mardi 1 novembre 2016

En savoir plus sur Eclats d'ombre: indispensable pour comprendre la pièce.

Afin de comprendre le spectacle qui vous est proposé par Chiara Villa, il est indispensable de connaître un peu la genèse du projet et la vie de Pinar Sélek qui l'a inspiré car l'écrivain italien Lina Prosa a utilisé la biographie de Pinar de manière très poétique et symbolique. Le texte peut dérouter par rapport aux attentes d'un théâtre plus documentaire.



"Pour sa nouvelle création, Éclats d’ombre, Chiara Villa a choisi de rendre hommage à celles et ceux qui dédient leur vie à combattre les injustices. Cette envie l'anime depuis longtemps : c’est sa rencontre avec Pinar Selek, sociologue et écrivaine turque contrainte à l’exil en raison de ses engagements militants et antimilitaristes, qui a permis sa concrétisation. Convaincue de la portée qu’offrait son parcours et ses combats, Chiara Villa a souhaité créer un spectacle à partir de la vie de cette figure emblématique contemporaine de la lutte pour la paix et l’égalité des droits. Pour les accompagner dans l'écriture, c’est naturellement vers Lina Prosa que la compagnie VILLATHEATRE s’est dirigée. Cette auteure italienne aux oeuvres sensibles et dénonciatrices, comme Lampedusa Beach entrée au répertoire de la Comédie Française, s’inscrit en effet dans une parfaite synergie avec la démarche artistique portée par VILLATHEATRE.
Éclats d’ombre est donc le fruit d’une collaboration étroite entre ces trois femmes, un texte où la théâtralité souligne l’absurdité et l’horreur de certains pouvoirs politiques et parle de la condition humaine. Politique et poétique, l’écriture de Lina Prosa place cette histoire réelle et actuelle dans une dramaturgie symbolique qui dénonce et offre une résistance face à toutes formes de dictatures et d’oppressions. Chiara Villa signe une mise en scène où la lumière, le décor et la vidéo nous basculent entre le bien et le mal, le passé et le présent, sans oublier l’archétype du théâtre que l’auteure nous propose tout au long de la pièce. Une aventure théâtrale et humaine qui est possible grâce à la présence des jongleurs* de VILLATHEATRE qui, depuis 2011, montent sur les plateaux pour défendre un théâtre engagé et attentif aux problématiques de la société. Parce que le théâtre peut encore être un lieu où les êtres humaines se retrouvent, les idéaux se poursuivent, les espoirs revivent."

Les propos qui suivent ont été recueillis en septembre 2015, à l'origine de l'aventure humaine et théâtrale des trois femmes qui l'ont rendu possible: Chiara Villa, metteure en scène et initiatrice du projet, Lina Prosa, auteure du texte et Pinar Selek, qui a inspiré l'histoire d’Éclats d'ombre. 
Chiara expose les motivations qui l'ont poussé à imaginer un tel projet, les mots de Lina Prosa expliquent le contenu du texte et l’esprit du projet, quant à ceux de Pinar Selek, ils procurent la satisfaction d’avoir osé une telle aventure.

Chiara Villa, metteure en scène
«Depuis longtemps, je souhaite mettre en scène un spectacle qui puisse rendre hommage à tous ceux et celles qui dédient leur vie à combattre les injustices et à défendre les plus hauts idéaux humains. Je crois au théâtre comme une forme d’art qui a la capacité de parler directement à tout public et qui peut transmettre de fortes valeurs politiques et sociales. Ce texte est une commande de la compagnie VILLATHEATRE à l’une des plus importantes auteures de théâtre italien, Lina Prosa. En ma qualité de metteure en scène, je lui ai demandé d’écrire un texte en hommage à Pinar Selek et plus largement à tous les individus qui grâce à leur combat font avancer l’humanité. Ce texte est donc un concentré de poésie, de théâtralité et de dénonciation. Il m’a convaincu par l’ironie avec laquelle l’auteure souligne l’absurdité du procès et la recherche vaine des pouvoirs politiques à trouver des justifications pour faire taire ceux qui s’indignent contre les injustices sociales.»

