"Pour
sa nouvelle création, Éclats d’ombre, Chiara Villa a choisi de rendre
hommage à celles et ceux qui dédient leur vie à combattre les injustices. Cette
envie l'anime depuis longtemps : c’est sa rencontre avec Pinar Selek,
sociologue et écrivaine turque contrainte à l’exil en raison de ses engagements
militants et antimilitaristes, qui a permis sa concrétisation. Convaincue de la
portée qu’offrait son parcours et ses combats, Chiara Villa a souhaité créer un
spectacle à partir de la vie de cette figure emblématique contemporaine de la
lutte pour la paix et l’égalité des droits. Pour les accompagner dans
l'écriture, c’est naturellement vers Lina Prosa que la compagnie VILLATHEATRE
s’est dirigée. Cette auteure italienne aux oeuvres sensibles et dénonciatrices,
comme Lampedusa Beach entrée au répertoire de la Comédie Française,
s’inscrit en effet dans une parfaite synergie avec la démarche artistique
portée par VILLATHEATRE.
Éclats d’ombre est
donc le fruit d’une collaboration étroite entre ces trois femmes, un texte où
la théâtralité souligne l’absurdité et l’horreur de certains pouvoirs
politiques et parle de la condition humaine. Politique et poétique, l’écriture
de Lina Prosa place cette histoire réelle et actuelle dans une dramaturgie
symbolique qui dénonce et offre une résistance face à toutes formes de
dictatures et d’oppressions. Chiara Villa signe une mise en scène où la
lumière, le décor et la vidéo nous basculent entre le bien et le mal, le passé
et le présent, sans oublier l’archétype du théâtre que l’auteure nous propose
tout au long de la pièce. Une aventure théâtrale et humaine qui est possible
grâce à la présence des jongleurs* de VILLATHEATRE qui, depuis 2011, montent
sur les plateaux pour défendre un théâtre engagé et attentif aux problématiques
de la société. Parce que le théâtre peut encore être un lieu où les êtres
humaines se retrouvent, les idéaux se poursuivent, les espoirs revivent."
Les propos
qui suivent ont été recueillis en septembre 2015, à l'origine de l'aventure
humaine et théâtrale des trois femmes qui l'ont rendu possible: Chiara Villa,
metteure en scène et initiatrice du projet, Lina Prosa, auteure du texte et
Pinar Selek, qui a inspiré l'histoire d’Éclats d'ombre.
Chiara expose les
motivations qui l'ont poussé à imaginer un tel projet, les mots de Lina Prosa
expliquent le contenu du texte et l’esprit du projet, quant à ceux de Pinar
Selek, ils procurent la satisfaction d’avoir osé une telle aventure.
Chiara
Villa, metteure en scène
«Depuis
longtemps, je souhaite mettre en scène un spectacle qui puisse rendre hommage à
tous ceux et celles qui dédient leur vie à combattre les injustices et à
défendre les plus hauts idéaux humains. Je crois au théâtre comme une forme
d’art qui a la capacité de parler directement à tout public et qui peut transmettre
de fortes valeurs politiques et sociales. Ce texte est une commande de la
compagnie VILLATHEATRE
à l’une des plus importantes auteures de théâtre italien, Lina Prosa. En ma qualité
de metteure en scène, je lui ai demandé
d’écrire un texte en hommage à Pinar Selek et plus largement à tous les
individus qui grâce à leur combat font avancer l’humanité. Ce texte est donc un
concentré de poésie, de théâtralité et de dénonciation. Il m’a convaincu par
l’ironie avec laquelle l’auteure souligne l’absurdité du procès et la recherche
vaine des pouvoirs politiques à trouver des justifications pour faire taire
ceux qui s’indignent contre les injustices sociales.»
