dimanche 8 décembre 2019

Scénographie de Peduzzi pour Brigitte Jaques-Wajman (3)


« Il aurait été tentant de présenter l’action dans un palais à la Saddam Hussein, par exemple, mais j’ai refusé. Ni la pompe antique, ni les apparats du xviiesiècle ne semblent mieux convenir à cette méditation. Avec Emmanuel Peduzzi nous avons opté pour un espace nu qui souligne le mystère, la part obscure de Néron. Le monstre naît. Il ne demande que deux heures pour aller jusqu’au crime. Racine ose faire triompher le mal. Aucune idée de sublime comme chez Corneille ne vient contrebalancer la noirceur des situations. Il touche à la part obscure de l’être, sa part maudite. Peut-être la nôtre ? Une telle tragédie demande un traitement moderne. Ce n’est pas le pouvoir politique que les personnages désirent, c’est le pouvoir sur l’autre, de persécution, d’avilissement, d’anéantissement (Propos recueillis par Marion Thébaud, « Brigitte Jaques : Racine a inventé l’angoisse au théâtre », Le Figaro du
19 janvier 2004) 



Photos du spectacle

« L’espace de jeu est essentiel dans la préparation d’un spectacle et peut-être plus encore dans la tragédie classique où tout se déroule dans un lieu unique. Pour Britannicus, Racine dit seulement “La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.” Au metteur en scène de dire quelles sont les résonances qu’elle y prépare.
Bien qu’on y parle constamment du pouvoir de l’Empereur, qu’on y évoque à plusieurs reprises la pompe éblouissante de la cour, jamais Racine ne nous les fait voir dans leur plein éclat. Au contraire, tout se déroule dans un lieu unique et secret, mental et concret, clos et ouvert, soit l’antichambre qui conduit à l’appartement personnel de l’Empereur. On peut y accéder de l’extérieur comme de l’intérieur du palais, mais peu de gens y sont admis : la famille, les intimes, amis et conseillers – le premier cercle en somme.
Ce lieu où s’échangent les confidences les plus intimes, jusqu’à l’impudeur, où s’accomplissent également des actions “monstrueuses”, ne figure pas tant les coulisses du pouvoir – ce serait trop banal – que l’envers du décor. [...] Car le théâtre de Britannicus n’est pas tant le lieu des complots et des trahisons que le laboratoire très secret, très sombre, où se révèlent et se vivent des désirs douloureux et contradictoires, où l’amour et la haine s’exaspèrent jusqu’à devenir indistincts, où l’on comprend que nul n’est maître du jeu. Et surtout pas Néron : le Maître du monde est un jeune homme seul, qui a peur et qui ne se connaît pas ; un monstre dormait en lui, il aurait pu ne jamais s’éveiller. [...] Ce n’est pas le pouvoir politique que les personnages désirent, c’est le pouvoir sur l’autre, je veux dire sur le même, le pouvoir de persécution, d’avilissement, d’anéantissement.
C’est cela qui les conduit au pire. C’est la rencontre terrifiante et pitoyable du pouvoir illimité (ce sont les maîtres du monde) et de la perversion qui crée une telle sidération, une telle angoisse dans la pièce la plus noire de Racine. [...]
“Le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde.”
Ce pourrait être la conclusion de la pièce. »
B. Jaques-Wajeman, texte de présentation du spectacle, extrait du Journal du Théâtre, janvier 2004, p. 9.