Lina Prosa, auteur
«Un matin, grâce à une rencontre voulue par Chiara Villa, j’ai connu Pinar Selek dans un bar de Strasbourg. Ce matin-là je l’ai partagé aussi avec Anna Barbera(co-directrice du Centro Amazzone à Palerme), j’ai senti tout de suite que quelque chose allait se passer.
Il existe un moment important pour un auteur, c’est quand débute la sensation de l’écriture. Cette sensation provient de loin, même avant de devenir paroles, même avant de prendre forme. Et voici donc Éclats d’ombre, un texte ouvert aux vibrations humaines, qui fait de l’exil d’une femme turque l’exil de notre monde face aux atteintes à la justice et à la liberté. La rencontre entre les personnes et la possibilité de dialoguer adviennent surtout de l’échange d’histoires respectives. L’autre n’existe pas jusqu’au moment où on le raconte et où il se raconte, qu’il s’agisse d’un clochard, d’un banquier ou d’un
immigré. Dans ce sens, je reconnais à la dramaturgie son action essentielle de lutte pour l’existence et de résistance face à toutes formes de dictature. La vocation de la dramaturgie est de donner une langue à toutes les histoires qui autrement resteraient enfermées dans le silence des corps des individus. L’histoire incroyable de Pinar Selek n’appartient pas seulement à la Turquie, mais à toutes formes de survie de chaque peuple face au système de contrôle de l’individu, mis en place par certains pouvoirs politiques à travers l’oppression et latorture. La dimension chorale de l’histoire de Pinar ne concerne pas seulement quelques rares individus sensibles à la cause, mais elle donne l’occasion de ressentir le théâtre dans ses fonctions originelles, celles qui ne célébraient pas une classe sociale mais purifiaient les individus de la société. Écrire, pour moi,signifie prendre position et choisir la tranchée de la poésie. C’est là que démarre l’élaboration de l’écriture.
J’ai pris de la distance avec le récit de vie de Pinar Selek afin de rendre l’histoire universelle. Pour cela, j’ai décomposé le temps et j’ai fait interagir la mémoire du passé avec l’action présente. J’ai utilisé certains éléments de la biographie de Pinar pour les transformer en moments poétiques, comme les fragments de l’Atelier qu’elle avait elle-même géré. Cet Atelier je l’ai renommé le Parthénon; ses éléments sèment l’ambiguïté, dépistent l’arrogance de ceux qui ont le pouvoir et rendent cette même arrogance complètement absurde face à la force de candeur des personnages que la vie a laissé en marge.
Dans le fond, il s’agit d’un texte sur l’attente. D’un texte sur l’absence d’une femme dont le retour dans la ville de ses racines signifie, d’un côté, le désir du retour de la part de ceux qui l’aiment, et de l'autre,la peur de la part de ceux qui la craignent. Le théâtre s’insère ainsi dans cette duplicité grâce à la présence de la compagnie théâtrale du Parthénon qui représente la puissance mythique, de qui n’est pas là, de l’exil des honnêtes.


Pinar Selek
«J'ai toujours refusé les propositions des écrivains et des cinéastes qui m'ont demandé de faire une œuvre à partir de ma vie.
Après la rencontre avec Lina Prosa, je me suis retrouvée à dire: oui. Oui, on peut essayer. J'ai senti tout de suite, chez elle, la poésie qui bougeait, qui transformait tout autour d'elle. Mais je ne m'attendais pas à un texte pareil. Je me souviens, quand je l'ai lu, je me suis dit: c'est bon, je peux mourir ! Bien sûr que je ne veux pas mourir. J'aime la vie, je suis une bonne vivante! Mais je me suis retrouvée comme devant une magicienne qui avait transformé ma vie en poésie.
Elle n'a rien répété. Elle a créé. Ma vie est devenue une création. La vraie. Devant cette beauté, je me suis dit : qu'est-ce qu'on peut demander de plus?»