vendredi 12 mai 2017

Mieux comprendre le Choeur (les Lydiennes)



 Notes sur  l’ouvrage Dionysos et la tragédie de Jean Bollack, le traducteur de la pièce ( lecture qui montre combien la pièce peut se lire comme une mise en œuvre du fanatisme religieux)

Le Chœur n’est pas étranger au dieu, ni même séparé de lui : il est une de ses émanations ; Il suit son maître. Collaboration entre le dieu et ses Bacchantes cf kommos, la situation des femmes initiées est comme celle du serviteur, son double. Une apparence qu’il lui arrive de prendre.

Premier stasimon : v370-431 fortement intégré dans l’action dramatique. Penthée est l’agresseur, il s’est prononcé dans le premier épisode contre le dieu : les femmes défendent leur Bakkhos. Le plaidoyer tourne au réquisitoire. Elles invoquent le principe même de la loi religieuse, Dionysos l’incarnant à leurs yeux plus que d’autres. Les femmes fondent sa supériorité sur les joies de l’existence qu’il procure aux dieux et aux hommes : plaisirs, allègements des peines : vin, extase joie, plaisir.

2ème stasimon  v520- 575 : les lydiennes implorent le dieu de venir les sauver. Il est ici, il est ailleurs. Le dieu porte le feu en lui, mais il recherche partout la fraîcheur et l’humidité. Les femmes se tournent vers l’eau pour le trouver. Zeus l’y a trempé à sa naissance, en l’arrachant au feu. Elles s’adressent à la rivière nourrissant Thèbes. Pour ces fanatiques, l’adversaire sera forcément un monstre. Il sera associé aux forces chtoniennes alors que Dionysos sera du côté des Olympiens cette fois ; sorte de « théomachie » : une guerre entre dieux de puissances rivales. Dionysos lève son bâton pour terrasser le monstre. On suit avec le dieu le réseau de cours d’eau dans une topographie de conquête de la Grèce. Allusion à Orphée et à ses chants inspirés par les muses et qui amadouent les fauves .Musique, troupes bruyantes des bacchantes.
Réflexion morale traditionnelle : folie ou sagesse ? Remise en question de l’ambition humaine, nouvelle définition du rapport de l’homme au dieu. Dionysos est reconnu par ses pairs, autorisé à s’humaniser et à diviniser l’existence humaine, en contrepartie ascèse et humilité en vue d’une plénitude religieuse ( anti strophe)
Irénisme propagé par le dieu avec l’amour er la musique qui font la joie de l’existence pour les Lydiennes : référence à Aphrodite et à ses îles : Chypre, Paphos ; elles se plaisent aux pays des Muses en Piérie transfigurées par les fêtes bachiques. Dogme de la vie simple. Le dieu donne la paix et il donne l’ivresse par le renoncement aux honneurs et au pouvoir. Projet social radical et égalitaire.
Elles argumentent et discutent, considèrent la réalité des règles établies depuis toujours. On peut avec de bons arguments  philosophiques contester l’existence des dieux, elles semblent considérer que les croyances ont la force de l’institution politique pour elles, comme si les croyances étaient les dieux en personne aussi fortes qu’eux.
Insolence anti-intellectuelles des Lydiennes d’Euripide. Religion dionysiaque qui transcende les valeurs établies et entraîne ses adeptes dans un mouvement de libération qui emporte les distinctions sociales. Refus du savoir lettré et masculin. Sorte de « populisme » : «  ce que croit la masse /les pratiques des gens ordinaires/ dans ce lieu je voudrais l’accueillir »
Inconscience ou stratégie politique, elles rattachent le dieu aux croyances de toujours sachant qu’il a besoin d’être sans cesse installé dans le monde.
Semblent récuser tout le travail critique de la raison grecque pour revenir aux origines de l’initiation religieuse. Elles s’accrochent à une piété naturelle qui les met à l’abri des excès du ménadisme pathologique que Dionysos a insufflé aux Thébaines. A haute dose il secrète le délire (la mania) qui tue. Les Lydiennes se gardent du dieu lui-même quand il se livre à ses transports.
Dévotion naïve, se faisant brutale et agressive s’il le faut quand le dieu est offensé. Préoccupées par la reconnaissance du divin, elles se désolidarisent avec mépris de la longue tradition de la pensée libre, trop humaine. Pour elles, c’est soit la religion, soit l’intellect, et du coup l’un contre l’autre. ( d’où pour nos oreilles contemporaines le caractère fanatique de leur position qui fait écho à d’autres fanatismes religieux, prêts à renoncer à toute réflexion critique au nom de la foi et de la piété religieuse. Certaines de leurs phrases banales deviennent révoltantes.)
Stratégie : le nouveau et le tard venu se réclame d’un passé immémorial dont il procéderait pour être en mesure de se défendre contre toutes les remises en question : l’irrationnel triomphe en même temps qu’une position franchement anti intellectuelle soutenue avec force. Préférer l’abandon et l’extase à tout ce qui pourrait jamais ressembler à la maitrise d’un savoir. Pari contre la raison.
La religion des ancêtres se prolonge dans une croyance révolutionnaire qui s’élève contre une science humaine sans dieu.

Troisième stasimon et quatrième stasimon : Penthée est le chasseur qui poursuit les dévotes assoiffées de paix, le chef de guerre c’est lui. A leurs yeux, la guerre succombe avec sa chute. Chant triomphal .
Dans l’antistrophe, ce sont les dieux qui font chasse à l’impie : action reste invisible, se prépare : thème du crime qui se retourne contre son auteur, accomplissement d’une juste vengeance .
Le chœur ne prend pas de recul comme dans d’autres pièces, n’assiste pas le malheureux de sa sympathie, pas de compassion. Le parti est pris pour le dieu comme des supporters d’un match : « qu’il aille jusqu’au bout et qu’il gagne » L’autre est l’ennemi, celui qui trouble la communion. Sacré qui s’affirme dans l’exclusion. Fanatisme, haine qui anime le Chœur. Ennemi= animal
Le chœur considère l’action de Penthée comme sacrilège.
Elles définissent « les règles de mesure » sommet pour elles de la sagesse. Leur pratique les transporte jusqu’à l’extase mais elles savent y intégrer la loi morale de la juste mesure sans y voir aucune contradiction.
Les couleurs et les tons du chœur procèdent encore de l’inspiration directe de Dionysos ondoyant, tantôt astucieux et pénétrant, tantôt plus pondéré, varie à dessein son langage, manipulateur.

Dernier chant des femmes jubilatoire : victoire sanglante du dieu, violence.