Büchner dévoile
dans Woyzeck, dès le début du
XIXème, « l’obscène », ce qui est rejeté communément hors de la scène,
hors du théâtre du monde : l’exploitation de l’homme par l’homme, la folie, les
pulsions meurtrières. Il y approfondit la critique sociale de ses textes
précédents en prenant pour personnage principal un pauvre diable qui sert de
domestique à son Capitaine, de sujet d’expérimentation médicale, qui est trompé
par sa femme et humilié en public par l’amant de celle-ci et par toute la
communauté.. Il finit par la tuer à coups de couteau.
Sandrine
Pires a demandé aux élèves dans le traitement quasi choral de fragments de la
pièce d’accentuer la dimension de marionnette des personnages, en proie chacun à une
manipulation différente et qui les mène
vers une folie, toujours sous le regard du groupe qui semble exiger que
chacun joue un rôle préétabli. Comme le suggère le bonimenteur, animaux de
foire et êtres humains aliénés ne sont guère éloignés les uns des autres. Et
finalement le plus fou n’est pas Woyzeck dont le discours hanté n’est jamais
dénué d’une profonde humanité. Il ne sait pas vraiment dire mais ce qu’il
ressent sonne souvent juste et plonge dans un abîme vertigineux.
Sandrine
a demandé aux élèves d’entrer dans un code de jeu très physique qui sollicite
le corps tout entier et de porter la voix à hauteur de l’intensité gestuelle.
Rien n’est quotidien dans ce type de jeu. Elle a nourri les élèves avec des
mots clé : atmosphère de cauchemar, marionnette, rupture, folie. L’adresse,
comme pour le jeu de marionnette, passe par le public et c’est celui qui écoute
qui peut être de profil. Cela souligne la difficulté de communication des
personnages qui restent prisonniers de discours que les autres n’entendent pas
vraiment. Jean-Louis Besson a montré que la critique actuelle pour expliquer l’incroyable
modernité de la pièce de Büchner se fonde davantage sur les ruptures du
dialogue, qui n’en est jamais vraiment un, que sur le caractère fragmentaire de
la pièce, lié à son inachèvement.
Pour
accentuer la folie des personnages, le jeu n’est pas psychologique mais plutôt
chorégraphié, les élèves insèrent parfois dans leur scène des séquences
gestuelles inventées à partir de consignes lors d’un exercice : un saut,
une glissade, un passage au sol etc qui créent une incongruité et un malaise.
Les transitions entre les différentes scènes dans la « petite forme »
que nous avons inventée créent des ruptures également lors des mises avec
chaises et pancartes pour signaler qui joue qui. Les comédiens ne quittent
jamais le plateau et tout se fait à vue pour accentuer l’idée d’une
surveillance de tous par tous qui empêche un véritable accès du sujet à
lui-même et à sa propre parole.
Les
élèves ont immédiatement adhérés aux propositions de Sandrine. Certains avaient
déjà travaillé avec elles sur le Dragon
d’Evgueni Schwartz l’an dernier en option facultative.