jeudi 18 février 2016

Notes (4) sur l'ouvrage Avec Joel Pommerat



 Notes (4)
Un réalisme troublé
« Je ne comprends pas, bien souvent, vous, les artistes vous vous enfermez sur vous. Vous ne voyez pas (…) que vous êtes coupés de ceux qui vivent, qui bougent, qui font la vie, qui sont la vie, ceux qui travaillent ? »  L’Homme personnage de  Une seule main
Peut se lire comme un manifeste : proximité de l’œuvre avec le monde contemporain : travail, quotidien des familles, discussions banales : «  cf Maeterlinck : «  le tragique du quotidien », «  faire voir ce qu’il ya d’étonnant dans le seul fait de vivre », occupations familières.
Protagonistes gens du commun à qui il arrive des choses extraordinaires ou qu’ils perçoivent comme telles.

Une nouvelle Comédie humaine
Gens ordinaires :  «  les personnages de mes premières pièces sont placés dans des situations d’inactions, d’attente, de non ambition. Ce sont des vies immobiles. »
La famille et le thème de la filiation traversent presque toute l’œuvre de Pommerat : évident dans les contes : Pinocchio relation père-fils, chaperon rouge : rassemble autour du loup 3 générations de femmes, une petite fille, sa mère, sa grand’mère, Cendrillon : mort de la mère, famille recomposée, créations de nouveaux liens …P 103-104
Condensé de la société.
Souvent le fonctionnement des différents milieux domestiques, familiaux ou professionnels est mis au jour par la présence d’u intrus ou à partir d’un comportement inattendu.
Mais pas de reconstitutions naturaliste et exhaustive : langage oral vrai mais pas sociolecte, identification par le costume, espace suggéré plus que reconstitué par un décor. Quelques objets fonctionnent comme des fragments de réel à partir desquels le spectateur peut imaginer un lieu ; Eric Soyer s’efforce surtout de lui faire oublier qu’il est au théâtre en effaçant les limites de la scène afin qu’il ouvre les portes de son imaginaire.

Rendre le familier insolite : le réel tel qu’il est perçu
Cf Brecht in L’exception et la Règle( 1930) : « Sous le familier découvrez l’insolite ; sous le quotidien, décelez l’inexplicable  »
Faire perdre au familier son statut de déjà-vu, en renouveler la perception : trouble fantastique, surgissement de l’étrange
«  Tu crois aux fées ?! A la magie ?/ l’Homme : Mais non ! in Cercles/fiction
le fantastique est une irruption du surnaturel dans un monde dominé par la raison et l’explication : effets d’inquiétante étrangeté, confusion entre rêve et réalité, fantasmes. Rapports troublés que le personnage ont au réel cf Sandra, cf la Belle-mère problèmes de perception et d’interprétation : même ceux qui pensent avoir le sens des réalités et vivre avec pragmatisme prennent parfois leur vie pour un rêve comme montre la belle-mère de Cendrillon ; Elle martèle à Sandra qu’il faut « arrêter les rêvasseries, fait rentrer dans la vie Réelle » et elle reproche à ses filles de vivre l’invitation au bal comme « un rêve » mais elle croit au prince charmant et aux contes de fée dont elle revêt les atours.
En donnant à voir les rêves des personnages Pommerat fait entrer le spectateur dans leur imaginaire selon le principe de la focalisation interne ou caméra subjective.

Une inquiétante étrangeté
Des choses familières surgissent soudain comme étrangères, inconnues au point de d’en devenir angoissantes et effrayantes ex murs sur lesquels s’écrasent les oiseaux dans Cendrillon, montre de Sandra.. Freud : apparaît »où les limites entre notre imagination et réalité s’effacent, où ce que nous avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel, où un symbole prend l’importance et la force de ce qui  était symbolisé. » apparition de revenants cf  Réunification des deux Corées l’amour de jeunesse qui reveint dans la vie d’une jeune femme, terreurs d’enfance propres aux cauchemar, dans Pinocchio les pantins qui constituent la classe du Présentateur et rappellent la classe morte de Kantor, ressemblances et phénomènes de double.

Interroger nos valeurs et nos croyances : sentiment de l’existence et coexistence
Questionnement dans l’air du temps : réflexion sur l’homme, ses représentations et ses valeurs question souterraine de la liberté et du déterminisme traverse toutes les pièces : savoir ce qui fait lien ou ne le fait pas, qu’est-ce qui nous relie au monde, aux autres et au sentiment de notre propre existence ? présupposés idéologiques de certains comportement, aveuglement et représentation que les personnages ont d’eux-mêmes, leur propension à idéaliser pour (sur)vivre( belle-mère) ou à se dénigrer à la manière de Sandra, leur besoin et leur difficulté à vivre avec les autres.
Question de l’ordre moral, du bien et du mal à partir de p118 question de la place du travail dans la vie P121- 122
Souffrance d’existence : idéalisation, confusion entre le réel et le fantasme et la fiction, conflits de perception et malentendus interprétatifs récurrents car à travers eux les personnages tentent de raconter leur vie pour exister.
Cf in Je tremble : «  Vous savez, d’après ce que j’ai comprsi, je crois qu’il n’ y a pas de souffrance plus grande que celle-là./ Vivre sans avoir le sentiment que l’on vit/exister sans avoir le sentiment que l’on existe/ avoir un trou/ un vide/un rien/ un rien du tout/ à la place/ de ce quelque chose »
Cf «  on se raconte des histoires dans sa tête, on sait très bien que ce sont des histoires mais on se les raconte quand même. Sandra (à apprendre par cœur.
En qui et en quoi croit-on et qu’est-ce qui justifie nos actes ? croyance en soi ou en idéal comme force motrice.
Pinocchio : dénué de tout idéal si ce n’est celui de mener une « vie de prince », persuadé qu’il n’est pas dans sa nature de travailler, Pinocchio consent à aller à l’école pour apprendre à gagner de l’argent. Croyance et confiance naïve en une société mercantile et à portée de ses désirs motivent le pantin ; incarne au début de la pièce un  individualisme triomphant convaincu de son autosuffisance, mais pour exister en tant qu’humain, il devra faire l’expérience de la coexistence : critique de l’individualisme néo libéral cf travaux de Flahaut, critique du diktat contemporain de l’indépendance( sel made man) et de l’épanouissement individuel( be yourself) est une mise en cause de l’homo oeconomicus prométhéen, autonome et rationnel, capable de s’élever par lui-même..
Flahaut ! société précède l’individu, l’homme existe dans le rapport avec les autres et pas seulement dans son rapport aux choses matérielles. P126
Identité est relationnelle et évolutive ; trajet initiatique des personnages de conte, microcosmes de la famille, du couple, de l’entreprise= axes privilégiés pour représenter l’enjeu pour chacun de cette nécessaire coexistence pour exister : impossibilité d’être soi sans les autres., importance de la transmission inter générationnelle ( cf narrateur dans Cendrillon)
Mais Pommerat aborde ces questions de manière ouverte sans juger les personnages. Inquiéter les spectateurs, les sortir de la quiétude de leurs propres représentations et croyances.