L'auteur Steve gagnon: interview
De la pièce
de Racine, Britannicus, inspirée de l’histoire romaine, Steve Gagnon, voix
singulière de la dramaturgie québécoise, n’a gardé que les noms des personnages
et les ingrédients de base : la rivalité fraternelle, les luttes de pouvoir, le
sexe, la jalousie et l’amour, bombes à retardement qui mèneront à la trahison,
à la haine, aux désastres, à un drame domestique dévoilant des personnages
pathétiques secoués par leur amour obsessif et les désirs vertigineux qu’il
engendre.
Si les
personnages sont empruntés à Racine, le royaume ici est un trois pièces de
banlieue, à Montréal. Le jour où la trop sensuelle Junie emménage chez
Britannicus, le foyer d’Agrippine est menacé. Néron n’a plus qu’une idée en
tête, posséder Junie, quitte à rejeter son Octavie. L’ordre établi s’écroule,
et Agrippine, dévorée par son amour pour ses deux fils, contribuera finalement
à leur perte... trahisons, sacrifices,
désirs, flammes et corps ensevelis sous la neige et les cendres ; une histoire
d’amours dévorantes, en définitive.
Depuis qu'il
avait incarné le personnage de Néron pendant sa formation au Conservatoire,
Steve Gagnon rêvait de reprendre le rôle de ce jeune
empereur romain assoiffé de pouvoir, cherchant à s'affranchir du joug de sa
mère et s'éprenant
de la fiancée de son demi-frère Britannicus, qu'il empoisonne finalement.
«J'avais
capoté sur son énergie, son impulsivité, raconte le jeune auteur et comédien.
Il y a une
volonté de
pouvoir et un désir destructeur chez lui qui sont fascinants. Sa volonté aussi
d'avoir accès à l'immense et au sublime, c'est la première fois que je
retrouvais tout ça dans un personnage.»
Il y a deux
ans, il a relu la pièce dans le but de la monter, mais il a été freiné par les
contraintes liées au texte -écrit en alexandrins -et au contexte de l'époque.
«J'ai trouvé
des choses super inspirantes, mais je
ne trouvais pas ces contraintes-
là
stimulantes. J'ai donc décidé de créer mon propre Néron. Au Québec, en 2013.»
Frères de
sang
Qu'a-t-il
conservé du texte de Racine?
«J'ai voulu
amener un lien de sang entre les frères Britannicus et Néron qui, dans la pièce
de Racine, sont des demi-frères. Dans la vie, un ami qui nous fait chier, on
arrête de le voir, mais avec un frère, c'est plus complexe... donc, j'ai
rajouté cet élément.»
Steve Gagnon
a également conservé le personnage de la mère, Agrippine, qui a une mainmise
totale sur cette famille. Il a maintenu la relation d'amour entre Britannicus
et Junie. Et le désir destructeur de Néron pour Junie. Tout en accordant une
place prépondérante à Octavie, fiancée de Néron, absente de la pièce de Racine.
Toute cette
belle famille n'a rien de royal. Ce ne sont que des Montréalais qui dirigent un
centre
commercial.
Avec une mère possessive, exclusive, et si étouffante, que l’un de ses garçons,
Néron, ne rêve que de briser l’étau et de prendre la fuite.
«Ça devient
une course à qui va mettre le feu à cette maison-là», note Steve Gagnon.
«Au fond, la
pièce traite de notre quête du dehors, résume-t-il. De ce désir plus grand que
nature d'avoir accès à quelque chose d'infini et d'immense. Mais auquel on n'a
pas accès parce qu'on recherche un certain confort. Parce qu'on accepte une vie
minuscule programmée d'avance.»