Beckett
écrit En attendant Godot en 1948. Une
date importante de notre histoire contemporaine, qui impose d’emblée une
certaine grille de lecture, orientée, connotée.
L’après-guerre
fait naître un nouveau mental, qui a besoin d’une « aventure théâtrale » pour
se concrétiser. Au lendemain de la guerre « Le théâtre n’en finit pas
d’exorciser ses fantômes » (s.
Beckett).
il met en
scène l’inhumanité de l’humanité. Une remise en question et de
nouvelles
perspectives s’imposent.
Les années
1950 se partagent en trois écoles du théâtre, différentes dans leur dramaturgie
et leur idéologie : le théâtre épique de Brecht, le théâtre politique de Camus
et de Sartre, et enfin le théâtre de Beckett, Ionesco et Adamov, réunis sous
l’étendard du « théâtre de l’absurde ».
Ce théâtre
prend acte des horreurs de la seconde guerre mondiale, à savoir : Auschwitz et
Hiroshima, deux grands chocs dans l’histoire de la pensée. L’humanité se trouve
confrontée à l’impensable : L’Allemagne, pourtant nation des meilleurs esprits
de l’époque, patrie de Goethe,Nietzsche et
Bach, a « fécondé la bête immonde » dont parlait Brecht quelques années
auparavant.
il va
falloir penser la juxtaposition de la culture et de la barbarie. Le bien
et le beau
ne se confondent pas forcément. De même, le progrès n’est pas nécessairement au
service du bien : la certitude que la science mènerait au progrès de
l’humanité, est une idée des 18 et 19èmesiècles. La machine devait servir à libérer l’homme, à créer et non à
détruire.
Or, dans les
années 1950, c’est l’effondrement de tout ce qui organisait l’idée de progrès.
Cette idée que là où allait l’humanité était intelligible, que l’Histoire avait
un sens (grands récits marxistes).
En
1945-1946, on s’aperçoit que l’histoire n’a aucun sens ! s’il y en avait eu
un, elle ne se serait pas confrontée à l’extermination d’une partie de
l’humanité par une autre.
L’idée que
demain sera mieux qu’hier est une idée du 19ème siècle, ce n’est plus une idée des années 1950. sur le plan philosophique,
c’est une véritable cassure de la pensée humaine, qui renaîtra plus tard dans
le réconfort de la psychanalyse: nous avons un inconscient, nous sommes,au final,
des énigmes à nous-mêmes. au 19ème siècle, les poètes de la « négation » (Sade, Rimbaud,
Lautréamont) avaient rêvé la destruction du monde. Des mots arrivaient alors à
dire l’insupportable, la haine de l’être humain,
l’avilissement le plus parfait. et voilà qu’en 1939, ce qui était fantasme
devient réalité.
C’est dans
cet horizon là qu’il faut lire (et voir) Beckett : quelque chose est atteint
dans l’espoir, on ne peut même plus rêver la destruction du monde : elle est
maintenant concrète. Ce que Beckett raconte, c’est qu’il n’y a plus grand chose
à raconter. et ainsi, surtout, faire attention à ne pas trop « signifier »* !
Si signifier donne du sens, ouvre sur un horizon d’espérance,alors il est
vain de chercher encore à signifier.
D’un point
de vue purement dramaturgique, on note la profusion de didascalies dans le
texte, qui marque en réalité la contrainte absolue des choses.
Le point de vue développé si dessus est l'une des approches possible du texte de Beckett mais pas le seul.( Cf Alain Badiou)