vendredi 4 novembre 2016

Remplir la grille d'analyse de spectacle

Pour vous aider à pratiquer l'analyse de spectacle, voici un exemple de "remplissage" de la grille d'analyse sur le spectacle Lettres Persanes. C'est à partir de ces observations, repérages et interprétations que peut s'élaborer une véritable analyse du spectacle.Le tout est à croiser avec les notes prises sur le carnet de création dans lequel Guillaume Clayssen s'explique lui-même sur sa mise en scène et ses intentions.



Analyse de spectacle
1.       Repères : Lettres Persanes d’après le roman de Montesquieu + extrait de qu’est-ce que le contemporain d’Agamben + lettre familiale de l’un des comédiens iranien : Eram Sohbani + anecdote de l’acteur norvégien (Olav Benestvedt) sur les numéros de la rue de Charonne à Paris. Confrontation XVIIIème siècle et aujourd’hui. Mise en scène Guillaume Clayssen dramaturge de la CDE
-Comédie de l’Est, scène nationale le 6 octobre Grande salle, spectacle complet, ambiance conviviale à l’accueil, places entre L et M un peu trop haut,  entourée de jeunes attentifs, dispositif frontal, plateau nu à l’entrée.

La représentation
1.       La scénographie
-          L’espace théâtral : spectateurs en frontal, mais plusieurs passages sont joués dans la salle ex : début provocateur : personnage qui fait intrusion dans la salle prétendant être un spectateur qui arrive en retard car il est allé au théâtre municipal, altercation, doutes du public qui finit par comprendre que cela fait partie du spectacle. Petit à petit, de façon assez violente, ce personnage recrute apparemment dans la salle les acteurs qui vont jouer les Persans…  Ce qui suggère que nous pourrions tous être concernés par le texte de Montesquieu, la troupe ne va pas incarner les Persans ou pas seulement mais nous dire ce qui les a mobilisés en lisant ensemble cette œuvre du XVIIIème siècle et qui pourraient nous mobiliser aussi.
-          Plateau nu, pas vraiment de séparation scène /salle : donner à penser le rapport  entre les Lettres Persanes de Montesquieu et notre propre situation d’emblée. Personnage de l’étrangère qui se présente sur le plateau de façon naturelle sans projeter la voix de façon théâtrale pour se présenter. Ça commence comme un concert.
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-          Espace scénique : plateau de la grande salle pendrillonné de rideaux noirs d’abord apparemment nu, espace vide pour mettre en valeur les acteurs cf  référence à Brook, images d’abord créées par eux, évolue par dévoilement et ajout d’accessoires qui situent les différentes étapes du spectacle et produisent des images qui accompagnent le texte et permettent au spectateur d’éprouver des émotions : tissage d’un fil de jardin à cour qui peut représenter les frontières du voyage de perse à Paris, l’emprisonnement des femmes dans le sérail grâce au jeu de la comédienne entre les fils,  le fil de la correspondance aussi, le fil sert aussi plus tard de support à un tissus blanc qui permet de séparer l’espace en deux et de préparer l’étape suivante derrière, pendant quelque chose se joue devant, écran de tissu avec projection de jeunes femmes en blancs qui représente le sérail, quatre fauteuils avec revêtement de velours rouge, type fauteuil de théâtre à l’italienne, très XVIIIème siècle, à jardin : coiffeuse de loge de théâtre avec ampoules sur le cadre, au lointain dévoilement de boites d’exposition sorte de cabinets de curiosité avec mappemonde moderne allumée, grand cadre de miroir qui peut représenter le cadre de scène d’une salle à l’italienne pour l’opéra mais aussi l’espace du théâtre comme celui où on se mire, reflète, théâtre sur scène et dans la salle. Espace peu encombré qui permet beaucoup de déplacements, de danses, de chant. Pas vraiment figuratif, pas illustratif, très loin de tout orientalisme de pacotille ou de références appuyées au XVIIIème siècle. Renvoie plutôt à la théâtralité, à l’étrangeté des acteurs qui créent le spectacle chacun avec son univers et sa personnalité, sa présence physique. Ni espace réel  ni espace mental, espace du jeu où peut se faire entendre l’œuvre de Montesquieu et son discours sur le rapport à l’Autre, Orient/Occident, Hommes/femmes mais aussi la diversité des altérités proposée par les artistes au plateau : acteur, musicien, chanteuse, d’origine différente français, iranien, norvégien, d’identité sexuelle différente, affichage de l’homosexualité pour le choix de l’Eunuque : acteur norvégien haute contre.
-          Référence artistique : installations contemporaine, esthétique de certaines performances mais tout est travaillé, même si certaines parties issues d’impros comme l’intrusion du début s’adapte au lieu de la représentation  ici à Colmar( Théâtre municipal etc)
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-          Dispositif scénique qui donne matière à jouer car  presque tout est fait à vue au plateau. Parfois dévoilements liés à des changements d’éclairage. Ex de la partie où les eunuques différents sont joués par Olav qui est filmé directement sur le plateau à jardin légèrement derrière le pendillon avec projection de son visage sur l’écran en tissus. Mais tous les éléments donnent matière à jeu. Ils sont également souvent symboliques.
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-          Accessoires qui ne sont pas du mobilier déjà évoqué plus haut : lettres sorties des poches, corde à sauter, mégaphone…
