" Le spectacle de Warlikowski débutait
par une tempête qui se déchaînait dans l'obscurité totale.
Progressivement la lumière faisait apparaître Dionysos debout sur une
plage de sable blanc, comme s'il émergeait de la mer. Vêtu d'un large
pantalon blanc, d'un pull étroit et de chaussures Adidas blanches aux
trois traits caractéristiques, avec des cheveux frisés ébouriffés.
Dionysos commençait son monologue : "J'arrive ici à Thèbes, fils de
Zeus." Son discours était imparfait, balbutiant, comme s'il émergeait
d'une aphasie totale, comme s'il commençait tout juste à appréhender la
parole humaine. Le prologue annonce tout, l'intégralité des actes de la
tragédie. D'emblée, Dionysos révèle sa force et ses intentions
menaçantes : venger Sémélé, sa mère, prouver sa divinité et punir les
infidèles. Pour accomplir ses intentions divines, le dieu a pris forme
humaine. En acquérant de la fluidité, sa parole acquiert aussi de la
force ; elle devient rauque et désagréable, de plus en plus âpre. Ce
n'est que lorsque Dionysos commence à mener son jeu avec Penthée,
lorsqu'il décore son cou de perles de cristal, qu'il commence à modifier
sa voix et à utiliser des modulations féminines. Sa voix restera
cependant étrangement inhumaine ; irritante et inquiétante à la fois.
Les bacchantes émergent du fond de la scène. Elles portent une petite statue de Dionysos enveloppée dans un drap blanc. Au lieu d'être vêtue de peaux de bêtes, elles portent des fourrures d'astrakan comme celles que les dames d'aujourd'hui revêtent pour les occasions exceptionnelles. Dans les mains elles tiennent des missels. Commence le parados-prière. Les bacchantes ressemblent à des dévotes en folie. Elles sont joyeuses et légères. Leurs parole, portées par la force de la poésie, s'envolent vers le ciel. Dionysos serait sans doute heureux d'avoir de tels disciples. Mais ce n'est que le début de la folie. Dans un instant commencera la destruction. Les bacchantes, ces femmes gardiennes des feux du foyer, ces déesses de la fertilité, s'occuperont de meurtres, de dépeçages et entreront dans une danse avide de sang.
Penthée apparaît trop tard. La folie s'est déjà déclarée. Ni sa lutte contre Dionysos ni l'emprisonnement de celui-ci ne serviront plus à rien. Dans un instant, Penthée pénétrera sur la scène en dansant dans une magnifique robe longue. C'est l'une des scènes les plus superbes de la représentation, au cours de laquelle Dionysos détruit la puissance masculine de Penthée : il détruit sa fierté et sa sexualité univoque ; il lui permet de goûter l'indifférenciation de sa sexualité divine. Penthée perd le second duel. Luttant avec ses derniers restes de fierté masculine, il tombe aux pieds de Dionysos qu'il enlace en un geste plein de soumission et de passion. Dionysos traîne Penthée derrière la scène tandis que s'accroissent les échos des cris d'un stade. Les hurlements de la compétition accompagnent le dépeçage de Penthée que nous ne voyons pas. Ainsi se réalise ce qui fut annoncé plusieurs fois et dont la préfiguration fut le lot d'Akteon.
Agavé accourt sur la scène vêtue d'une robe ensanglantée et tirant un énorme tronc de sapin. Ce tronc tellement agrandi porte en lui tous les aspects phalliques. Sur son ventre, proéminent comme celui d'une femme enceinte, elle a emmailloté la tête de Penthée. Dans une folie furieuse elle raconte fièrement le depeçage d'un prétendu lion. Elle s'approche de la table. Elle s'allonge sur son bord tenant toujours le tronc entre les jambes et s'enfonce dans un spasme orgiaque. Dans un instant Cadmos apportera deux seaux de zinc remplis des fragments ensanglantés de Penthée. est venu e temps de l'anagnorèse, c'est-à-dire de la reconnaissance. Agavé commence à hurler de manière effrayante. Son visage, entouré de ses cheveux noués en fines tresses, ressemble à la face de Méduse. Le cri est drastique, insupportable et, tout à coup, il s'interrompt. Silence. Agavé s'assoit à la table qui s'est transformée : d'autel, elle est devenue table de dissection. Les fragments de Penthée ressemblent aux héros d'un théâtre anatomique.".
