D'après Pièce Dé/montée
« Il n’y aura
probablement pas d’éclairs, car l’humanité ne s’accompagne pas d’orages, elle
n’est qu’une faible lumière dans les ténèbres ».
Que devient Figaro,
héros populaire et sympathique imaginé par Beaumarchais, ce personnage phare du
théâtre du siècle des Lumières, dans un temps où règne l’obscurité, où les
valeurs ont changé, où la violence a pris le pas sur la raison ? Quelle est
cette époque qui voit Suzanne, Figaro, le Comte et la Comtesse Almaviva
contraints à l’exil ? Quel est ce monde enfin, où Figaro n’est plus que l’ombre
de lui-même, où il semble avoir oublié ses combats, sa parole, son amour ? Ödön
von Horváth nous parle d’une révolution, peut être celle d’hier, de 1789, ou
plus probablement celle dont il a été le témoin en 1933, lors de l’arrivée au
pouvoir du national-socialisme en Allemagne. Et pourtant, Figaro divorce résonne
d’abord avec notre temps, car c’est de l’humanité dont il est question, et qui
d’autre mieux que Figaro incarne cette valeur universelle depuis le XVIIIe siècle ?
Christophe Rauck retrouve ce personnage qu’il avait déjà rencontré en 2007 dans sa
mise en scène du Mariage de Figaro de Beaumarchais à la
Comédie-Française. Seulement, chez Horváth, Figaro a changé, son visage est
plus sombre et Suzanne ne le reconnaît plus. Après la révolution, les codes ne
sont plus les mêmes et chacun est mis à l’épreuve. C’est cette perte de repères
et l’itinéraire de chaque personnage que le metteur en scène nous donne à voir.
Horvath
Il naît en 1901,
Hongrois, de langue et de cultures allemandes, mort à Paris en 1938.
Il vit en Allemagne ;
il a perçu dès 1927 la montée du nationalisme et les périls qui en découlent.
Il est interdit sur
les scènes allemandes dès 1933, à la suite du succès remporté par Légendes
de la forêt viennoise, qui lui vaut le prix Kleist.
Il s’installe alors à
Vienne, ce qui marque le début d’un exil pour lui, mais les liens avec sa
culture sont encore présents en restant à Vienne ; il dénonce dans ses pièces
et romans la dégradation imposée par les nazis aux couches populaires de la
société allemande, qu’ils contraignent à se jeter dans leurs bras pour
survivre.
En 1938, au lendemain
de l’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich,
il prend le chemin de l’exil : Prague, Zurich, Amsterdam.
Le 1er
juin 38 : tornade à Paris, une branche lui fracasse le crâne sur
les Champs-Élysées.
Il a
contribué à réinventer le théâtre populaire allemand.
La
biographie d’Horváth permettra de mettre en lumière un aspect important de la
pièce, point de départ de l’action et événement vécu par l’auteur : l’exil.
Lorsqu’Horváth écrit la pièce, il n’est plus en Allemagne car il a dû fuir le
régime nazi d’Hitler
Deux
éléments importants quant au temps et au lieu sont clairement exposés par
l’auteur dans sa préface. La pièce est bien une suite du Mariage de Figaro en
ce qui concerne l’action : on retrouve les deux couples principaux et on
apprend que Suzanne et Figaro sont mariés depuis six ans au début de l’acte I.
Quant à la révolution en germe dans Le Mariage, cette dernière se réalise
pleinement dans Figaro divorce. En revanche, la question de l’ancrage
spatio-temporel de la fable est volontairement floue, et on se rend très vite
compte qu’il n’est pas question de la révolution française de 1789 ; l’action
peut se situer à l’époque d’Horváth c’est-à-dire dans les années trente, mais
elle peut aussi renvoyer à toutes les révolutions et se dérouler dans n’importe
quel pays. Parce que l’auteur laisse ouvert tous les possibles en matière de
contexte historique, il n’en donne finalement aucun véritablement, afin de
rendre la pièce plus universelle.
RÉVOLUTION ET EXIL
La révolution apparaît en filigrane dans les deux premiers actes
de la pièce d’Horváth et le retour au pays dans le troisième acte montre les
changements opérés par le nouveau régime en place.
Christophe Rauck a
choisi, pour sa mise en scène, de faire apparaître des éléments concrets qui
rappellent la révolution que fuient les personnages au début de la pièce : un
grand mur représentant la façade d’un Palais qui s’effondre ou encore des
fauteuils de type Louis XVI renversés sur le plateau
DES ITINÉRAIRES
À la fin de l’acte I, lorsque Figaro décide d’abandonner le Comte
et la Comtesse, le Comte trouve que Figaro est devenu bien « bourgeois ». Dans
la pièce, on peut en effet voir le personnage de Figaro passer de la condition
de serviteur (acte I) à celle de bourgeois (acte II), mais c’est en tant
qu’intendant du château qu’il trouvera sa place dans le nouveau régime (acte
III). La représentation de la bourgeoisie est un motif récurrent dans le
théâtre d’Horváth qui s’intéresse au peuple, sans le juger, mais qui le montre
à hauteur d’homme avec toutes ses ambivalences. La ville de Grand-Bisbille est,
comme l’indique son nom, le lieu de la « discorde » entre Figaro et Suzanne,
mais aussi celui où se partagent deux visions du monde : celle des petits
bourgeois attachés aux apparences et à laquelle semble vouloir se conformer
Figaro – quitte à perdre sa liberté de parole pour faire tourner la boutique –,
et celle d’une foi en le bonheur domestique qu’incarne Suzanne avec son désir
d’enfant. Figaro, devenu un petit bourgeois, est paradoxalement moins libre que
lorsqu’il portait la livrée au service du Comte. Il reproche à Suzanne leur
exil alors qu’elle regrette son ancienne vie auprès de la Comtesse. Dans cette
ville, tout le monde observe tout le monde, et en particulier les derniers
arrivés venus de l’étranger, à savoir Suzanne et Figaro.
L’évolution du couple Figaro/Suzanne
contraste avec celui que forment le Comte et la Comtesse : ils ne sont pas
aigris et font preuve de solidarité(...)