Photos du spectacle
Interview de Brigitte jaque-Wajman à propos de son choix de dominique constanza pour Agrippine
Brigitte Jaques-Wajeman, "Naissance d'une mise en scène"
À
l'invitation de l'Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS,
ENS), je me propose de retracer la genèse de la mise en scène de Britannicus
que l'on peut voir actuellement et jusqu'au 30 juin 2005 au théâtre du
Vieux-Colombier. Il s'agira de cerner au plus près le surgissement du
"désir de mettre en scène" et d'en suivre le développement jusqu'à sa
réalisation. Un atelier de cinq semaines mené en 2001, prétexte d'un
travail sur le vers avec de jeunes comédiens en est à l'origine. En
2002, suite au succès de Ruy Blas dans la salle Richelieu, je propose la
mise en scène de Britannicus pour la salle du Vieux-Colombier (300
places) avec, dans le rôle d'Agrippine, Dominique Constanza et dans le
rôle de Néron, Alexandre Pavloff, jeune comédien qui vient d'être nommé
sociétaire. Le projet est accepté et programmé pour la saison 2003-2004.
Commence alors, un long temps de réflexion et de travail mené avec
Emmanuel Peduzzi, scénographe et costumier. Que donner à voir, en
effet ? Quel décor ? Quels costumes ? Plusieurs maquettes sont réalisées
avant d'aboutir au choix du décor tel qu'on peut le découvrir sur la
scène aujourd'hui. Cette phase de travail progressive et plutôt
erratique est l'un des moments clefs de la gestation de la mise en
scène. Elle est accompagnée d'une réflexion dramaturgique intense, sur
le sens du spectacle. Britannicus est l'occasion pour Racine
d'une méditation sur le mal. À un moment du travail avec le scénographe,
il m'a paru nécessaire de figurer sur la scène la terreur et la
jouissance criminelles qui sont en jeu dans la pièce. Je décrirai
comment, d'une idée de quartier de boeuf enveloppé dans un plastique
transparent et pendu à un crochet sur la scène, nous en sommes venus à
l'invention d'un objet énigmatique fait de lanières plastique
ensanglantées composant une sorte de colonne mouvante suspendue aux
cintres qui avance ou recule au gré des scènes. Cet objet, presque
organique, qu'on appelle « la bête », ou « l'alien » est un partenaire
essentiel des acteurs. Je décrirai également comment est née,
corrélativement au décor, la décision de réaliser des costumes modernes
plus propres à une chorégraphie (Pina Bausch) qu'au théâtre, et pouvant
évoquer le cinéma (de Visconti à Cronenberg). Enfin, une fois choisis
l'espace, les costumes et les accessoires, vient le temps des
répétitions avec les acteurs : la mise en scène des corps (dansants,
souffrants) et des voix (du murmure au cri) a été l'enjeu essentiel de
la direction d'acteur dans ce théâtre de mots. En conclusion, je
m'aperçois combien les arts non théâtraux - danse, musique, arts
plastiques, cinéma et littérature - ont nourri cette mise en scène et
lui ont donné paradoxalement sa liberté théâtrale.
Brigitte Jaques-Wajeman