Notes sur l’ouvrage Dionysos
et la tragédie de Jean Bollack, le traducteur de la pièce ( lecture qui
montre combien la pièce peut se lire comme une mise en œuvre du fanatisme
religieux)
Le Chœur n’est pas étranger au
dieu, ni même séparé de lui : il est une de ses émanations ; Il suit
son maître. Collaboration entre le dieu et ses Bacchantes cf kommos, la
situation des femmes initiées est comme celle du serviteur, son double. Une
apparence qu’il lui arrive de prendre.
Premier stasimon : v370-431 fortement intégré dans l’action
dramatique. Penthée est l’agresseur, il s’est prononcé dans le premier épisode
contre le dieu : les femmes défendent leur Bakkhos. Le plaidoyer tourne au
réquisitoire. Elles invoquent le principe même de la loi religieuse, Dionysos
l’incarnant à leurs yeux plus que d’autres. Les femmes fondent sa supériorité
sur les joies de l’existence qu’il procure aux dieux et aux hommes :
plaisirs, allègements des peines : vin, extase joie, plaisir.
2ème stasimon v520- 575 : les lydiennes
implorent le dieu de venir les sauver. Il est ici, il est ailleurs. Le dieu
porte le feu en lui, mais il recherche partout la fraîcheur et l’humidité. Les
femmes se tournent vers l’eau pour le trouver. Zeus l’y a trempé à sa
naissance, en l’arrachant au feu. Elles s’adressent à la rivière nourrissant
Thèbes. Pour ces fanatiques, l’adversaire sera forcément un monstre. Il sera
associé aux forces chtoniennes alors que Dionysos sera du côté des Olympiens
cette fois ; sorte de « théomachie » : une guerre entre
dieux de puissances rivales. Dionysos lève son bâton pour terrasser le monstre.
On suit avec le dieu le réseau de cours d’eau dans une topographie de conquête
de la Grèce. Allusion à Orphée et à ses chants inspirés par les muses et qui
amadouent les fauves .Musique, troupes bruyantes des bacchantes.
Réflexion morale traditionnelle :
folie ou sagesse ? Remise en question de l’ambition humaine, nouvelle
définition du rapport de l’homme au dieu. Dionysos est reconnu par ses pairs,
autorisé à s’humaniser et à diviniser l’existence humaine, en contrepartie ascèse
et humilité en vue d’une plénitude religieuse ( anti strophe)
Irénisme propagé par le dieu avec
l’amour er la musique qui font la joie de l’existence pour les Lydiennes :
référence à Aphrodite et à ses îles : Chypre, Paphos ; elles se plaisent
aux pays des Muses en Piérie transfigurées par les fêtes bachiques. Dogme de la
vie simple. Le dieu donne la paix et il donne l’ivresse par le renoncement aux honneurs
et au pouvoir. Projet social radical et égalitaire.
Elles argumentent et discutent,
considèrent la réalité des règles établies depuis toujours. On peut avec de
bons arguments philosophiques contester
l’existence des dieux, elles semblent considérer que les croyances ont la force
de l’institution politique pour elles, comme si les croyances étaient les dieux
en personne aussi fortes qu’eux.
Insolence anti-intellectuelles
des Lydiennes d’Euripide. Religion dionysiaque qui transcende les valeurs
établies et entraîne ses adeptes dans un mouvement de libération qui emporte les
distinctions sociales. Refus du savoir lettré et masculin. Sorte de « populisme » : «
ce que croit la masse /les pratiques des gens ordinaires/ dans ce lieu je
voudrais l’accueillir »
Inconscience ou stratégie
politique, elles rattachent le dieu aux croyances de toujours sachant qu’il a
besoin d’être sans cesse installé dans le monde.
Semblent récuser tout le travail
critique de la raison grecque pour revenir aux origines de l’initiation
religieuse. Elles s’accrochent à une piété naturelle qui les met à l’abri des
excès du ménadisme pathologique que Dionysos a insufflé aux Thébaines. A haute
dose il secrète le délire (la mania) qui tue. Les Lydiennes se gardent du dieu
lui-même quand il se livre à ses transports.
Dévotion naïve, se faisant
brutale et agressive s’il le faut quand le dieu est offensé. Préoccupées par la
reconnaissance du divin, elles se désolidarisent avec mépris de la longue
tradition de la pensée libre, trop humaine. Pour elles, c’est soit la religion,
soit l’intellect, et du coup l’un contre l’autre. ( d’où pour nos oreilles
contemporaines le caractère fanatique de leur position qui fait écho à d’autres
fanatismes religieux, prêts à renoncer à toute réflexion critique au nom de la
foi et de la piété religieuse. Certaines de leurs phrases banales deviennent
révoltantes.)
Stratégie : le nouveau et le
tard venu se réclame d’un passé immémorial dont il procéderait pour être en
mesure de se défendre contre toutes les remises en question : l’irrationnel
triomphe en même temps qu’une position franchement anti intellectuelle soutenue
avec force. Préférer l’abandon et l’extase à tout ce qui pourrait jamais
ressembler à la maitrise d’un savoir. Pari contre la raison.
La religion des ancêtres se
prolonge dans une croyance révolutionnaire qui s’élève contre une science
humaine sans dieu.
Troisième stasimon et quatrième
stasimon : Penthée est le chasseur qui poursuit les dévotes assoiffées de
paix, le chef de guerre c’est lui. A leurs yeux, la guerre succombe avec sa
chute. Chant triomphal .
Dans l’antistrophe, ce sont les
dieux qui font chasse à l’impie : action reste invisible, se prépare :
thème du crime qui se retourne contre son auteur, accomplissement d’une juste
vengeance .
Le chœur ne prend pas de recul
comme dans d’autres pièces, n’assiste pas le malheureux de sa sympathie, pas de
compassion. Le parti est pris pour le dieu comme des supporters d’un match :
« qu’il aille jusqu’au bout et qu’il gagne » L’autre est l’ennemi,
celui qui trouble la communion. Sacré qui s’affirme dans l’exclusion. Fanatisme,
haine qui anime le Chœur. Ennemi= animal
Le chœur considère l’action de Penthée
comme sacrilège.
Elles définissent « les
règles de mesure » sommet pour elles de la sagesse. Leur pratique les
transporte jusqu’à l’extase mais elles savent y intégrer la loi morale de la
juste mesure sans y voir aucune contradiction.
Les couleurs et les tons du chœur
procèdent encore de l’inspiration directe de Dionysos ondoyant, tantôt
astucieux et pénétrant, tantôt plus pondéré, varie à dessein son langage, manipulateur.
Dernier chant des femmes
jubilatoire : victoire sanglante du dieu, violence.