-          les éléments de costumes sont utilisés comme accessoires souvent : manteau que l’étrangère ôte au début pour faire voir une tenue qui rappelle des costumes ethniques : Amérique latine, minorités asiatiques, idem pur le manteau d’Usbeck, simple foulard de mousseline noire transparente pour évoquer les femmes voilées mais pas référence directe au foulard islamique ou même orientalisant,  échasses de l’Etrangère à la fin : âme de Roxane qui échappe à l’ordre du monde sanglant, nécessité pour que la femme soit entendu qu’elle se surélève, qu’elle devienne héroïque, elle doit faire encore plus d’efforts pour qu’on l’écoute, mais elle domine également les contingences par son courage et sa détermination, chant de la mort et plainte des femmes mis ainsi en valeur, objets et mobiliers évoquent souvent le théâtre : sièges, miroirs de loges, cadre, siège…Mise en abîme de la société d’Ancien régime. Importance du paraître dans une société de cour comme au XVIIIème mais aussi comme aujourd’hui avec les réseaux sociaux, les selfies, l’image que l’on donne de soi , cf aussi « Le Monde est un théâtre »(Shakespeare)
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-          Lumière : permet de délimiter les espaces sur le plateau : exemple Usbek à cour, Rica plutôt à jardin, les femmes au centre. Jeu entre ombre et lumière cf ce que dit Guillaume de l’obscurité du siècle des Lumières et de la définition du contemporain d’Agamben : savoir regarder la part obscure du XVIIème siècle et de notre temps : femmes qui parlent dans l’ombre de l’oppression. Lumière qui devient rouge pour évoquer la violence de ce qui se passe dans le sérail dans la troisième partie.
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-          Environnement sonore : musique en direct guitariste +bande son sophistiquée  très importante : personnage de la chanteuse qui évoque l’ailleurs, le monde féminin, réécriture musicale à partir de musique orientale ou ethnique mais jamais folklore, transformation en quelque chose de contemporain, musique baroque donc occidentale aussi apportée par le haute contre norvégien, friction de musiques différentes, confrontation à l’altérité aussi dans la musique. Chanson de « little boxes » Graeme Allwright chantée au plateau lors d’un moment de transition qui renvoie à notre époque et aux souvenirs des artistes sur le plateau. Utilisation du micro pour amplifier parfois ou du chant direct. Utilisation de sons d’archive également : la révolution iranienne, manifestation, retour de Khomeny en Iran, tirs. Le son permet au spectateur de créer des images. Pas vrai théâtre documentaire pour autant car les sons peuvent évoquer d’autres événements que l’histoire de l’Iran, Palestine, Syrie par exemple.
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-          L’image, video : images du harem d’Usbeck projeté sur un écran de draps blanc, type caméra de surveillance, en plongée : pas du tout d’exotisme, refus de l’orientalisme cf référence aux travaux de E. Saïd : rien de lascif et de voyeur, des femmes en blanc , emprisonnée dans un espace restreint ( jeunes élèves actrices de l’Ecole Nauvray Auroy où enseigne Guillaume Clayssen),+ film fabriqué en direct au plateau lorsqu’Olav joue les différents eunuques dans la dernière partie, à un moment les images du sérail et de l’eunuque se superposent.
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-          Costumes : contemporains au début, fiction des acteurs choisis dans le public. ( A détailler d’après photos, ne me rappelle plus trop)Importance du manteau d’Eram (voyageur) dont il se défera : pantalon noir, débardeur noir. Personnage d’Usbeck sombre et pessimiste, penseur capable d’une très grande violence, acteur iranien qui introduit aussi l’histoire de sa famille : lettre de sa grand-mère, révolution iranienne 1979, retour de Khomeny. Hugo qui devient Rica avec un très beau peignoir oriental dans les oranges flamboyants. Olav affirmation de son homosexualité,  demande de se mettre torse nu pour devenir les Eunuques, retire un pull classique à chevrons, norvégien, anecdote sur ses débuts en France : confusion sur la numérotation des maisons rue de Charonne, la question de la compréhension de la langue- qui n’existe pas dans les Lettres persanes de Montesquieu où les Persans parlent parfaitement français alors qu’en général c’est le premier problème des exilés, réfugiés, voyageurs. Peignoir sombre quand il devient eunuque. Actrice qui joue les femmes orientales : rien qui puisse aller dans le sens d’une érotisation stéréotypée et fantasmatique du cliché de l’orientale : jean et sweet gris, une jeune femme toute simple pour incarner la femme. Costume de l’Etrangère déjà évoquée.
-          Perruques, tutus blancs et transformations en femmes de deux acteurs dans la deuxième partie lorsque les mœurs parisiennes sont évoquées : théâtre, opéra cf la lettre sur les femmes françaises du XVIIIème siècle qui ne veulent pas vieillir : quatre femmes d’âge différent qui se présentent toutes plus jeunes que la classe d’âge précédente, médisance des femmes l’une à l’égard de l’autre, absence de solidarité/ les femmes du sérail d’Usbeck ? satire de l’oppression que subissent les femmes à propos de leur physique dans un monde dirigé par les hommes.
-          Rica qui se déshabille excédé par l’intérêt qu’on lui porte quand il est en costume oriental : « comment peut-on être persan ? », curiosité suscitée en tant que bête de foire du fait de son exotisme : nu =un être humain bâti comme les autres êtres humains pas de différence , ensuite endosse un costume occidental qui suggère un costume de courtisan de l’époque de Louis XIV alors qu’il s’agit d’une robe de tulle blanc enfilée à l’envers : la nudité toujours dévoilée suggère alors le ridicule de l’ostentation du courtisan, les ravages de la mode et de l’usage social de celle -ci.

