mardi 8 décembre 2020

Tous des Oiseaux, un théâtre de narration? une pièce qui s'apparente à une tragédie?

Notes du cours du jeudi 3 décembre 2020.

1.    
L’auteur aime raconter des histoires. Ce désir lui a valu certaines réactions qui l' ont amené à s’interroger sur le rapport que le théâtre entretien aujourd’hui avec la narration.

« On me disait tu es un conteur, tu es un fabricateur, tu es un à fabulateur. Y a-t-il un tabou de la narration en France ? Est-ce un diktat de la mode ? Est-ce ringard ? J’ai essayé de comprendre d’où cela pouvait provenir.

 Il prend conscience de la défiance qui frappe le récit de la Shoah. Theodor Adorno a dit : « Pas de poésie après Auschwitz ». Walter Benjamin a écrit : « On ne sait plus raconter des histoires, on ne sait plus que se plaindre ».

L’auteur se demande si on peut lier le traumatisme des grandes guerres européennes du XXe siècle et celui des camps à la montée d’une suspicion sur le récit et les histoires.

Globalement dans son œuvre il estime que la narration s’impose à lui. 

Elle seule peut l’arracher à l’exil, au Liban, au Québec, ces pays qui ne sont pas les siens et le sont quand même.

Il y a donc toujours un enthousiasme narratif chez lui, que certains trouve parfois excessif. C’est un peu ce que dit Eitan au début du spectacle. « Je vous raconte. Je vous raconte ? Je vous raconte » (page 12).

Chaque personnage a un moment se lance dans une longue tirade où il fait le récit de sa vie.

Mettant en scène un personnage, porteur d’un mystère, qui finit par apprendre la vérité sur ses origines, Tous des oiseaux renoue avec la dramaturgie de la révélation que l’auteur a pu mettre en œuvre dans ses précédents spectacles.

Cette violence du dévoilement rappelle l’influence de Sophocle sur le dramaturge. « Ce qui m’a frappé chez Sophocle dit-il, c’est son obsession de montrer comment le tragique tombe sur celui qui, aveuglé par lui-même, ne voit pas sa démesure. Cela me poussait à m’interroger sur ce que je ne voyais pas de moi, sur ce point aveugle qui pourrait, en se réveillant, déchirer la trame de ma vie. Que serais-je devenu si j’étais resté au Liban ? Ma famille et moi étions partis avant le massacre de Sabra et Chatila en 1982, commis par des milices chrétiennes auquel j’avais rêvé d’appartenir dans mon enfance. Aurais-je été parmi eux ? On ne peut présumer de soi. »

Comme dans les tragédies grecques, la brutalité du dévoilement est fatale. Œdipe se crève les yeux, Jocaste se pend, Créon devient fou. Quant à David, il tombe dans le coma. La vérité est dangereuse.

Le personnage de Nora rappelle que ce n’est pas la vérité qui crève les yeux d’Oedipe, mais la vitesse avec laquelle il la reçoit. Ne rien jeter trop vite contre le mur de la connaissance. Page 100.

 

La révélation présuppose l’énigme. Les personnages de Mouawad sont souvent porteurs d’un mystère à résoudre. L’écriture chez lui et le lieu d’une enquête.

L’influence de Sophocle est perceptible , doublement. Dans Œdipe roi, la construction dramatique dissémine les informations, jusqu’à la révélation finale de la culpabilité d’Œdipe.( Faites une recherche sur cette pièce.)

Le spectateur de Tous les oiseaux reçoit lui aussi les renseignements de manière fragmentaire.

La révélation pour David est d’autant plus violente que, à la différence d’autres personnages de Mouawad, il n’est pas protagonistes de son enquête.

 

Raconter un récit, c’est aussi, pour l’auteur, redonner du sens un monde qui en est dépourvu.

L’histoire gronde dans Tous des oiseaux comme dans les créations antérieures de l’artiste. C’est dans cette tension de l’individu face au grand mouvement collectif que réside le tragique mouawadien. Le drame de l’intéresse pas. Quand la mort dialogue avec les hommes, ça donne un drame. Quand la mort dialogue avec les dieux, ça donne une tragédie. Les dieux ayant disparu, c’est à la violence d’un monde déchiré par des conflits qui les dépasse que les hommes sont confrontés dans le théâtre mouwadien.

Dans ce théâtre pas de chœur, pas de Dieu, mais de petites vies. L’amour impossible de Wahida et Eitan exhume le souvenir d’un autre couple tragique, Roméo et Juliette, explicitement évoqué par Leah page 59. SE rappeler que la tragédie chez Shakespeare permet le mélange des registres comique et tragique.

 

Plusieurs différences fondamentales distinguent cependant ce spectacle des tragédies grecques ; malgré tout dans la pièce de Sophocle, rappelle l’auteur, les personnages principaux sont en charge de la cité. Ce ne sont pas des petites gens. Or Incendies et Tous des oiseaux mettent en scène des personnages ordinaires.

Et l’autre différence, bien entendu c’est l’absence de dieux. C'est le poids de l'Histoire qui joue le rôle du fatum.

Enfin les textes de l’auteur sont dépourvus de chœur.