jeudi 1 octobre 2020

L'acteur syrien Jalal Altawil

 

« Il y a quelques jours, il y a eu une attaque chimique à Damas. J’étais sur scène, à attendre en coulisse. J’ai dit à Wajdi : Il y a des attaques chimiques, il y a quarante personnes qui sont mortes ! Il m’a répondu d’entrer sur scène pour raconter l’histoire de l’Oiseau amphibie. Il m’a dit Notre armée, c’est l’art. Pour ces raisons, mon histoire avec Wajdi, avec toute cette équipe, avec La Colline, c’est très personnel, touchant et profond », nous racontera Jalal Altawil, acteur originaire de Syrie. Mais quelle est-elle, cette histoire de l’Oiseau amphibie qui éclaire le titre de la pièce ? Celle d’un oiseau qui se trouvait à ce point fasciné par l’existence des poissons qu’il ne songeait qu’à plonger sous l’eau, qu’à s’y laisser tomber afin d’y découvrir leur monde. Ses congénères le prirent pour fou et le mirent en garde à de nombreuses reprises, lui promettant mort immédiate : oiseaux et poissons ne sauraient se mélanger — aucun ne parviendrait à respirer dans le monde de l’autre. Il vécut longtemps une vie monocorde, dénuée de rêves, puis n’y tint plus : il plongea. Au contact de l’eau, des ouïes poussèrent, lui permettant de respirer ; il devint amphibien et fut émerveillé du bleu du fond de l’eau et des couleurs de ces poissons dont il ignorait tout. « C’est moi, je suis l’un des vôtres, je suis l’oiseau amphibie », leur dit-il. Il devint celui qui était capable de parler aux oiseaux comme aux poissons.

« Un nom sur une pierre ne dit rien des peines et des joies… »

« Que faire d’al-Wazzān dans une pièce d’aujourd’hui racontant la vie d’une famille juive et d’un garçon juif qui tombe amoureux d’une fille arabe ? »

Cette parabole est racontée en arabe par Hassan al-Wazzān, ambassadeur et géographe du XVe siècle, incarné par Jalal Altawil, également traducteur du récit écrit par Mouawad. Quelques jours après la première représentation, nous rencontrons le comédien dans un café aux abords du théâtre. Il ne fut pas évident pour lui de comprendre son rôle, la place de ce diplomate musulman que les décennies déplacèrent — parfois de force — de Fez à Tombouctou, de Gao au lac Tchad, de l’Égypte jusqu’à La Mecque, Istanbul, Tripoli ou Tunis pour finir capturé par des pirates et vendu dans l’Europe chrétienne d’il y a six siècles. « Que faire de ce personnage dans une pièce d’aujourd’hui, racontant la vie d’une famille juive et d’un garçon juif qui tombe amoureux d’une fille arabe ? » L’auteur de Description de l’Afrique, ouvrage de référence de l’époque, dut se convertir au christianisme — de la main du pape — et se fit lui-même traducteur : en cette ère de divisions et de conquêtes entre chrétiens et Arabes, il fut une passerelle, portant sur les cultures qu’il traversait un regard de découvreur. « Wajdi m’a expliqué que sans lui, on perdrait toute la magie du théâtre pour rester dans le drame ou le cinéma. Al-Wazzān est le morceau de poésie de cette pièce. » Présent en filigrane, c’est en effet par sa parole que se produit l’envol final, permettant de surplomber l’ensemble des conflits familiaux auxquels le spectateur est confronté.

De nombreux traducteurs furent réquisitionnés pour la pièce : « C’était un autre challenge pour moi. Je suis professeur de théâtre, je travaille la voix et la prononciation en langue arabe, classique et plus ancien. Et je parle araméen, langue proche de l’hébreu et de l’arabe. Il m’a fallu traduire l’écriture de Wajdi Mouawad : ce n’était pas facile ! Puis passer par l’arabe classique pour la réécrire et la connecter à la langue d’Hassan al-Wazzān. » Jalal Altawil est, avant tout, un regard ; il a le sourire sincère et doux, une allure certaine et un français parfait, piqué de quelque accent syrien. Il se prépare une cigarette. « Le monologue de l’Oiseau amphibie a, dans sa version originale, la musicalité de la langue du Coran, qu’il fallait respecter. Il ne s’agissait pas de respecter seulement la langue arabe mais aussi celle de Wazzān — qui a appris le Coran par cœur et qui parlait sept langues ! Ce n’était pas un homme normal, c’était un fou ! (rires) » La personnalité d’al-Wazzān, un œil bleu et l’autre noir, hante la pièce ; « hante », oui, car il est le seul personnage ayant réellement existé à sillonner, avec une étrange bienveillance, le plateau. Il rappelle le chœur des tragédies grecques chères à l’auteur. « Il était capable de changer la couleur de son regard, d’où notre choix des deux couleurs pour ses yeux… »Article dans la revue ballast : 


