attendent Don Juan,
voilà une aventure très enrichissante, palpitante à laquelle nous convie
cette représentation inspirée de « Don Juan revient de la guerre »
profondément émouvante.
Evelyne Trân