mercredi 27 janvier 2016

Les personnages de Vinaver



Les Personnages de Vinaver :  notes d’un article de Jean-Pierre Ryngaert

La tribu des personnages, figures d'un organisme vivant.

La réflexion sur le personnage chez Vinaver pourrait-être un sujet d’approfondissement. N'hésitez pas à me demander d'expliquer si nécessaire.


Loin du T naturaliste : personnages pas traités comme des personnes, pas de notations physiques ou psychologiques. Se définissent par ce qu’ils disent essentiellement : relation de dialogues avec les autres. Pourtant identité sociale, éléments d’un ensemble plus vaste, tissu vivant où chacun cherche, trouve ou perd sa place. 

« Nés de ce qu’ils disent d’eux mêmes, ils vivent ensuite des relations qu’ils entretiennent avec les autres. »

Importance de la parole. Parfois pas d’énonciateur désigné comme dans certains passages de Par Dessus bord : successions de répliques avec tiret. Parole ambiante, polyphonique, chorale, « bruits » du monde.
Personnage : pas l’entrée dramaturgique la plus apparente.  Beaucoup plus évident : Montage des répliques, entrecroisement du sens, courts-circuits des sens possibles.

Vinaver n’utilise pas le terme de « personnage » , fuit le commentaire psychologisant. Pas construits comme des silhouettes à colorier et à juger en fonction de leur poids de réalité ou de leur ressemblance avec un modèle. Incomplets, troués comme les répliques et la fable elles-mêmes. Plutôt carrefour de sens, un corps, celui de l’acteur = vecteur de répliques.

Pas symétrique du réel mais réel de l’œuvre : imaginaire mais groupe fermé d’où émergent des caractéristiques. Nom, identité sociale, âge, construits par leurs paroles. Souvent professions données dans la didascalie liminaire.

C’est le monde de l’entreprise qui l’emporte ( Par Dessus Bord, La demande d’Emploi, Les travaux et les Jours, A la renverse, L’ordinaire, Iphigénie Hôtel), mais aussi l’armée ( Les Coréens), le monde politique ( Les Huissiers),l’hôtellerie( Iphigénie Hôtel) … mais pas peintre réaliste des personnages de l’entreprise que par ailleurs Vinaver connaît bien, pas de portait en pied, de fiche identitaire exhaustive. Personnages présentés sous un ou deux angles particuliers, âge, métier, rapports familiaux mais jamais en volume.

Famille qui s’oppose ou se frotte à l’entreprise, dynastie familiale à la tête de l’entreprise, frictions et éclatements ; affrontement des générations, évolution de l’entreprise à travers le temps. « tribu »
Dans l’entreprise : pyramide des emplois, organigramme : cf 13 premiers personnages de Par-Dessus bord déterminés par leurs fonctions dans la maison Ravoire et Dehaze, depuis Fernand Dehaze PDG à Lubin représentant en passant par 3 directeurs. Pyramide des âges qui correspond : chacun a l’âge de son emploi. PDG 50 ans au moins, cadres la quarantaine.

Groupes et place de l’individu dans le groupe, celle qui leur est assignée par leur fonction, leur âge, leur sexe : saisis dans des ensembles. Mais deux dimensions évoquées  à l’intérieur de ces ensembles : 1. Les histoires individuelles 2. L’histoire collective, cependant interpénétration très forte d’où la difficulté de découper le texte. 

Pas des types, pas des portraits sociaux, pas vraiment individualités bien que leur parcours individuel soit évoqué, richesses d’informations sur leur vie mais sans qu’on sache toujours quoi en faire, l’essentiel demeure dans leur activité au sein du groupe. Pièces d’un puzzle, quand l’une bouge, toutes doivent bouger.

Qu’est ce qui vient perturber l’ordre établi des personnages ?  Le changement de place, réel ou potentiel, la modification de la hiérarchie par la mort ou la promotion à venir. Tout commence avec la mort du fondateur de l’entreprise familiale.
Pbl  du jeune homme de trouver une place dans la société ou un peu plus tard de la garder ou d’en trouver une meilleure. : Furieuse partie de «  chaises musicales » qui bouleverse l’entreprise et la famille ; Subissant un coup de force, le personnage exposé à une modification de son microcosme s’emploie à retrouver une posture acceptable au sein de ce qui est entrain de se redessiner. Pbl de mutations, transmissions, de successions, de clivages, de changement et de la façon dont les individus s’y adaptent. Cf l’histoire des « tribus » dans Par Dessus bord dont le professeur M. Onde donne dans un cours au Collège de France le récit du combat perpétuel, les Ases et les Vanes, analogie mi sérieuse, mi burlesque avec ce qui se passe dans l’entreprise, les anciens et les modernes et leur projet d’absorption par une puissante société américaine. (Les cours de M. Onde ont été supprimés dans notre version mais cela permet d’expliquer leurs présences de prime abord incongrues.)

Quand superposition des deux territoires, famille et entreprise, les personnages se posent des pbl de famille au sein de l’entreprise et vice versa. Parole retentit dans toutes les sphères établissant une sorte de continuité privé- monde professionnel. ( Lubin parle business puis famille sans transition par exemple) Alors que les répliques sont souvent analysées pour leur principe de discontinuité, les « personnages » agissent  eux comme des éléments qui rétablissent l’unité.  En même temps Paroles très libres qui se détachent des obligations dramaturgiques de la fable ou des vraisemblances conventionnelles. Et font parfois saillies. Mais flux constant qui tisse la véritable unité de l’œuvre.

Sorte de milieux biologique, tissus vivant : dynamisme des cellules qui parlent, changent de place (deposte) dont le s intérêts s’imbriquent les uns dans les autres.

Rêve de Vinaver : saisir la vie au moment où elle advient. Méditation sur le vivant, sur le renouvellement des énergies et des hommes, sur les formidables échanges qui maintiennent un mouvement constant, en dépit ou à cause de la mort à venir.