Article dans la revue ballast

témoignage sur sa vie après avoir fui la Syrie 

 

Interview sur France Inter 

« Il y a quelques jours, il y a eu une attaque chimique à Damas. J’étais sur scène, à attendre en coulisse. J’ai dit à Wajdi : Il y a des attaques chimiques, il y a quarante personnes qui sont mortes ! Il m’a répondu d’entrer sur scène pour raconter l’histoire de l’Oiseau amphibie. Il m’a dit Notre armée, c’est l’art. Pour ces raisons, mon histoire avec Wajdi, avec toute cette équipe, avec La Colline, c’est très personnel, touchant et profond », nous racontera Jalal Altawil, acteur originaire de Syrie. Mais quelle est-elle, cette histoire de l’Oiseau amphibie qui éclaire le titre de la pièce ? Celle d’un oiseau qui se trouvait à ce point fasciné par l’existence des poissons qu’il ne songeait qu’à plonger sous l’eau, qu’à s’y laisser tomber afin d’y découvrir leur monde. Ses congénères le prirent pour fou et le mirent en garde à de nombreuses reprises, lui promettant mort immédiate : oiseaux et poissons ne sauraient se mélanger — aucun ne parviendrait à respirer dans le monde de l’autre. Il vécut longtemps une vie monocorde, dénuée de rêves, puis n’y tint plus : il plongea. Au contact de l’eau, des ouïes poussèrent, lui permettant de respirer ; il devint amphibien et fut émerveillé du bleu du fond de l’eau et des couleurs de ces poissons dont il ignorait tout. « C’est moi, je suis l’un des vôtres, je suis l’oiseau amphibie », leur dit-il. Il devint celui qui était capable de parler aux oiseaux comme aux poissons.

« Un nom sur une pierre ne dit rien des peines et des joies… »

« Que faire d’al-Wazzān dans une pièce d’aujourd’hui racontant la vie d’une famille juive et d’un garçon juif qui tombe amoureux d’une fille arabe ? »

Cette parabole est racontée en arabe par Hassan al-Wazzān, ambassadeur et géographe du XVe siècle, incarné par Jalal Altawil, également traducteur du récit écrit par Mouawad. Quelques jours après la première représentation, nous rencontrons le comédien dans un café aux abords du théâtre. Il ne fut pas évident pour lui de comprendre son rôle, la place de ce diplomate musulman que les décennies déplacèrent — parfois de force — de Fez à Tombouctou, de Gao au lac Tchad, de l’Égypte jusqu’à La Mecque, Istanbul, Tripoli ou Tunis pour finir capturé par des pirates et vendu dans l’Europe chrétienne d’il y a six siècles. « Que faire de ce personnage dans une pièce d’aujourd’hui, racontant la vie d’une famille juive et d’un garçon juif qui tombe amoureux d’une fille arabe ? » L’auteur de Description de l’Afrique, ouvrage de référence de l’époque, dut se convertir au christianisme — de la main du pape — et se fit lui-même traducteur : en cette ère de divisions et de conquêtes entre chrétiens et Arabes, il fut une passerelle, portant sur les cultures qu’il traversait un regard de découvreur. « Wajdi m’a expliqué que sans lui, on perdrait toute la magie du théâtre pour rester dans le drame ou le cinéma. Al-Wazzān est le morceau de poésie de cette pièce. » Présent en filigrane, c’est en effet par sa parole que se produit l’envol final, permettant de surplomber l’ensemble des conflits familiaux auxquels le spectateur est confronté.

De nombreux traducteurs furent réquisitionnés pour la pièce : « C’était un autre challenge pour moi. Je suis professeur de théâtre, je travaille la voix et la prononciation en langue arabe, classique et plus ancien. Et je parle araméen, langue proche de l’hébreu et de l’arabe. Il m’a fallu traduire l’écriture de Wajdi Mouawad : ce n’était pas facile ! Puis passer par l’arabe classique pour la réécrire et la connecter à la langue d’Hassan al-Wazzān. » Jalal Altawil est, avant tout, un regard ; il a le sourire sincère et doux, une allure certaine et un français parfait, piqué de quelque accent syrien. Il se prépare une cigarette. « Le monologue de l’Oiseau amphibie a, dans sa version originale, la musicalité de la langue du Coran, qu’il fallait respecter. Il ne s’agissait pas de respecter seulement la langue arabe mais aussi celle de Wazzān — qui a appris le Coran par cœur et qui parlait sept langues ! Ce n’était pas un homme normal, c’était un fou ! (rires) » La personnalité d’al-Wazzān, un œil bleu et l’autre noir, hante la pièce ; « hante », oui, car il est le seul personnage ayant réellement existé à sillonner, avec une étrange bienveillance, le plateau. Il rappelle le chœur des tragédies grecques chères à l’auteur. « Il était capable de changer la couleur de son regard, d’où notre choix des deux couleurs pour ses yeux… »