A lire pour comprendre la différence entre décor et scénographie ainsi que pour le spropositions des deux metteurs en scène.
Scénographie de Gilles Taschet pour la mise en scène de Martinelli
Photos de la mise en scène de Martinelli
« La mécanique des coulisses de la politique met en jeu des
parcours multiples, des retournements successifs, des jeux d’alliance
changeants et instables, et les protagonistes sont tous inquiets de maintenir
qui leur influence, qui leur pouvoir. Par excellence le Palais demeure le lieu
de l’intranquillité. Nous voulons la rendre palpable, angoissante, Notes jetées avant les répétititions,
Martinelli. »
Un théâtre rituel pour le scénographe Gilles
Taschet
«
Jean-Louis ne voulait pas que l’on puisse deviner à l’avance d’où venaient
les acteurs. Un peu comme dans le théâtre antique grec, on sait que chaque
porte donne des indications au spectateur sur la provenance géographique des
personnages. Ici, tous les couloirs étaient obscurs, pour que l’on ne
s’attende pas à ce que les acteurs viennent d’un côté ou d’un autre.
Par ailleurs
la scénographie se construit principalement sur la scène qui tourne. Néron
avait une salle de banquet qui était tournante, qui permettait d’accompagner
le mouvement du Soleil pour qu’il soit toujours dans la lumière, quelle que
soit la position du Soleil. Cette invention fait le lien entre l’idée de
pouvoir absolu et la mécanique qui met en scène ce pouvoir. On peut [aussi
parfois] voir un acteur de dos, puis quelque seconde plus tard, il est de
profil. Le regard des spectateurs sur les acteurs change. La scène qui tourne
a plusieurs vertus : elle permet de créer quelque chose de l’inconfort pour
les acteurs, un rapide déséquilibre. Ça crée des petites choses complètement aléatoires.
L’acteur faisait quelque chose qui lui échappait, ça participait à cette
volonté qu’on avait de créer de la tension au niveau des corps et du danger,
omniprésent car nous sommes dans des conflits d’une violence extrême.
On retrouve
le bassin central dans toutes les mises en scène de Racine qu’on a faite, un
élément qui permet de laver ce qui vient de se passer entre chaque acte. On y
faisait tomber une sorte de pluie très violente, comme un orage. Ça avait un
son très spécifique. C’est aussi un lieu d’ablutions pour les acteurs. Ils
viennent prendre de l’eau avec leurs mains, la déposer sur le front, comme on
voit Britannicus le faire. C’est quelque chose qui est proche du rituel du
théâtre antique grec. Ça prend en charge quelque chose de très concret et
très sensuel : l’apaisement des passions physiques avec l’eau et en même
temps, une sorte de symbolique de renaissance après chaque acte pour
régénérer les personnages. »
Propos
recueillis le 12 juin 2017.
Analyse de la scénographie dans la mise en scène de Martinelli:
SCÉNOGRAPHIE : de « dans une chambre du palais de Néron» à un atrium tragique...
Les
spectateurs découvrent un espace scénique épuré, qui renvoie à l’esthétique du
plateau nu. Plutôt qu’une antichambre (rappeler la didascalie « dans une
chambre du palais de Néron »), cet espace se réfère à l’atrium9, avec sa
fontaine centrale : sorte de cour intérieure, à ciel ouvert, qui, dans les
maisons latines, ouvrait sur les pièces de la
maison. L’espace renvoie donc à la méditerranée, sur les murs bleu gris semble
se refléter le ciel (mais plutôt comme dans une caverne de Platon...). On ne
semble ne s’échapper que par le haut, ce ciel qui figure le divin. Celui-ci
s’exprime à la fois dans le tragique destin déjà écrit, déjà connu (tragique
antique) et dans le jugement divin que l’on craint au XVIIèmesiècle. Quant aux cieux bien sombres : sont-ce ceux du
XXIèmee siècle ?
1/ En quoi
consiste le dispositif scénique ? [Questions de relance : Où mène la porte principale ?
Quel matériau la constitue ? Quelle remarque cela appelle? Qui franchit ce « passage»
? Pourquoi peut-on parler
de double «
porte », de passage principal ? Quels autres « passages » y-a-t-il ? Qui les
utilise ? Quels espaces extérieurs sont mentionnés ? Que s’y passe-t-il ? ]
Ce n’est pas
dans cet espace que se réalise la tragédie ; il s’agit de représenter un espace
de conflits et un espace de confidences, un espace de huis clos. C’est un lieu
de passage qui mène vers d’autres lieux, d’autres pièces du palais (chambre de
Néron, appartement d’Octavie, de Pallas) : c’est donc un lieu ouvert mais un
lieu de pouvoir qui dégage une impression d’étouffement : les personnages sont
arrêtés sur scène.
