Anton Pavlovitch Tchekhov, auteur russe de la fin du xixe siècle (1860-1904), a exercé une influence considérable sur le théâtre du xxe siècle, en inventant une écriture dramatique fondée sur la vie quotidienne, ainsi que sur l’exposition des souvenirs et des aspirations des êtres humains, plus que sur leurs actes.
« Dans mes pièces, il ne se passe rien », affirmait-il lui-même.
Médecin dans les environs de Moscou, Tchekhov trouve dans l’exercice de son métier l’occasion d’observer divers milieux sociaux, d’ausculter de multiples comportements humains, tout en maintenant « l’équilibre entre la com-passion et la distance » 3.
Il se fait d’abord connaitre en publiant des nouvelles dans des quotidiens, comme le Temps nouveau (1886). Puis, il adapte certaines de ses nouvelles à a scène, avant d’écrire sa première pièce, Ivanov, en 1887. Son talent d’auteur de récits a d’ailleurs des conséquences sur son écriture théâtrale : les personnages secondaires y sont nombreux, les didascalies atteignent parfois la longueur d’une description romanesque, et plusieurs actions ont souvent lieu parallèlement sur scène. Tchekhov dit de sa pièce Les Trois Sœurs, qu’elle est « compliquée comme un roman ».
Pour le théâtre, il compose de courtes pièces satiriques, en un acte, qui raillent les travers de certains milieux russes : celui des propriétaires terriens dans L’Ours(1888), celui des fonctionnaires et des petits employés dans La Noce (1890), et celui des banquiers dans Jubilé (1891). Il écrit aussi de longues pièces en quatre actes, où ces milieux se côtoient : La Mouette (1896), Oncle Vania (1897), Les Trois Sœurs (1901) et enfin, La Cerisaie sa dernière pièce, rédigée entre 1901 et 1904, alors qu’il est atteint d’une tuberculose. Il meurt quelques mois après l’avoir achevée, en Allemagne, à Badenweiler, où il s’est exilé en quête d’un climat plus clément que celui de l’hiver russe.
La Cerisaie est expressément écrite pour le Théâtre d’Art de Moscou, la troupe dirigée par Constantin Stanislavski, acteur et metteur en scène qui a rendu le dramaturge Tchekhov célèbre. La rencontre des deux hommes en 1899, a été décisive pour l’un comme pour l’autre. En effet, cette année-là, la mise en
scène de La Mouette par Stanislavski remporte un grand succès, alors que la pièce avait connu un four trois ans plus tôt, quand elle avait été montée au Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg. Mais, si Tchekhov doit à Stanislavski, et la faveur du public, et sa rencontre avec sa future femme Olga Knipper (actrice dans la troupe du Théâtre d’art, qu’il épouse en 1901), le metteur en scène doit aussi beaucoup à l’auteur de théâtre. En effet, c’est en montant les pièces de Tchekhov, que Stanislavski met au point toute une réflexion nouvelle sur le jeu d’acteur. À ses yeux, « Les pièces de Tchekhov regorgent d’action : mais d’une action qui se développe au-dedans, et pas au-dehors. »4 Les rôles de Tchekhov sont souvent, selon l’expression de Stanislavski, « sans agrafes », (tellement courts qu’ils tiennent en une page donc on n’a pas besoin d’agrafer les feuillets), mais ils sont en vérité inépuisables. L’acteur y trouve à chaque fois des émotions neuves. Car il doit moins jouer le texte que les états d’âmes qu’il suscite, en faisant appel aux pauses, aux regards silencieux, qui ne sont pas toujours explicites dans le texte. C’est au comédien de les trouver par tout un travail intérieur.
Tchekhov est persuadé d’avoir écrit, avec La Cerisaie, une « comédie », mais il ne justifie jamais sa position. Stanislavski déclare qu’il s’agit d’une « tragédie », et Némirovitch-Dantchenko (associé et conseiller littéraire de Stanislavski) parle, pour sa part, de « drame ». Ces divergences entre les trois hommes montrent bien que la pièce joue sur différents registres, sans véritablement appartenir à un genre défini.