Il
est des morts qui ne font pas de bruit, celle de Büchner fut de celles-là. De
son vivant déjà, il n’était rien, ou presque : un exilé politique, un ancien
agitateur désormais retourné à l’anonymat, un jeune professeur dont
l’enseignement ne dura que deux mois, dans une discipline bizarre, l’anatomie
animale. Côté littérature, il était l’auteur d’une seule œuvre, un drame
historique, La Mort de Danton. Ce
curriculum déjà modeste ne s’est accru que de la publication posthume des rares
manuscrits recueillis après sa mort : un autre drame, à l’état de fragments, Woyzeck, une comédie destinée à un
concours, Léonce et Léna, un récit
inachevé, Lenz. Pourtant, c’est avec
rien de plus que ce peu-là que Büchner a fait son entrée dans la modernité. Et
la force de cette œuvre inachevée continue de nous étonner, quand on considère
la postérité prodigieuse d’un homme mort à 23 ans
Büchner dévoile
dans Woyzeck
« l’obscène », ce qui est rejeté communément hors de la scène, hors
du théâtre du monde : l’exploitation de l’homme par l’homme, la folie, les
pulsions meurtrières. Il y approfondit la critique sociale de ses textes
précédents en prenant pour personnage principal un pauvre diable qui sert de
domestique à son Capitaine, de sujet d’expérimentation médicale, qui est trompé
par sa femme et humilié en public par l’amant de celle-ci. Il finit par la tuer
à coups de couteau.
Sandrine
Pires a demandé aux élèves dans le traitement quasi choral de fragments de la
pièce d’accentuer la dimension de marionnette des personnages, en proie chacun à une
manipulation différente qui les mène vers une folie, toujours sous le
regard du groupe qui semble exiger que chacun joue un rôle préétabli, comme le
suggère le bonimenteur, animaux de foire et êtres humains aliénés ne sont guère
éloignés les uns des autres. Et finalement le plus fou n’est pas Woyzeck dont
le discours hanté n’est jamais dénué d’une profonde humanité. Il ne sait pas
vraiment dire mais ce qu’il ressent sonne souvent juste et plonge dans un abîme
vertigineux.