Lina Prosa,
auteur
«Un matin,
grâce à une rencontre voulue par Chiara Villa, j’ai connu Pinar Selek dans un
bar de Strasbourg. Ce matin-là je l’ai partagé aussi avec Anna Barbera(co-directrice
du Centro Amazzone à Palerme),
j’ai senti tout de suite que quelque chose allait se passer.
Il existe un
moment important pour un auteur, c’est quand débute la sensation de l’écriture.
Cette sensation provient de loin, même avant de devenir paroles, même avant de
prendre forme. Et voici donc Éclats
d’ombre, un texte ouvert aux vibrations humaines, qui fait de l’exil d’une
femme turque l’exil de notre monde face aux atteintes à la justice et à la
liberté. La rencontre entre les personnes et la possibilité de dialoguer
adviennent surtout de l’échange d’histoires respectives. L’autre n’existe pas jusqu’au
moment où on le raconte et où il se raconte, qu’il s’agisse d’un clochard, d’un
banquier ou d’un
immigré.
Dans ce sens, je reconnais à la dramaturgie son action essentielle de lutte
pour l’existence et de résistance face à toutes formes de dictature. La
vocation de la dramaturgie est de donner une langue à toutes
les histoires qui autrement resteraient enfermées dans le silence des corps des
individus. L’histoire incroyable de Pinar Selek n’appartient pas seulement à la
Turquie, mais à toutes formes de survie de chaque peuple face au système de
contrôle de l’individu, mis en place par certains pouvoirs politiques à travers
l’oppression et latorture. La dimension chorale de l’histoire de Pinar ne concerne
pas seulement quelques rares individus sensibles à la cause, mais elle donne
l’occasion de ressentir le théâtre dans ses fonctions originelles, celles qui
ne célébraient pas une classe sociale mais purifiaient les individus de la
société. Écrire, pour moi,signifie prendre position et choisir la tranchée de la
poésie. C’est là que démarre l’élaboration de l’écriture.
J’ai pris de
la distance avec le récit de vie de Pinar Selek afin de rendre l’histoire
universelle. Pour cela, j’ai décomposé le temps et j’ai fait interagir la
mémoire du passé avec l’action présente. J’ai utilisé certains
éléments de la biographie de Pinar pour les transformer en moments poétiques,
comme les fragments de l’Atelier qu’elle avait elle-même géré. Cet Atelier je
l’ai renommé le Parthénon; ses éléments
sèment l’ambiguïté, dépistent l’arrogance de ceux qui ont le pouvoir et rendent
cette même arrogance complètement absurde face à la force de candeur des
personnages que la vie a laissé en marge.
Dans le
fond, il s’agit d’un texte sur l’attente. D’un texte sur l’absence d’une femme
dont le retour dans la ville de ses racines signifie, d’un côté, le désir du
retour de la part de ceux qui l’aiment, et de l'autre,la peur de
la part de ceux qui la craignent. Le théâtre s’insère ainsi dans cette
duplicité grâce à la présence de la compagnie théâtrale du Parthénon qui
représente la puissance mythique, de qui n’est pas là, de l’exil des honnêtes.
Pinar Selek
«J'ai
toujours refusé les propositions des écrivains et des cinéastes qui m'ont
demandé de faire une œuvre à partir de ma vie.
Après la
rencontre avec Lina Prosa, je me suis retrouvée à dire: oui. Oui, on peut
essayer. J'ai senti tout de suite, chez elle, la poésie qui bougeait, qui
transformait tout autour d'elle. Mais je ne m'attendais pas à un
texte pareil. Je me souviens, quand je l'ai lu, je me suis dit: c'est bon, je
peux mourir ! Bien sûr que je ne veux pas mourir. J'aime la vie, je suis une
bonne vivante! Mais je me suis retrouvée comme devant une
magicienne qui avait transformé ma vie en poésie.
Elle n'a
rien répété. Elle a créé. Ma vie est devenue une création. La vraie. Devant
cette beauté, je me suis dit : qu'est-ce qu'on peut demander de plus?»