2002, "Bacchanten" du ZT Hollandia, m.e.s. Johan Simons et Paul Koek
► Un article du journal "Le soir", 6 mai 2002
Le prologue des « Bacchantes », frappe fort, net et beau : sous des éclairages rasants, devant un mur de toison claire, sur un sol de terre brune, Fedja van Huêt « naît » superbement au rôle de Dionysos, fils de Zeus et de la mortelle Sémélé. Gigotant comme un agneau cherchant son premier équilibre, toujours entre animalité et humanité dansante, il rappelle ses origines et justifie sa présence à Thèbes : punir les hommes et en particulier sa propre famille de ne pas prendre son culte au sérieux.
Pour lancer l'action proprement dite, il fait tomber une grande partie du mur-toison et révèle l'amoncellement assez chaotique de la scène : le petit ensemble des musiciens syriens de Nuri Iskandar à jardin, les instrumentistes de l'électronique à demi visibles dans le fond, le choeur qui s'installe avec ses chaises à cour, des ballots qui serviront de point d'appui aux ébats des bacchantes, (qui pourraient peut-être rappeler des socles de colonnes d'un palais), des tables, un frigo, un trépied...
Pas de masques, ni de costumes à l'antique, mais des traces légèrement orientalisantes dans des vêtements plutôt contemporains (un travail réalisé par Greta Goiris), à l'exception du lourd manteau de Penthée, roi de Thèbes, qui est de la même laine que le mur détruit par Dionysos. Métaphore limpide, on le verra. Dans la mise en scène de Paul Koek et de Johann Simons, qui dirigent Zuidelijk Toneel Hollandia, ce monde-là a déjà perdu ses repères, à la fois dans le sillage d'un roi vaniteux qui s'accroche à la dictature d'une ancienne culture, et pris à la gorge par la séduction et la folie tout aussi orgueilleuse de Dionysos, vainqueur, certes... dans le sang, dans la tragédie. Les dieux sont toujours les plus forts, admet le choeur, mais doivent-ils se montrer aussi cruels que les hommes ? La question est sans réponse...
Dionysos trépigne de haine, mais, une fois sa vengeance accomplie, il s'assied comme un enfant triste, qui a mal au ventre, sur les genoux d'un mortel, qui est aussi joueur de saz (une sorte de luth) et chanteur.
Musique presque permanente, consolatrice, ou du moins apaisante, dans ses mélodies ondoyantes, caressantes, soeurs des mots ou tapis bruissant sous l'action, mais aussi musique amplificatrice des rages des êtres déboussolés, qui souffle jusque dans la salle le vent du chaos (Veenstudio de Paul Koek). Les voix des chanteurs de l'ensemble syrien réuni pour « Les Bacchantes » par Nuri Iskandar ont la gravité et la souplesse des voix orientales, puissantes lorsqu'il le faut. Si les choeurs sont très présents dans cette tragédie, l'une des dernières, assez mutilée, d'Euripide (Ve siècle A.J.C), ils n'émanent pas d'un groupe extérieur aux acteurs, ils ne jugent pas impartialement, ils sont tantôt l'un, tantôt l'autre. Sur scène, ils peuvent donc se mêler sans rigueur aux protagonistes.
ZT Hollandia n'a pas cherché ici à faire de la reconstitution archéologique de l'écriture grecque... Avec justesse, vu le peu de témoignages gardé de ces temps anciens ! Mais ces oeuvres sonnent pleines encore aujourd'hui, de sens et d'art, quelle que soit la manière dont on se les approprie (et il y en a d'autres, sans aucun doute). Dans ces « Bacchantes », la troupe hollandaise maintient une double perspective : le jeu proprement dit, l'incarnation, et le regard, l'écoute distante sur ce qui arrive, sans appuyer les points sur les i, mais autant d'éclats « sauvages » que de mise à nu des moments puissants qui ricochent sur la langue néerlandaise (traduction de Herman Altena). Tenue à bout de corps, à bouts de voix par les musiciens et les comédiens, la performance d'authentique théâtre musical tient en haleine un public qui lui a fait un triomphe le soir de la première, après deux heures cinquante (sans entracte) !·"
Premier extrait: espace scénique et sonore
2ème extrait: travestissement de Penthée
3ème extrait Agavé , cadmos et le choeur
Le prologue des « Bacchantes », frappe fort, net et beau : sous des éclairages rasants, devant un mur de toison claire, sur un sol de terre brune, Fedja van Huêt « naît » superbement au rôle de Dionysos, fils de Zeus et de la mortelle Sémélé. Gigotant comme un agneau cherchant son premier équilibre, toujours entre animalité et humanité dansante, il rappelle ses origines et justifie sa présence à Thèbes : punir les hommes et en particulier sa propre famille de ne pas prendre son culte au sérieux.