L’espace est
sombre : boite semi-circulaire noire avec des murs comme des bandes sombres,
alternant avec des sorties-coulisses noires qui forment un demi-cercle ; un mur
de briques, en fond de scène, l’ « accès contourné» remplace la porte de Néron.
Au centre,
un plateau de bois (matériau noble et chaud) tournant est inséré dans un sol
béton bleuté (reflet des cieux ?).
Cet espace
mène aux appartements de Néron ? L’accès est figuré par un mur de briques
(appareil architectural de base à Rome). Le mur de briques, infranchissable,
symbolise l’impasse dans laquelle se trouvent les personnages (Néron compris).
La porte est un mur, la situation tragique sans issue est représentée d’emblée.
Ce passage
est agrémenté d’un rideau rouge, avec lequel joue Néron. Cet élément scénique
renvoie au rideau de scène.
J.L
Martinelli nous présente le spectacle de la politique. Néron est comédien quand
il surprend Junie (le rideau devient alors presque accessoire de drame
romantique, Néron prend la pose du jeune amoureux à la manière d’un Célio),
scène 3 acte II mais aussi, quand il feint de se réconcilier avec sa mère dans
la scène 2 de l’acte IV ; Néron est metteur en scène quand il donne ses
indications à Junie dans la scène 3 de l’acte II et qu’il suit l’action en
témoin caché dans les « coulisses » à la scène 6 de l’acte II.
Le mur en
fond de scène signale également qu’il n’y a pas d’ailleurs possible que la
scène.
La chambre
de Néron, comme murée, focalise l’attention : Burrhus et Narcisse, avec Néron,
sont les seuls à entrer et sortir par cette entrée détournée, cette entrée en «trompe
l’œil», cette entrée sans issue. C’est un signe de pouvoir, de proximité du
pouvoir, d’une certaine intimité avec l’empereur. Mais le mur signale que
l’influence du conseiller sera bientôt sans effet.
Les autres
entrent et sortent par les sorties coulisses (entrées dérobées, à peine
visibles), symbole de leur destin funeste ou leur influence limitée.
L’espace du
plateau central se présente comme un piège : il est piste, arène, cible, piège,
toile, roue de la fortune...Il rappelle le jeu, souligne le « théâtre dans le
théâtre ».
Au centre
l’impluvium, qui est miroir durant l’action, semble recueillir, avant même le
début de la tragédie, les larmes que vont faire verser cette tragédie. Elle
permet à Junie de laisser une trace «concrète» sur le plateau.
Le plateau
de bois devient « manège», «rouage» à l’acte 4 : d’abord lieu de joutes,
d’affrontements et de retrouvailles, il symbolise alors plutôt le petit jeu de
la politique et de la manipulation. Agrippine croit manipuler Néron ; Néron
mène le jeu, il est le metteur en scène de cette pantomime.
Burrhus est
un « pantin» face à un Narcisse machiavélique : la roue tourne.
Avec ce
plateau tournant, les coulisses du palais deviennent lieu d’intranquillité.
3/ Comment
le dispositif rend-il à la fois compte de l’enfermement et de l’expression du
pouvoir ?
[Relance :
quand sont-ils dans le cercle, hors du cercle ?]
La scène, atrium,
donc lieu ouvert, devient un lieu fermé, une prison dont on ne peut sortir, où
on est menacé, maltraité, épié par le tyran. L’espace scénique montre moins le
territoire de Néron qu’un territoire de jeu : scène dans la scène ; théâtre
dans le théâtre. Néron y amène de force Junie, s’y mesure avec Britannicus ;
s’y dispute avec Agrippine, et celle-ci y affronte Burrhus...
C’est un «
jeu » de pouvoir, de séduction et de dérobade – de retournements - sans fin qui
se déroule sous les yeux du spectateur, médusé.
Sortir du
plateau central c’est échapper à la tension, au rapport de forces : c’est
autour du cercle que les accords, les conciliations se tentent. Mais sortir de
scène par les entrées coulisses c’est risquer la mort. La mort, c’est hors
scène.
Quelle
époque le fauteuil fait-il référence ? Qui s’y assoient ? Pour quelles raisons
? Interprétez alors ses différentes fonctions.
Un seul
fauteuil à haut dossier traîne sur scène, souvent déménagé : par son haut
dossier il est de style Louis XIV mais la sobriété de ses formes évoque
également Louis XIII. Il est la métaphore du pouvoir et de la transmission de
celui-ci : Agrippine s’y assoit encore, Néron finit par lui donner sa place de
trône...
Néron semble
«l’essayer», le déplace, y hésite, y écoute les leçons de son maître Narcisse.
N’empêche, c’est là qu’il a laissé négligemment la veille son manteau
d’Empereur. Il le conquiert le temps de cette tragédie. D’abord placé de côté
comme un siège pour écouter la leçon, il domine l’espace scénique, au centre
mais vide. Le pouvoir qu’il représente n’est pas le bon.