jeudi 10 décembre 2020

En savoir plus sur Brecht, la distanciation et le théâtre épique

 

Bertolt Brecht (1898-1956) : Quels codes de représentation utiliser si le théâtre n'invite pas à fuir la réalité sociale (fiction) ni à la refléter (imitation) mais à la distancier pour la transformer ? 1935


[Dans sa Nouvelle technique d'art dramatique, Brecht qui est désormais en pleine possession de ses moyens lie en quelques pages d'une synthèse magistrales les notions et les thèmes qui font de lui un des plus grands réformateurs de la scène du 20ème S. Brecht est engagé dans le grand projet de révolution sociale communiste : il ne s'agit donc pas de faire du théâtre un « opium du peuple », mais de s'adresser à un spectateurs en lui laissant les choix de s'engager. Le théâtre est donc, sans exclure le plaisir du spectateur, un outil d'analyse de la société. Pour analyser il faut donc distancier son objet, prendre du recul. Pour parvenir à cette distanciation le comédien évitera tout processus d'identification du spectateur à son personnage et pratiquera l'adresse public.

Il ne vit pas mais il montre son personnage, jouant son texte « en citation ». La scénographie n'hésitera donc pas à mettre sur scène  ce qui était caché, sources de lumières, costumes etc. La théâtralité est revendiquée, il ne s'agit pas de faire illusion. Si le dramatique c'est l'action sur scène, le lyrique l'expression des sentiments, et l'épique le fait de rapporter des faits, alors on comprend que Brecht ait repris en lui donnant un sens nouveau ce mot pour nommer cette nouvelle forme de représentation et d'écriture de « théâtre épique »]

EXtraits de Nouvelles techniques d'art dramatique

 Le théâtre épique : quelques rappels

1 / Le théâtre, pour Brecht, tout en restant jubilatoire, se doit d'éveiller la conscience critique et politique du spectateur. Il est, conformément au principe marxiste, un discours sur le réel qui doit provoquer une transformation de ce même réel.
Brecht rejette le théâtre fondé sur l'illusion, la fascination et l'approbation car il déréalise le réel et neutralise donc toute l'intervention pratique et théorique du spectateur (cf les tragédies et la notion de fatalité qui présente les événements comme absolument immuables et les personnages comme des entités atemporelles et aucunement déterminées par l'époque et les conditions sociales dans lesquelles ils vivent ).
Comme le dit Barthes, pour Brecht "les maux des hommes sont entre les mains des hommes, c'est à dire que le monde est maniable ; que l'art peut et doit intervenir dans l'Histoire".

2 / Pour que le théâtre, selon la formule de Barthes "ne soit plus seulement magique mais devienne critique", Brecht élabore la théorie du théâtre épique (le terme épique "épos"en grec qui désigne le" mot" puis le "récit" est, du reste, fréquemment utilisé en Allemagne après la guerre). Ainsi, Piscator, dont Brecht s'inspirera, présente-t-il sa pièce Fahnen ( Drapeaux) comme un" drame épique" où l'action est interrompue par des procédés descriptifs ou explicatifs : films, pancartes, discours au public...).
Ce faisant, Brecht s'oppose au théâtre expressionniste de son époque (jouant sur le pathos ) et plus généralement à toute une tradition théâtrale qu' il appelle dramatique (fondé sur l'action et l'identification) ou aristotélicienne , mais renoue au contraire avec la forme ancestrale du théâtre (antérieur à Aristote, où un récitant ou un chœur de récitants s'adressait directement au public), la forme jubilatoire et populaire des scènes de rue du théâtre de foire, et le théâtre asiatique (utilisant les masques, l'attitude hiératique des acteurs).

C'est à partir de ces formes théâtrales qu'il va théoriser la notion de "Distanciation"(Verfremdungseffekt) à laquelle il va assigner une fonction, qui lui est propre : créer un effet d'étrangeté, comme il le dit, ôter aux "événements susceptibles d'être modifiés par la société" le "sceau du familier", leur donner "l'allure de faits insolites, de faits qui nécessitent l'explication, qui ne vont pas de soi, qui ne sont pas simplement naturels."
Double mouvement donc : Brecht rapproche le spectateur du sujet représenté en transportant une action historique dans le domaine quotidien et familier tout en l'en éloignant pour lui permettre de prendre un recul critique et se dégager des fausses représentations qu'il se fait de la vie quotidienne, de la société et de lui-même.


théatre dramatique vs théâtre épique

Théatre dramatique est action, implique le spectateur dans une action scénique, épuise son activité intellectuelle, lui est l'occasion de sentiment, expérience affective, le spectateur est plongé dans quelque chose, suggestion, les sentiments sont conservés tels quels, le spectateur est à l'intérieur, il participe, l'homme st supposé connu, l'homme immuable, intérêt passionné pour le dénouement, une scène pour la suivante, croissance organique, déroulement linéaire, évolution continue, l'homme comme donnée fixe
la pensée détermine l'être
sentiment

Théâtre épique est narration, fait du spectateur un observateur mais éveille son activité intellectuelle, l'oblige à des décisions, vision du monde, le spectateur est placé devant quelque chose, argumentation, les sentiments sont poussés jusqu'à devenir des connaissances, le spectateur est placé devant, il étudie, l'homme est l'objet de la quête, l'homme qui se transforme et transforme, intérêt passionné pour le déroulement, chaque scène pour elle, montage, déroulement sinueux, bonds, l'homme comme procès, l'être social détermine la pensée, raison.

"Le spectateur du théâtre dramatique dit : Oui, cela, je l'ai éprouvé, moi aussi. – C'est ainsi que je suis. – C'est une chose bien naturelle. – Il en sera toujours ainsi. – La douleur de cet être me bouleverse parce qu'il n'y a pas d'issue pour lui. – C'est là du grand art : tout se comprend tout seul. – Je pleure avec celui qui pleure, je ris avec celui qui rit."


"Le spectateur du théâtre épique dit : Je n'aurais jamais imaginé une chose pareille. – On n'a pas le droit d'agir ainsi. – Voilà qui est insolite, c'est à n'en pas croire ses yeux. – Il faut que cela cesse. – La douleur de cet être m'a bouleversé parce qu'il y aurait tout de même une issue pour lui. – C'est là du grand art : rien ne se comprend tout seul. - Je ris de celui qui pleure, je pleure sur celui qui rit."
BRECHT, Ecrits pp. 260 - 261

Le théâtre brechtien et son héritage sur l'INA  

Nombreuses videos pour se faire une idée de ce théâtre.