J'apprends à l'instant la mort du metteur en scène Jean-Pierre Vincent qui a été l'un de mes maîtres quand j'étais jeune étudiante à Strasbourg dans les années 80. Je suis très très triste.
"Au théâtre je suis protégé, à la fois à l'abri de la réalité et à la fois sur scène pour agir sur la réalité"
Interview filmée de Jean-Pierre Vincent
Voici ce qu'il disait dans une revue de Théâtre :
Et
quant à l’utilité du théâtre, sa fonction sociale : tu dirais quoi des
pouvoirs du théâtre aujourd’hui ? De ce à quoi il sert, et de ce qu’il
peut réellement ?
JEAN-PIERRE
VINCENT – C’est de garder de façon publique l’intelligence en
mouvement, le lien entre la surprise artistique (l’émerveillement) et la
vision critique. De permettre à des gens, par des récits, des images,
etc., de ne pas mourir idiots, ou de vivre actifs. La lutte contre
l’aggravation des inégalités, contre la séparation des individus,
l’aggravation de la situation écologique de la planète (de nous sur
cette planète absurde), ce n’est pas dans le théâtre que ça se fera. Ce
qui compte – je le vois bien dans les multiples rencontres avec le
public – c’est un échange actif de l’intelligence qui – j’ai le regret
de le dire – ne se produit plus guère qu’au théâtre, et autour de lui.
– Mais qu’a-t-elle de singulière cette intelligence au théâtre ?
JEAN-PIERRE
VINCENT – C’est de permettre à des humains de prendre de la hauteur, de
la distance, afin de penser le monde hors des filières obligées. Non
pas le penser de façon pédagogique, mais de le penser avec des cerveaux
plus libres, avec l’imagination qui est le propre de chaque être humain.
Là où je souffre un peu en ce moment, c’est que depuis l’aventure
Ravenhill à l’ENSATT , je n’ai pas vraiment rencontré de textes forts.
Si nous
n’avons pas les poètes majeurs qui naissent, ça va être très difficile pour le théâtre. Parce que les écritures de plateau, ou les fantaisies barbares de tel ou tel inventeur de théâtre aujourd’hui, ne vont pas faire époque, seulement symptôme d’époque. Mais notre époque ne fait plus époque, dit Stiegler. Peut-être que le rapport du langage avec le monde a été trop détruit par la révolution numérique – une aubaine pour le règne de la Phynance mondiale et ces Ubu qu’elle met au pouvoir ici et là. Les Damnés de la Terre – dans le Nord ou en Ohio – votent à droite de la droite. Que feront-ils quand ça aussi aura raté ? J’espère que je ne serais jamais déprimé, mais aujourd’hui je suis pessimiste. Comme disait le Président Mao à un ministre français qui lui demandait « Monsieur le Président, vous avez dû être formidablement optimiste en 1927 quand vous étiez cinquante à cheval sur les hauteurs de Shanghai ? », et il a répondu : « Détrompez-vous monsieur, j’étais tellement pessimiste que j’ai fait tout ça ». C’est une phrase qui m’a beaucoup marqué, et souvent les phrases qui te marquent c’est parce qu’elles te ressemblent".
n’avons pas les poètes majeurs qui naissent, ça va être très difficile pour le théâtre. Parce que les écritures de plateau, ou les fantaisies barbares de tel ou tel inventeur de théâtre aujourd’hui, ne vont pas faire époque, seulement symptôme d’époque. Mais notre époque ne fait plus époque, dit Stiegler. Peut-être que le rapport du langage avec le monde a été trop détruit par la révolution numérique – une aubaine pour le règne de la Phynance mondiale et ces Ubu qu’elle met au pouvoir ici et là. Les Damnés de la Terre – dans le Nord ou en Ohio – votent à droite de la droite. Que feront-ils quand ça aussi aura raté ? J’espère que je ne serais jamais déprimé, mais aujourd’hui je suis pessimiste. Comme disait le Président Mao à un ministre français qui lui demandait « Monsieur le Président, vous avez dû être formidablement optimiste en 1927 quand vous étiez cinquante à cheval sur les hauteurs de Shanghai ? », et il a répondu : « Détrompez-vous monsieur, j’étais tellement pessimiste que j’ai fait tout ça ». C’est une phrase qui m’a beaucoup marqué, et souvent les phrases qui te marquent c’est parce qu’elles te ressemblent".
Jean-Pierre Vincent (1942-2020)