mardi 4 janvier 2022

Les trois personnages de jeunes filles "malades" dans les comédies de la médecine de Molière

 

Les trois jeunes filles des comédies de la médecine : atteintes de « mélancolie »

Dans Le Médecin volant, Lucile se meurt : de quel mal ? De « grande inflammation dans les intestins », de douleurs à la tête et aux reins, dit sentencieusement Sganarelle déguisé en médecin de fortune ; du désir qui la travaille d'avoir un jeune homme, affirme avec plus de bon sens Gros-René. Maladie du corps ? maladie de l'esprit ? À qui sait la démêler dans le galimatias de Sganarelle, la réponse est offerte : « Rien n'est plus contraire à la santé que la maladie » — fort bien. « La bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes » — voilà qui est plus précis. Et « la mélancolie est ennemie de la joie » — en un mot, tout est dit : à la mélancolie hypocondriaque supposée chez Pourceaugnac correspond chez Lucile une feinte mélancolie d'amour.

Au premier acte de L'Amour médecin, un autre Sganarelle devenu père nous apprend que sa fille Lucinde est tombée dans « une mélancolie la plus sombre du monde », sans remède possible ni motif avoué. Au second acte, quatre médecins imputent cette feinte maladie à des vapeurs nées du bas-ventre gorgé d'humeurs putrides parce que recuites, et montant au cerveau dont elles picotent les parois jusqu'à produire les pâmoisons supposées de la malade. Au troisième acte, Clitandre travesti en médecin intervient pour inverser le mouvement décrit par les autres : ce n'est pas, à l'en croire, l'estomac qui remonte au cerveau, c'est de l'esprit que vient le désordre du corps, l'esprit malencontreusement travaillé « d'une imagination dépravée, d'un désir déréglé de vouloir être mariée » qui affole la patiente et motive les troubles physiques dont elle souffre.

L'héroïne du Médecin malgré lui affecte, elle, un mutisme aux causes apparemment toutes physiques. Mais sa nourrice, fine mouche, suggère de la traiter par le seul « emplâtre » qui guérit les maux des filles : un mari à la convenance de la belle. Quant à la « maladie d'esprit » qui soudain se déclare au troisième acte, Sganarelle, habile médecin, l'analyse dans un jargon assez identifiable à travers ses bouffonneries : il incrimine « l'incongruité des humeurs opaques qui se rencontrent au tempérament naturel des femmes », y voit la « cause que la partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive » et conclut que « les humeurs [étant] fort aigries » par le refus qu’oppose son père à son mariage, « deux drachmes de matrimonium en pilules » les pacifieront après « une prise de fuite purgative ». La relation plaisamment métaphorique entre désordre humoral et moral, physique et psychique relève de la même ambivalence qui fait le génie bifide de la pathologie mélancolique.