« Il aurait
été tentant de présenter l’action dans un palais à la Saddam Hussein, par
exemple, mais j’ai refusé. Ni la pompe antique, ni les apparats du
xviiesiècle ne semblent mieux convenir à cette méditation. Avec Emmanuel
Peduzzi nous avons opté pour un espace nu qui souligne le mystère, la part
obscure de Néron. Le monstre naît. Il ne demande que deux heures pour aller
jusqu’au crime. Racine ose faire triompher le mal. Aucune idée de sublime
comme chez Corneille ne vient contrebalancer la noirceur des situations. Il
touche à la part obscure de l’être, sa part maudite. Peut-être la nôtre ?
Une telle tragédie demande un traitement moderne. Ce n’est pas le pouvoir
politique que les personnages désirent, c’est le pouvoir sur l’autre, de
persécution, d’avilissement, d’anéantissement (Propos recueillis par Marion
Thébaud, « Brigitte Jaques : Racine a inventé l’angoisse au théâtre », Le
Figaro du
Photos du spectacle
« L’espace
de jeu est essentiel dans la préparation d’un spectacle et peut-être plus
encore dans la tragédie classique où tout se déroule dans un lieu unique.
Pour Britannicus, Racine dit seulement “La scène est à Rome, dans une chambre
du palais de Néron.” Au metteur en scène de dire quelles sont les résonances
qu’elle y prépare.
Bien qu’on y
parle constamment du pouvoir de l’Empereur, qu’on y évoque à plusieurs
reprises la pompe éblouissante de la cour, jamais Racine ne nous les fait voir
dans leur plein éclat. Au contraire, tout se déroule dans un lieu unique et
secret, mental et concret, clos et ouvert, soit l’antichambre qui conduit à
l’appartement personnel de l’Empereur. On peut y accéder de l’extérieur comme
de l’intérieur du palais, mais peu de gens y sont admis : la famille, les
intimes, amis et conseillers – le premier cercle en somme.
Ce lieu où
s’échangent les confidences les plus intimes, jusqu’à l’impudeur, où
s’accomplissent également des actions “monstrueuses”, ne figure pas tant les
coulisses du pouvoir – ce serait trop banal – que l’envers du décor. [...] Car
le théâtre de Britannicus n’est pas tant le lieu des complots et des
trahisons que le laboratoire très secret, très sombre, où se révèlent et
se vivent des désirs douloureux et contradictoires, où l’amour et la haine
s’exaspèrent jusqu’à devenir indistincts, où l’on comprend que nul n’est
maître du jeu. Et surtout pas Néron : le Maître du monde est un jeune homme
seul, qui a peur et qui ne se connaît pas ; un monstre dormait en lui, il
aurait pu ne jamais s’éveiller. [...] Ce n’est pas le pouvoir politique que
les personnages désirent, c’est le pouvoir sur l’autre, je veux dire sur le
même, le pouvoir de persécution, d’avilissement, d’anéantissement.
C’est cela
qui les conduit au pire. C’est la rencontre terrifiante et pitoyable du pouvoir
illimité (ce sont les maîtres du monde) et de la perversion qui crée une
telle sidération, une telle angoisse dans la pièce la plus noire de Racine.
[...]
“Le ventre
est encore fécond d’où est sortie la bête immonde.”
Ce pourrait
être la conclusion de la pièce. »
B.
Jaques-Wajeman, texte de présentation du spectacle, extrait du Journal du
Théâtre, janvier 2004, p. 9.