Réflexions sur le lieu: ne pas confondre lieux dramatiques évoqués dans la fable et lieu scénique sur le quel se joue la pièce:
Bien que Racine respecte l’unité de lieu, le lieu de la tragédie est triple. Pour reprendre une partition introduite par Roland Barthes , on peut distinguer « la Chambre », « l’Anti-Chambre » et « l’Extérieur ». La chambre est le lieu du pouvoir, la chambre où Néron prend ses décisions et scelle le sort de ses proches.Cet lieu évoqué mais auquel peu accèdent et qui n'est pas visible sur le plateau.
L’anti-chambre est le lieu représenté sur scène, le lieu où les personnages attendent les décisions du pouvoir, cherchent à pénétrer dans l’antre ou guettent ceux qui en sortent. Ainsi Agrippine fait le siège de la chambre de Néron, exigeant une entrevue (« La mère de César veille seule à sa porte ? », v. 4 ; « entrons », v. 133). Néron exerce son pouvoir sur ceux qui hantent l’anti-chambre, en leur refusant l’accès à son siège, ce qui lui évite de se justifier (« César pour quelque temps s’est soustrait à nos yeux/ Déjà par une porte au public moins connue », v. 134-135), en surveillant leurs paroles (« Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux ; / Et jamais l’Empereur n’est absent de ces lieux », v. 713-14), mais aussi leurs gestes puisque Junie, puis Britannicus, sont faits prisonniers (« Fait enlever Junie […] », v. 54 ; « Gardez Britannicus […] », 1080) et Agrippine, placée sous la garde rapprochée des soldats de Néron (« Et qu’au lieu de sa garde on lui donne la mienne », v. 1092). Les personnages de l’anti-chambre sont donc sous l’emprise de la chambre sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir.
Leur seule échappatoire est l’extérieur : la foule ou le temple des Vestales, qui offrent leur protection à Junie, qui parvient seule à s’enfuir (« Des portes du palais elle sort éperdue », v. 1747)
Comment représenter cette anti chambre? Importance de la fameuse porte. Quelque chose de labyrinthique.accès vers d'autres lieux du palais: les appartements d'Octavie, la femme de Néron.
Comment symboliser la surveillance exercée par Néron, les signes de sa puissance?
Photos de mise en scène célèbres
Voir aussi la note d'intention de la Compagnie Pandora:
Bien qu’on y parle constamment du pouvoir de
l’Empereur, qu’on y évoque à plusieurs reprises la pompe éblouissante de la
cour, jamais Racine ne nous les fait voir dans leur plein éclat. Au contraire,
tout se déroule dans un lieu unique et secret, mental et concret, clos et
ouvert, l’antichambre qui conduit à l’appartement personnel de l’Empereur. On
peut y accéder de l’extérieur comme de l’intérieur du palais, mais peu de gens
y sont admis : la famille, les intimes, amis et conseillers – le premier
cercle en somme.
Ce lieu où s’échangent les confidences les plus
intimes, jusqu’à l’impudeur, où s’accomplissent également des actions
« monstrueuses », ne figure pas tant les coulisses du pouvoir – ce
serait trop banal – que l’envers du décor. Ce qui intéresse Racine et le rend
si singulier, ce n’est pas l’histoire romaine, ou l’histoire de la cour de
Louis XIV, mais l’« histoire inconnue, énigmatique, des âmes et des corps.
Derrière le décorum du pouvoir, la vérité au travail. Le théâtre de Britannicus
n’est pas tant le lieu des complots et des trahisons que le laboratoire
très secret, très sombre, où se révèlent et se vivent les désirs douloureux et
contradictoires, où l’amour et la haine s’exaspèrent jusqu’à devenir
indistincts, où l’on comprend que nul n’est maître du jeu. Et surtout pas
Néron : le maître du monde est un jeune homme seul, qui a peur et qui ne
se connaît pas ; un monstre dormait, il aurait pu ne jamais s’éveiller. Le
réveil a lieu avec Junie ; le monstre – la chose, l’alien – naît en
même temps que l’amour pour une femme en position de victime. Le monstre
grandit en lui, à mesure qu’elle se dérobe à son désir, à mesure aussi que
Néron tente de s’arracher à l’amour « tentaculaire » de sa
mère. Le combat qui s’engage entre Agrippine et Néron, ces deux monstres,
est donc moins un combat pour le pouvoir que celui de l’amour et de la haine.
Mais l’amour et la haine sont les instruments du pouvoir dans Britannicus.
Jamais on n’a été si loin dans la mise en scène de ce qui lie une mère et son
fils. Ce n’est pas le pouvoir politique que les personnages désirent, c’est le
pouvoir sur l’autre, je veux dire sur le même, le pouvoir de persécution,
d’avilissement, d’anéantissement. C’est cela qui les conduit au pire. C’est la
rencontre terrifiante et pitoyable du pouvoir illimité (ce sont les maîtres du
monde) et de la perversion qui crée une telle sidération, une telle angoisse
dans la pièce la plus noire de Racine.
À la création, ses contemporains ont eu le
plus grand mal à la supporter. Où était passé le sublime ? Les siècles ont
passé et la question reste toujours aussi brûlante. Britannicus est
l’occasion pour Racine d’une méditation sur la Mal. Il s’agit de mettre
l’intérieur à l’extérieur, l’intime à nu.