Les Personnages de Vinaver : notes d’un article de Jean-Pierre Ryngaert
La tribu des personnages, figures d'un organisme vivant.
La tribu des personnages, figures d'un organisme vivant.
La réflexion sur le personnage chez Vinaver pourrait-être un sujet d’approfondissement. N'hésitez pas à me demander d'expliquer si nécessaire.
Loin du T naturaliste : personnages pas traités comme
des personnes, pas de notations physiques ou psychologiques. Se définissent par
ce qu’ils disent essentiellement : relation de dialogues avec les autres. Pourtant
identité sociale, éléments d’un ensemble plus vaste, tissu vivant où chacun
cherche, trouve ou perd sa place.
« Nés de ce qu’ils disent d’eux mêmes, ils vivent
ensuite des relations qu’ils entretiennent avec les autres. »
Importance de la parole. Parfois pas d’énonciateur désigné
comme dans certains passages de Par
Dessus bord : successions de répliques avec tiret. Parole ambiante,
polyphonique, chorale, « bruits » du monde.
Personnage : pas l’entrée dramaturgique la plus
apparente. Beaucoup plus évident : Montage
des répliques, entrecroisement du sens, courts-circuits des sens possibles.
Vinaver n’utilise pas le terme de « personnage » ,
fuit le commentaire psychologisant. Pas construits comme des silhouettes à
colorier et à juger en fonction de leur poids de réalité ou de leur ressemblance
avec un modèle. Incomplets, troués comme les répliques et la fable elles-mêmes.
Plutôt carrefour de sens, un corps, celui de l’acteur = vecteur de répliques.
Pas symétrique du réel mais réel de l’œuvre :
imaginaire mais groupe fermé d’où émergent des caractéristiques. Nom, identité sociale,
âge, construits par leurs paroles. Souvent professions données dans la
didascalie liminaire.
C’est le monde de l’entreprise qui l’emporte ( Par Dessus Bord, La demande d’Emploi, Les
travaux et les Jours, A la renverse, L’ordinaire, Iphigénie Hôtel),
mais aussi l’armée ( Les Coréens),
le monde politique ( Les Huissiers),l’hôtellerie( Iphigénie Hôtel) … mais pas
peintre réaliste des personnages de l’entreprise que par ailleurs Vinaver
connaît bien, pas de portait en pied, de fiche identitaire exhaustive.
Personnages présentés sous un ou deux angles particuliers, âge, métier,
rapports familiaux mais jamais en volume.
Famille qui s’oppose ou se frotte à l’entreprise, dynastie familiale
à la tête de l’entreprise, frictions et éclatements ; affrontement des
générations, évolution de l’entreprise à travers le temps. « tribu »
Dans l’entreprise : pyramide des emplois, organigramme :
cf 13 premiers personnages de Par-Dessus
bord déterminés par leurs fonctions
dans la maison Ravoire et Dehaze, depuis Fernand Dehaze PDG à Lubin
représentant en passant par 3 directeurs. Pyramide des âges qui correspond :
chacun a l’âge de son emploi. PDG 50 ans au moins, cadres la quarantaine.
Groupes et place de l’individu dans le groupe, celle qui
leur est assignée par leur fonction, leur âge, leur sexe : saisis dans des
ensembles. Mais deux dimensions évoquées à l’intérieur de ces ensembles :
1. Les histoires individuelles 2. L’histoire collective, cependant interpénétration
très forte d’où la difficulté de découper le texte.
Pas des types, pas des portraits sociaux, pas vraiment
individualités bien que leur parcours individuel soit évoqué, richesses d’informations
sur leur vie mais sans qu’on sache toujours quoi en faire, l’essentiel demeure
dans leur activité au sein du groupe. Pièces d’un puzzle, quand l’une bouge, toutes
doivent bouger.
Qu’est ce qui vient
perturber l’ordre établi des personnages ? Le changement de place, réel ou potentiel, la
modification de la hiérarchie par la mort ou la promotion à venir. Tout commence
avec la mort du fondateur de l’entreprise familiale.
Pbl du jeune homme de trouver une place dans la
société ou un peu plus tard de la garder ou d’en trouver une meilleure. : Furieuse
partie de « chaises musicales » qui bouleverse l’entreprise et la
famille ; Subissant un coup de force, le personnage exposé à une
modification de son microcosme s’emploie à retrouver une posture acceptable au
sein de ce qui est entrain de se redessiner. Pbl de mutations, transmissions,
de successions, de clivages, de changement et de la façon dont les individus s’y
adaptent. Cf l’histoire des « tribus » dans Par Dessus bord dont le
professeur M. Onde donne dans un cours au Collège de France le récit du combat
perpétuel, les Ases et les Vanes, analogie mi sérieuse, mi burlesque avec ce
qui se passe dans l’entreprise, les anciens et les modernes et leur projet d’absorption
par une puissante société américaine. (Les cours de M. Onde ont été supprimés
dans notre version mais cela permet d’expliquer leurs présences de prime abord
incongrues.)
Quand superposition des deux territoires, famille et
entreprise, les personnages se posent des pbl de famille au sein de l’entreprise
et vice versa. Parole retentit dans toutes les sphères établissant une sorte de
continuité privé- monde professionnel. ( Lubin parle business puis famille sans
transition par exemple) Alors que les répliques sont souvent analysées pour
leur principe de discontinuité, les « personnages » agissent eux comme des éléments qui rétablissent l’unité.
En même temps Paroles très libres qui se
détachent des obligations dramaturgiques de la fable ou des vraisemblances
conventionnelles. Et font parfois saillies. Mais flux constant qui tisse la véritable
unité de l’œuvre.
Sorte de milieux biologique, tissus vivant : dynamisme
des cellules qui parlent, changent de place (deposte) dont le s intérêts s’imbriquent
les uns dans les autres.
Rêve de Vinaver : saisir la vie au moment où elle
advient. Méditation sur le vivant, sur le renouvellement des énergies et des
hommes, sur les formidables échanges qui maintiennent un mouvement constant, en
dépit ou à cause de la mort à venir.