Tourné vers l’amont, le théâtre actuel opérerait un retour à la tradition et au grand répertoire, gages de salut en termes de public. On s’accrocherait ainsi aux grandes œuvres du passé, comme s’il était devenu difficile, voire impossible, d’assurer une pérennité à des lieux d’accueil culturel sans sacrifier au moins une fois dans la saison à la nécessité de monter à nouveau, de répéter, de remâcher et de « revisiter un classique ». On jouerait donc Molière, principalement, Racine, un peu, Corneille, rarement, afin qu’une fois au moins la pédagogie et le confort soient satisfaits et que le lieu théâtral, dûment subventionné, légitime ses subsides tout en s’attirant la bienveillance automatique des professeurs modernes et des critiques frileux. Mais pour quoi faire d’autre, que de répéter, pour quoi faire d’autre que de conserver ? Pour quelle nécessité ? Là sont les questions. ( voir article complet)
objectif: ouvrir le sens, les sens des pièces classiques
Lié aussi à l'avènement après guerre et dans les années 60/70 à la figure du metteur en scène comme auteur qui propose sa "lecture" du texte et donc du travail dramaturgique de dégagement des différents sens possibles de l'oeuvre:
" l’avènement du metteur en scène comme auteur, et de la mise en scène comme œuvre à part entière, entraîne la nécessité de reconstruire à chaque fois la logique interne du spectacle, ce dernier n’étant plus conçu comme simple transposition ou réalisation « naturelle » d’une pièce, mais comme une lecture, et plus largement encore une re-création. Il n’y aura donc plus un seul Tartuffe, mais celui de Planchon après celui de Jouvet, non plus une seule Bérénice mais la Bérénice du même Planchon, bien distincte de celle de Vitez ainsi que de celle de Grüber, ni un seul Hamlet, quelle qu’en soit la version scénique proposée, mais, par exemple, le Hamlet de Chéreau et celui de Vitez ou celui de Grüber, encore."
Le metteur en scène Planchon pourra remarquer que, à la différence des pièces contemporaines, « la mise en scène d’un “classique” se voit : on peut mesurer l’originalité du travail ». Réciproquement, un tel travail de relecture critique des classiques, n’est possible qu’à partir du moment où la mise en scène a conscience de sa singularité et de l’autonomie de son écriture.
On proposait ainsi au spectateur un texte pré-interprété et l’on était content lorsqu’il avait décodé correctement le message. Significativement, Planchon, encore, pourra préciser, pour nuancer sa position de créateur singulier : « ce n’est pas moi qui lit Le Tartuffe mais une époque qui le lit à travers moi », comme d’autres époques le lisaient à travers Coquelin ou Jouvet. L’époque, ainsi, réinterprète ses classiques, s’en empare au nom du « climat ambiant », et les représente à travers le filtre interprétatif de la psychanalyse et du marxisme. ( ...)
Et durant tout ce temps on joua et l’on rejoua Molière, partout, de toutes les manières, sans qu’apparemment le public ne s’en lasse. Peut-être par confort, ou par pédagogie, mais peu importe, Molière passe encore la rampe. Molière est donc sans cesse relu, revisité depuis Vilar, Planchon et Vitez. Chaque saison apporte ainsi son lot de « molières » sans qu’on puisse déterminer une unité, ou même des écoles. Il y a donc des manières, spécifiques aux metteurs en scène. Molière-commedia dell’arte (Dario Fo), Molière-farcesque (Savary, J. Deschamps, le Footsbarn), Molière-grave (Lassalle, Vincent), Molière-philosophe (Jaques-Wajeman), Molière-baroque-musical (Villégier-Christie), Molièrepolitique (Planchon, Vincent, Mnouchkine, Villégier…), Poquelin-acteur (Tg Stan), etc. Et plutôt que de passer en revue tous ces molières-là, tous intéressants et souvent réussis, nous ne relèverons ici que quelques tendances fortes. D’abord Molière figure l’image du théâtre contemporain, dans sa complexité et son morcellement, avec deux pôles : celui de la théâtralité « pure » et de la performance (le farcesque et la gestuelle) et celui de l’exigence du sens (la portée philosophique, l’historicité, l’impact politique). Mais déjà, bien des mises en scène montrent qu’il est possible, et même nécessaire, de lier ces deux pôles dans une même pratique. Et si bien peu entendent encore jouer la farce gratuite et souvent racoleuse, comme chez Savary, la majorité des metteurs en scène se rend tout à fait compte que Molière, comme Shakespeare, demande qu’on dépasse l’idée de pure théâtralité ou de divertissement pur, pour se mettre en quête d’une multiplicité de sens.(...)