mardi 9 février 2016

Avec Joel Pommerat: notes sur l'ouvrage



Avec Joel Pommerat , un monde complexe de Marion Boudier

Notes
 Thèse : « trouble : lié au « désir du neutre » (Roland Barthes : tentative d’effacement de l’auteur et de suspension du jugement au profit d’une expérience théâtrale dont le sens incombe in fine au spectateur. P12

Une démarche qui fait œuvre
Citation de Pommerat :   Jusqu’à quel point le travail ? Jusqu’à la fin.

« auteur-metteur en scène » : refus de la division traditionnelle auteur/metteur en scène.
Complexité du théâtre où fusionnent réel du plateau, réalité référentielle représentée et réalité fictionnée.
 Pensée du monde de la concomitance complexe : alliance paradoxale des contraires, nuances, entre deux, plutôt que pôles binaires. Les deux à la fois, l’un l’autre.

 Pommerat : D’abord acteur, mais expérience de l’absence de cloisonnement entre les différents métiers du théâtre, n’aime pas la dépendance induite par le métier d’acteur, aliénation au regard de l’autre, manque d’autonomie. Commence à écrire à 23 ans. pas forcément pour le théâtre . ( Un de ses derniers rôles dans un docufiction : Marcel Proust.) années 8O : petits boulots, études de philo. Ecrire pour pouvoir penser.
Théâtre : espace d’expérimentation de la pensée, une « pratique concrète de la philosophie », « un lieu possible d’interrogation et d’expérience de l’humain. » lié à une quête de connaissance.

En création : absence de préméditation du rendu final, texte qui s’écrit au fur et à mesure des répétitions mais date butoir de la première fixée. La parole n’est pas tout, communication qui peut se passer du langage, mais indispensable la présence : être là. Présence d’un corps avant même toute parole= avènement du théâtre.
+palimpseste : le théâtre ne part jamais de rien, écrire c’est toujours d’une certaine façon recopier. Réinventer d’autres textes ou une réalité humaine. Donner vie à une image mentale très forte mais ouverte au spectateur, stimuler sa perception et son imagination.

Premières oeuvres : dramaturgie énigmatiques avec des personnages aux identités multiples, des jeux sur la chronologie, brouillage, flou, esthétique épurée, comédiens face public, gestes empêchés ou ralentis, voix non projetées, costumes peu colorés, travail sur les différentes dimensions de l’espace.
Deuxième période : Les marchands, je tremble 2006-2008 : plus foisonnants, plus d’effets
2010 bascule de Cercles/fictions
Puis plus de recherches sur la fable et le texte, nouveau tournant en 2015 avec ça ira. Constante réinvention .

Ecrire avec la scène
 Nom de la compagnie Louis Brouillard : clin d’œil à Louis Lumière, inventeur du cinéma : Louis Brouillard : mettre au point sa propre machine théâtrale. Metteur en scène de ses propres textes , il les écrit pendant qu’il les met en scène. Texte= élément parmi d’autres, ne préexiste pas, n’est pas non plus second, pas de hiérarchi;

«  Je considère au théâtre qu’avant les mots, il ya du silence, il ya du vide et il ya des corps. C’est pour cela que je considère tous les éléments concrets sur la scène ( la parole fait partie de ces éléments concrets) comme les mots du poème théâtral. » in Théâtre en Présence.

Travail quotidien, discussion de tous les éléments avec tous les participants et collaborateurs. Pommerat utilise le terme « organique » pour parler de cette façon de procéder. 

Nécessite un important travail de préparation en amont des répétitions : on ne part pas de rien, chaque collaborateur prépare un matériau pour engager la recherche sur le plateau. Au plateau s’élabore le travail de sélection, d’invention et d’agencement de situations à partir d’une importante matière préalable. : partir en exploration : « On remplit son sac à dos de plein d’éléments dont on se dit qu’on va pouvoir les expérimenter, les utiliser. »p23 Pas beaucoup de place au hasard ou aux accidents de répétitions contrairement à d’autres écritures dites de plateau.

Eric Soyer conçoit avec Pommerat des propositions de scénographie, réserve d’éléments de décor, d’éclairage, idem pour le son François Leymarie ou pour les costumes ( Isabelle Deffin)

Acteurs participent à la recherche, bribes de textes, improvisations, lectures guidées par Pommerat, surtout rester très ouvert, apprendre et désapprendre le texte, pas le figer jusqu’ »aux premières représentations.
Pommerat organise le partage des connaissances et le vivre ensemble d’une histoire, une histoire qu’il faut se raconter ensemble pour l’écrire et la transmettre au public. Cheminement non maîtrisé du sens , intuition, s’accorder du temps, pas savoir inné à mettre en œuvre.

Refus de la division auteur-metteur en scène aussi lié e au contexte : comment se distinguer des grands metteurs en scène Vitez, Planchon, ,Chéreau, des « collectifs » qui pratiquent la création collective : Soleil, Aquarium, statut d’auteur de théâtre difficile. Histoire de la mise en scène caractérisée par la progressive émancipation de la scène par rapport au texte.

«  Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles (…) Dire que l’on écrit un texte et faire de cet acte l’objet premier du théâtre, c’est une perversité ; Il ya là quelque chose de fétichiste, de détourné. L’essence du théâtre pour moi n’est pas dans cela. Le théâtre se voit, s’entend ; ça bouge, ça fait du bruit. Le théâtre, c’est la représentation. »in Troubles Rupture avec le  «  textocentrisme » ( Bernard Dort)Plus grande conscience de tous les éléments du spectacle et de leur interaction . Différent partir d’un texte préexistant ou recherche d’un résultat inconnu d’avance par un processus de création : de la scène vers le texte.
Cf Artaud : «  la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse et qu’on lui fasse parler son langage concret (…) ce langage matériel et solide par lequel le théâtre peut se différencier de la parole (…) et qui s’adresse d’abord aux sens au lieu de s’adresser d’abord à l’esprit comme le langage de la parole.)

Pommerat cherche un art sensible, un art qui puisse atteindre profondément le spectateur pour le déstabiliser et déplacer son regard. Revendique la complexité, le trouble. Les émotions au-delà de la compréhension logique de la parole.