Pour lancer l'action proprement dite, il fait tomber une grande partie du mur-toison et révèle l'amoncellement assez chaotique de la scène : le petit ensemble des musiciens syriens de Nuri Iskandar à jardin, les instrumentistes de l'électronique à demi visibles dans le fond, le choeur qui s'installe avec ses chaises à cour, des ballots qui serviront de point d'appui aux ébats des bacchantes, (qui pourraient peut-être rappeler des socles de colonnes d'un palais), des tables, un frigo, un trépied...
Pas de masques, ni de costumes à l'antique, mais des traces légèrement orientalisantes dans des vêtements plutôt contemporains (un travail réalisé par Greta Goiris), à l'exception du lourd manteau de Penthée, roi de Thèbes, qui est de la même laine que le mur détruit par Dionysos. Métaphore limpide, on le verra. Dans la mise en scène de Paul Koek et de Johann Simons, qui dirigent Zuidelijk Toneel Hollandia, ce monde-là a déjà perdu ses repères, à la fois dans le sillage d'un roi vaniteux qui s'accroche à la dictature d'une ancienne culture, et pris à la gorge par la séduction et la folie tout aussi orgueilleuse de Dionysos, vainqueur, certes... dans le sang, dans la tragédie. Les dieux sont toujours les plus forts, admet le choeur, mais doivent-ils se montrer aussi cruels que les hommes ? La question est sans réponse...
Dionysos trépigne de haine, mais, une fois sa vengeance accomplie, il s'assied comme un enfant triste, qui a mal au ventre, sur les genoux d'un mortel, qui est aussi joueur de saz (une sorte de luth) et chanteur.
Musique presque permanente, consolatrice, ou du moins apaisante, dans ses mélodies ondoyantes, caressantes, soeurs des mots ou tapis bruissant sous l'action, mais aussi musique amplificatrice des rages des êtres déboussolés, qui souffle jusque dans la salle le vent du chaos (Veenstudio de Paul Koek). Les voix des chanteurs de l'ensemble syrien réuni pour « Les Bacchantes » par Nuri Iskandar ont la gravité et la souplesse des voix orientales, puissantes lorsqu'il le faut. Si les choeurs sont très présents dans cette tragédie, l'une des dernières, assez mutilée, d'Euripide (Ve siècle A.J.C), ils n'émanent pas d'un groupe extérieur aux acteurs, ils ne jugent pas impartialement, ils sont tantôt l'un, tantôt l'autre. Sur scène, ils peuvent donc se mêler sans rigueur aux protagonistes.
ZT Hollandia n'a pas cherché ici à faire de la reconstitution archéologique de l'écriture grecque... Avec justesse, vu le peu de témoignages gardé de ces temps anciens ! Mais ces oeuvres sonnent pleines encore aujourd'hui, de sens et d'art, quelle que soit la manière dont on se les approprie (et il y en a d'autres, sans aucun doute). Dans ces « Bacchantes », la troupe hollandaise maintient une double perspective : le jeu proprement dit, l'incarnation, et le regard, l'écoute distante sur ce qui arrive, sans appuyer les points sur les i, mais autant d'éclats « sauvages » que de mise à nu des moments puissants qui ricochent sur la langue néerlandaise (traduction de Herman Altena). Tenue à bout de corps, à bouts de voix par les musiciens et les comédiens, la performance d'authentique théâtre musical tient en haleine un public qui lui a fait un triomphe le soir de la première, après deux heures cinquante (sans entracte) !·"
Premier extrait: espace scénique et sonore
2ème extrait: travestissement de Penthée
3ème extrait Agavé , cadmos et le choeur