-          2. La performance de l’acteur : certains acteurs jouent plusieurs rôles : personnages contemporains, personnages persans, eux-mêmes  ( Eram, Olav, Hugo), femmes rôle plus unifié, l’une l’Etrangère chanteuse, l’autre les femmes du sérail et la philosophe qui dit le texte d’Agamben. Très forte présence des acteurs masculins, femmes peut-être plus en retrait ou avec une présence différente comme la chanteuse dont la voix est source d’émotions, le monde féminin à elle seule. Volonté de ne pas projeter sur la femme un imaginaire machiste, de simples êtres humains sans réduction à leur statut d’objets, des sujets.
-          Pas d’uniformisation du code de jeu. Chaque acteur amène un univers particulier dans sa diction et dans sa gestuelle même si l’impression de chorégraphies particulières domine, beauté des altérités qui se côtoient sur le plateau et inventent ensemble le sens des lettres Persanes de Montesquieu en résonnance avec notre présent : -Hugo : gouaille, énergie, diction contemporaine : le saut à la corde : performance. Eram : diction classique, voix projetée, gestuelle extrêmement expressive qui accompagne le texte ou en tient lieu par exemple dans le passage où il « danse » les affrontements révolutionnaires en Iran ou ailleurs. Olav : léger accent, chant du haute contre, gestuelle sinueuse pour représenter la fourberie des Eunuques, expression du visage reflétant la violence sadique des Eunuques frustrés ne jouissant que dans l’oppression infligée aux femmes, dans la cruauté. Actrice : adresse simple au public, au micro souvent, parole sans théâtralité affichée, presque banale. Force de la lettre finale de Roxane à rebours des clichés de la passion et du tragique, parole de femme d’au-delà de la mort ou simplement maîtresse d’elle-même qui a longtemps pratiquer la réserve et la retenue, la feinte et la simulation pour affirmer simplement sa liberté intérieure constante, même sous la domination d’Usbeck et des eunuques.
-          Les lettres sont adressées soit aux partenaires sur le plateau soit directement au public, mais sans que le texte de Montesquieu ne soit transformé en dialogue théâtral. Variations liées à l’amplification ou non qui soutient l’attention du public.
-          Performances des acteurs multiples : danse, chant, diction de texte, jeu dans des registres différents. Très impressionnant
- lettres non dites évoquées par une énumération dans l’ordre du roman de Montesquieu : litanie, transe rythmique parfois, scansion qui structure le spectacle et illustre le temps qui passe. Idem en plus restreint pour l’énumération des lieux traversés qui illustre la durée du voyage et l’espace.
-chorégraphie de la déchirure des lettres : juste avant la lettre sur l’invention de la poudre et de la bombe qui fait qu’il n’y ait plus de refuge nul part, texte qui résonne à plein avec notre actualité, suivi du texte sur les méfaits de la chimie.