mercredi 29 janvier 2020

Piscine(s): notes d'intention Matthieu Cruciani (Suite)

Une pièce visuelle, chorale, festive, incisive 

Cette pièce est comme une cavalcade qui roule, accumule de la vitesse, de la fureur, de la musique et des mots, de la danse, rend compte de la mémoire récente des hommes et femmes (blancs) qui persistent à danser sur le cadavre tiède du monde, à nager dans ses mers salies.Piscine(s), pour nous, théâtralement, doit être une forme de manège fou, ludique, estival, et ouvrir, derrièreles couleurs des fêtes, le crépuscule d’un héros délavé, dans les ruines debout d’une société rendue à l’état de cinéma. Qui ne souhaite plus distinguer l’or du toc, pensant la guerre perdue, s’enivrant de faux -semblants. Cet instant où, inconsciemment, on lâche, on se laisse couler au fond des illusions parce que le réel n’est plus soutenable.La piscine, symbole de la vacuité remplie de cette société, est au coeur de la scénographie.Le procédé narratif de notre pièce est simple. Il y a une piscine sur scène (conçue par Nicolas Marie), peu profonde mais vaste, elle agit comme un trompe-l’œil, comme un miroir aux alouettes. À chaque changement de scène, on la retrouve au centre, parfois dans un jardin différent, dans une époque différente,au cœur de nouvelles fêtes. Les personnages changent eux aussi, la société évolue, mais toujours autour de cette entité immuable.Ainsi, à mesure que le plateau s’altère, la musique s’aggrave, les noces s’assombrissent, se creusent, le héros mène l’enquête sur sa propre vie, comme on se souvient d’un rêve.À chaque îlot correspond souvent une fête, avec une texture, une ambiance, une musique. C'est toujours le même endroit qu’on parcourt, la même planète, le même fleuve qui nous trempe, et jamais tout à fait le même. Nous basculerons sensiblement d’une théâtralité pop, cinématographique, à quelque chose deplus physique, de plus présent, de plus acéré.Quant au héros, il lui faudra être attentif aux détails, attentif aux signes furtifs d'un passé en cours d’effacement à recomposer, les bouts de choix et de hasards qui lui ont composé une culture, et donc une vie.

 Le travail en cours 
 François Bégaudeau a écrit le texte de Piscine(s) au fil de nos répétitions.Nous travaillons dans un incessant aller-retour entre texte et plateau, seulement rendu possible par dix ans de travaux communs.Au moment de mettre en critique certains aspects de notre société, un seul axiome a présidé à notre travail.Celui de se mettre en cause. Et quand il s’est agi de typer les membres de cette communauté à la dérive dont nous souhaitions faire le portrait, nous nous sommes répondus clairement par un : disons que ce serait nous. Travaillant à un théâtre visant à se mettre en cause, plutôt qu ’hors de cause. Les méchants,les perdus, les impuissants, et si c’était nous pour une fois.Une question particulière nous agit : à l’heure de l’hyper vélocité et quantité des circulations d’informations,du tourbillon des modes et des opinions, que reste-t-il de « personnel » dans nos discours ? Et quelle part,donc, d’impersonnel dans ce qui nous construit ?La pièce est bâtie sur l’alternance de dialogues et de chœur écrits, rendant le chant et la rumeur de nos pensées mises en boucle, de nos butées, l’enivrement de données et d’opinions qui, privées de passage à l’acte, racontent si bien notre sentiment contemporain d’impuissance, la sensation de savoir et de ne pouvoir rien faire.Nous avons ainsi fait deux longues résidences de travail en juin et septembre 2019, pour affiner, ajuster,approfondir notre propos, et sa manière en quelque sorte, ses codes. Faire que le texte soit celui de l’auteur,mais pas que, plus encore celui du projet singulier que nous inventons. La langue d’un univers à représenter, et des actrices et acteurs qui l’inventent au fil du travail.C’est un souhait fort que j’ai, de centrer mon travail de plateau autour de magies simples,élémentaires : les acteurs, leur texte, leurs corps dans un même mouvement. D’en faire une proposition organique. Où toutes les matières sont pétries dans le même moment commun de répétition.Pour la troisième fois consécutive, je travaille avec la chorégraphe Cécile Laloy à mes côtés, pour l’écriture physique de ce grand bal. Nous cherchons ensemble à restituer l’infra chorégraphie de nos journées, nos chorégraphies sociales, ce que disent nos corps dans l’intervalle des mots.Ce qu’ils disent de vrai quand les mots manquent ou mentent. Les récurrences de nos pas. Avec le sentiment vif qu’une société est toujours structurée comme une chorégraphie.Nous avons noué avec Clément Vercelleto, compositeur, un partenariat avec l’Opéra national du Rhin, et organisons des séances d’enregistrements des artistes lyriques de l’Opéra Studio. À partir de ceux-ci,Clément compose des « orgues à voix », dont il joue ensuite pour composer la musique et les ambiances des différentes garden party. Pour rendre aussi avec un petit clin d’œil l’atmosphère d’étrangeté et de fantastique qui parcours la pièce.Pièce où il est aussi question de disparition, de hantise et de trompe-l’œi