mercredi 18 avril 2018

Figaro Divorce mise en scène Christophe Rauck (suite 1)

L'atmosphère d'un conte:


La pièce peut rappeler, par bien des aspects – sa composition, certains lieux et personnages – l’univers traditionnel des contes décrit par Propp et repris plus tard par Greimas et les structuralistes. face à l’adversité.

-la présence de la forêt, lieu inquiétant habité par des forces obscures que l’on retrouve dans de nombreux contes très connus comme Le Petit Poucet, Blanche-Neige, ou encore dans les contes des frères Grimm.
-On peut également mentionner la présence de personnages inquiétants, comme le Garde-forestier ou la Sage-femme, que Christophe Rauck nomme « démons » à cause du pouvoir de leur action sur Suzanne et Figaro. C’est par eux que le mensonge arrive, qu’il ait une visée bienfaisante (la Sage-femme) ou malfaisante (le Garde-forestier).
-Enfin, l’atmosphère onirique de nombreuses scènes, que ce soit celle à la montagne avec la patinoire (acte I, tableau 4) ou encore celles du cabaret (acte III, tableau 3), confère à la pièce une inquiétante étrangeté4 qui l’éloigne du naturalisme.

TABLEAU 1
Il a lieu dans la forêt, lieu de passage vers un autre monde qui plonge in medias res le spectateur dans l’univers des contes. Elle fait perdre aux personnages leurs repères, mais il faut la traverser pour accéder à l’étape suivante. Lieu de la nature, avec sa sauvagerie et ses dangers, elle est aussi celui de la sorcellerie et de la magie où peuvent agir des forces occultes. Alors qu’il fait une « nuit d’encre » et qu’ils sont en « pleine forêt » comme l’indique la didascalie, les personnages y redoutent les « serpents » et y évoquent « la pleine lune », alors même qu’ils sont plongés dans une obscurité qui les terrifie ; ils croient entendre « des pas » alors qu’« il n’y a pas âme qui vive ». Si l’on effectue un travail sur le lexique, on peut s’apercevoir que le vocabulaire de la catabase rappelle L’Enfer de Dante, avec ses « âme[s] », sa nuit « noire », son « enfer ». Figaro évoque « un gars revenu de la mort », et incite la Comtesse à ne pas rester « sur un lit de mort » en avançant malgré la fatigue. Lorsqu’ils aperçoivent une maison, petite lumière au loin, on pense aux contes du Petit Poucet ou d’Hansel et Gretel : les personnages pensent être arrivés au bout de leur épreuve, mais d’autres aventures les attendent.

TABLEAU 4
La forêt est de nouveau présente, comme dans le premier tableau de la pièce. On retrouve les mêmes didascalies et beaucoup de répliques identiques mais prises en charge par des personnages différents. Contrairement au premier tableau où Figaro semblait rassurer ses compagnons et les guider, c’est à présent Suzanne qui pousse le Comte à avancer et qui prend le rôle de guide à travers la nature sauvage. Le personnage a atteint une indépendance et une autonomie qu’il n’avait pas au tout début de la pièce. Son itinéraire témoigne d’une véritable émancipation, loin de la tyrannie domestique des hommes, qu’il s’agisse de celle de Figaro, du Garde-forestier ou même encore de Chérubin.


Si l’on peut voir le cheminement de Figaro et Suzanne comme un parcours initiatique avec son lot d’épreuves, certains personnages ne sont pas sans évoquer l’univers des contes de fée, avec ses traditionnels opposants et adjuvants. On pourra donc travailler sur deux personnages qui pourraient s’apparenter à un univers merveilleux : le Garde-forestier et la Sage-femme

Le Garde-forestier
Il évoque l’ogre des contes merveilleux. Ce personnage, comme l’ogre, est lié au monde naturel et sauvage de la forêt, il précise d’ailleurs qu’il ne vit pas à Grand-Bisbille, « Quand je ne suis pas dans la forêt, je m’ennuie » (III, 2). Il semble ne pas craindre la violence et le sang comme il le rappelle à Suzanne dans le tableau 3 de l’acte II, « Je n’ai pas peur, moi. Par vous, je me laisserais même trancher la gorge ». Il la saisit d’ailleurs « brutalement » et « lui ravit un baiser » comme l’indiquent les didascalies. Personnage menaçant sexuellement, il aime la chair et manifeste un comportement bestial comme le personnage démesuré des contes, et Suzanne le traite de « bête ». Finalement, la seule peur du Garde-forestier est de voir son futur mariage compromis. On pourra montrer aux élèves des documents iconographiques représentant des ogres dans les contes merveilleux et leur conseiller la lecture de l’article sur l’ogre dans l’exposition de la BNF6. Le Garde-Forestier n’est-il pas celui qui, symboliquement, dévorera le désir d’enfant de Suzanne ?
La Sage-femme
« Collectée par les Frères Grimm à l’aube du XIXe siècle, la tradition allemande décrit à peine les fées, se contentant de mettre en valeur leur fonction d’accoucheuses comme le souligne le sens premier du mot sage-femme employé par les deux célèbres philologues. «Vieilles comme les pierres», leurs pouvoirs sont ambigus et on doute de leur bienveillance jusqu’au dénouement final. […] À la fois sorcière et fée, comme pour mieux «rappeler la nécessité des coutumes rituelles par quoi les grands événements de la vie prennent un sens» (introduction des Contes de Grimm par Marthe Robert), garantes du respect des rites, elles les transmettent aux enfants un peu comme ces conteuses auxquelles elles peuvent être facilement assimilées »7.
Fileuse des destinées humaines, la Sage-femme de Figaro divorce est celle par qui le sujet de l’enfant revient, « Pourquoi n’avez-vous pas d’enfant, vous deux ? » (III, 2) et par qui le mensonge arrive ; elle apparaît comme la figure qui veille à ce que le rituel de la naissance s’accomplisse. Cependant, le procédé échoue et amène une violente discorde entre les deux époux. On peut donc s’interroger sur le caractère bienfaisant de cette accoucheuse. Son dialogue avec Suzanne sur l’astrologie et la symbolique des chiffres dans le tableau 3 de l’acte II montre bien son lien avec les fils de la Destinée.
Christophe Rauck explique d’ailleurs s’être souvenu de la scène de Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman dans laquelle les deux enfants entraperçoivent la soeur de Vergerus, sorte de monstre qui prend une dimension onirique parce qu’elle est perçue du point de vue des deux enfants. On peut montrer cet extrait aux élèves pour le mettre en parallèle avec le tableau 3 de l’acte II où apparaissent ces deux personnages inquiétants dans l’univers familier du salon de coiffure. D’autres extraits du film peuvent être visionnés pour montrer des exemples d’apparition du surnaturel dans un univers quotidien.