La pièce peut rappeler, par bien des aspects – sa composition,
certains lieux et personnages – l’univers traditionnel des contes décrit par
Propp et repris plus tard par Greimas et les structuralistes. face à
l’adversité.
-la présence de la forêt, lieu
inquiétant habité par des forces obscures que l’on retrouve dans de nombreux
contes très connus comme Le Petit Poucet, Blanche-Neige, ou
encore dans les contes des frères Grimm.
-On peut également mentionner la
présence de personnages inquiétants, comme le Garde-forestier ou la Sage-femme,
que Christophe Rauck nomme « démons » à cause du pouvoir de leur action sur
Suzanne et Figaro. C’est par eux que le mensonge arrive, qu’il ait une visée
bienfaisante (la Sage-femme) ou malfaisante (le Garde-forestier).
-Enfin, l’atmosphère onirique de
nombreuses scènes, que ce soit celle à la montagne avec la patinoire (acte I,
tableau 4) ou encore celles du cabaret (acte III, tableau 3), confère à la
pièce une inquiétante étrangeté4 qui l’éloigne du naturalisme.
TABLEAU
1
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Il
a lieu dans la forêt, lieu de passage vers un autre monde qui plonge in
medias res le spectateur dans l’univers des contes. Elle fait perdre aux
personnages leurs repères, mais il faut la traverser pour accéder à l’étape
suivante. Lieu de la nature, avec sa sauvagerie et ses dangers, elle est
aussi celui de la sorcellerie et de la magie où peuvent agir des forces
occultes. Alors qu’il fait une « nuit d’encre » et qu’ils sont en « pleine
forêt » comme l’indique la didascalie, les personnages y redoutent les «
serpents » et y évoquent « la pleine lune », alors même qu’ils sont plongés
dans une obscurité qui les terrifie ; ils croient entendre « des pas » alors
qu’« il n’y a pas âme qui vive ». Si l’on effectue un travail sur le lexique,
on peut s’apercevoir que le vocabulaire de la catabase rappelle L’Enfer de
Dante, avec ses « âme[s] », sa nuit « noire », son « enfer ». Figaro évoque «
un gars revenu de la mort », et incite la Comtesse à ne pas rester « sur un
lit de mort » en avançant malgré la fatigue. Lorsqu’ils aperçoivent une
maison, petite lumière au loin, on pense aux contes du Petit Poucet ou
d’Hansel et Gretel : les personnages pensent être arrivés au bout de
leur épreuve, mais d’autres aventures les attendent.
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TABLEAU
4
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La
forêt est de nouveau présente, comme dans le premier tableau de la pièce. On
retrouve les mêmes didascalies et beaucoup de répliques identiques mais
prises en charge par des personnages différents. Contrairement au premier
tableau où Figaro semblait rassurer ses compagnons et les guider, c’est à
présent Suzanne qui pousse le Comte à avancer et qui prend le rôle de guide à
travers la nature sauvage. Le personnage a atteint une indépendance et une
autonomie qu’il n’avait pas au tout début de la pièce. Son itinéraire
témoigne d’une véritable émancipation, loin de la tyrannie domestique des
hommes, qu’il s’agisse de celle de Figaro, du Garde-forestier ou même encore
de Chérubin.
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Si l’on peut voir le cheminement de
Figaro et Suzanne comme un parcours initiatique avec son lot d’épreuves,
certains personnages ne sont pas sans évoquer l’univers des contes de fée, avec
ses traditionnels opposants et adjuvants. On pourra donc travailler sur deux
personnages qui pourraient s’apparenter à un univers merveilleux : le
Garde-forestier et la Sage-femme
Le
Garde-forestier
Il évoque l’ogre des contes merveilleux. Ce personnage, comme
l’ogre, est lié au monde naturel et sauvage de la forêt, il précise d’ailleurs
qu’il ne vit pas à Grand-Bisbille, « Quand je ne suis pas dans la forêt, je
m’ennuie » (III, 2). Il semble ne pas craindre la violence et le sang comme il
le rappelle à Suzanne dans le tableau 3 de l’acte II, « Je n’ai pas peur, moi.
Par vous, je me laisserais même trancher la gorge ». Il la saisit d’ailleurs «
brutalement » et « lui ravit un baiser » comme l’indiquent les didascalies.
Personnage menaçant sexuellement, il aime la chair et manifeste un comportement
bestial comme le personnage démesuré des contes, et Suzanne le traite de « bête
». Finalement, la seule peur du Garde-forestier est de voir son futur mariage
compromis. On pourra montrer aux élèves des documents iconographiques
représentant des ogres dans les contes merveilleux et leur conseiller la
lecture de l’article sur l’ogre dans l’exposition de la BNF6. Le
Garde-Forestier n’est-il pas celui qui, symboliquement, dévorera le désir
d’enfant de Suzanne ?
La
Sage-femme
« Collectée par les Frères
Grimm à l’aube du XIXe siècle, la tradition allemande décrit à peine les fées,
se contentant de mettre en valeur leur fonction d’accoucheuses comme le
souligne le sens premier du mot sage-femme employé par les deux célèbres
philologues. «Vieilles comme les pierres», leurs pouvoirs sont ambigus et on
doute de leur bienveillance jusqu’au dénouement final. […] À la fois sorcière
et fée, comme pour mieux «rappeler la nécessité des coutumes rituelles par quoi
les grands événements de la vie prennent un sens» (introduction des Contes de
Grimm par Marthe Robert), garantes du respect des rites, elles les transmettent
aux enfants un peu comme ces conteuses auxquelles elles peuvent être facilement
assimilées »7.
Fileuse des destinées
humaines, la Sage-femme de Figaro divorce est celle par qui le sujet de
l’enfant revient, « Pourquoi n’avez-vous pas d’enfant, vous deux ? » (III, 2)
et par qui le mensonge arrive ; elle apparaît comme la figure qui veille à ce
que le rituel de la naissance s’accomplisse. Cependant, le procédé échoue et
amène une violente discorde entre les deux époux. On peut donc s’interroger sur
le caractère bienfaisant de cette accoucheuse. Son dialogue avec Suzanne sur
l’astrologie et la symbolique des chiffres dans le tableau 3 de l’acte II
montre bien son lien avec les fils de la Destinée.
Christophe Rauck explique d’ailleurs
s’être souvenu de la scène de Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman dans
laquelle les deux enfants entraperçoivent la soeur de Vergerus, sorte de
monstre qui prend une dimension onirique parce qu’elle est perçue du point de
vue des deux enfants. On peut montrer cet extrait aux élèves pour le mettre en
parallèle avec le tableau 3 de l’acte II où apparaissent ces deux personnages
inquiétants dans l’univers familier du salon de coiffure. D’autres extraits du
film peuvent être visionnés pour montrer des exemples d’apparition du
surnaturel dans un univers quotidien.