Les bacchantes émergent du fond de la scène. Elles portent une petite statue de Dionysos enveloppée dans un drap blanc. Au lieu d'être vêtue de peaux de bêtes, elles portent des fourrures d'astrakan comme celles que les dames d'aujourd'hui revêtent pour les occasions exceptionnelles. Dans les mains elles tiennent des missels. Commence le parados-prière. Les bacchantes ressemblent à des dévotes en folie. Elles sont joyeuses et légères. Leurs parole, portées par la force de la poésie, s'envolent vers le ciel. Dionysos serait sans doute heureux d'avoir de tels disciples. Mais ce n'est que le début de la folie. Dans un instant commencera la destruction. Les bacchantes, ces femmes gardiennes des feux du foyer, ces déesses de la fertilité, s'occuperont de meurtres, de dépeçages et entreront dans une danse avide de sang.
Penthée apparaît trop tard. La folie s'est déjà déclarée. Ni sa lutte contre Dionysos ni l'emprisonnement de celui-ci ne serviront plus à rien. Dans un instant, Penthée pénétrera sur la scène en dansant dans une magnifique robe longue. C'est l'une des scènes les plus superbes de la représentation, au cours de laquelle Dionysos détruit la puissance masculine de Penthée : il détruit sa fierté et sa sexualité univoque ; il lui permet de goûter l'indifférenciation de sa sexualité divine. Penthée perd le second duel. Luttant avec ses derniers restes de fierté masculine, il tombe aux pieds de Dionysos qu'il enlace en un geste plein de soumission et de passion. Dionysos traîne Penthée derrière la scène tandis que s'accroissent les échos des cris d'un stade. Les hurlements de la compétition accompagnent le dépeçage de Penthée que nous ne voyons pas. Ainsi se réalise ce qui fut annoncé plusieurs fois et dont la préfiguration fut le lot d'Akteon.
Agavé accourt sur la scène vêtue d'une robe ensanglantée et tirant un énorme tronc de sapin. Ce tronc tellement agrandi porte en lui tous les aspects phalliques. Sur son ventre, proéminent comme celui d'une femme enceinte, elle a emmailloté la tête de Penthée. Dans une folie furieuse elle raconte fièrement le depeçage d'un prétendu lion. Elle s'approche de la table. Elle s'allonge sur son bord tenant toujours le tronc entre les jambes et s'enfonce dans un spasme orgiaque. Dans un instant Cadmos apportera deux seaux de zinc remplis des fragments ensanglantés de Penthée. est venu e temps de l'anagnorèse, c'est-à-dire de la reconnaissance. Agavé commence à hurler de manière effrayante. Son visage, entouré de ses cheveux noués en fines tresses, ressemble à la face de Méduse. Le cri est drastique, insupportable et, tout à coup, il s'interrompt. Silence. Agavé s'assoit à la table qui s'est transformée : d'autel, elle est devenue table de dissection. Les fragments de Penthée ressemblent aux héros d'un théâtre anatomique.".
K. Warlikowski Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, p.19-20-21.
"Je suis toujours à la recherche de l’animal en moi, je dois l’avouer. Je suis sidéré par «les Bacchantes» d’Euripide, ces états de transe, de meurtre et de passion. Une mère tue son fils alors qu’elle croit chasser un lion. Le théâtre grec définit la base de la nature humaine, malgré les milliers d’années qui nous séparent de lui. On revient toujours aux Grecs pour tenter de redonner une force primitive et vitale au théâtre. Nous croyons reconnaître nos ennemis; mais il en existe d’autres que nous ne savons pas identifier car ils font partie de notre essence. Le théâtre dès les Grecs secoue nos peurs les plus profondes, l’inceste, le parricide. A l’heure où la société devient de plus en plus politique, de gauche ou de droite, peut-être sommes-nous les plus grands ennemis de nous-mêmes pour défendre notre espace intime de liberté." Warlikovsky
"Je suis toujours à la recherche de l’animal en moi, je dois l’avouer. Je suis sidéré par «les Bacchantes» d’Euripide, ces états de transe, de meurtre et de passion. Une mère tue son fils alors qu’elle croit chasser un lion. Le théâtre grec définit la base de la nature humaine, malgré les milliers d’années qui nous séparent de lui. On revient toujours aux Grecs pour tenter de redonner une force primitive et vitale au théâtre. Nous croyons reconnaître nos ennemis; mais il en existe d’autres que nous ne savons pas identifier car ils font partie de notre essence. Le théâtre dès les Grecs secoue nos peurs les plus profondes, l’inceste, le parricide. A l’heure où la société devient de plus en plus politique, de gauche ou de droite, peut-être sommes-nous les plus grands ennemis de nous-mêmes pour défendre notre espace intime de liberté." Warlikovsky