jeudi 3 juin 2021

Une Cerisaie dans la Cour d'Honneur du Festival d'Avignon

Pour les terminales qui avaient commencé à travailler sur La Cerisaie avec Bruno Journée, sachez que Tiago Rodrigues la monte cet été dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes d'Avignon.


Présentation

Exilée à Paris depuis de nombreuses années, Lioubov, créature insaisissable et lunaire, revient dans son domaine qui doit être vendu pour dette. Pivot tragique de cette pièce qui oscille entre drame et comédie, cette figure maternelle, cette mater dolorosa, interprétée par Isabelle Huppert, retrouve les siens perturbés par l’avenir de la propriété et, plus largement, du monde qu’elle a laissé derrière elle. La société moderne et ses mutations sociales arrive à grands pas. À grand bruit. Quand il pense à La Cerisaie, Tiago Rodrigues a un tempo secret en tête : allegro vivace et est convaincu que la dernière pièce du dramaturge russe traite de l’énergie avec laquelle « l’inexorable puissance du changement » précipite les personnages d’acte en acte. Si avec ses comédiens et son équipe, il a cherché à aborder les inquiétudes, les réactions et contre-réactions qui en découlent, il a aussi voulu voir les espoirs que porte tout nouveau monde, alors que personne ne peut encore réellement les comprendre. Avec les mots de Tchekhov, le metteur en scène a trouvé un incroyable carburant dramaturgique pour nourrir sa machine théâtrale, briser le quatrième mur et rassembler le public autour des grands défis qui attendent « l’aujourd’hui. »


Médecin de formation, Anton Tchekhov (1860-1904) est le plus célèbre poète de la littérature russe. Il croit au progrès, au bonheur. Sa lucidité et le refus de toute illusion, sur l’homme, la société, ou la religion, ont irrigué ses œuvres mais ont aussi agi sur les renouvellements des conceptions théâtrales de son époque.


C'est Isabelle Huppert qui jouera Lioubov:

Avec La Cerisaie, mise en scène par l’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues dans la Cour d’honneur du Palais des papes, Isabelle Huppert interprète pour la première fois une pièce d’Anton Tchekhov. Un spectacle sur le vertige d’un monde soumis aux forces inexorables du changement.

On vous connaît essentiellement pour avoir mis en scène vos propres textes ou des réécritures très personnelles d’œuvres classiques. Quel projet est à l’origine de cette création de La Cerisaie ?

Tiago Rodrigues : Ce spectacle est né de discussions partagées avec Isabelle Huppert. Au cours de ces conversations nous nous sommes dit que nous aimerions travailler ensemble et que notre collaboration pourrait être l’occasion de nous plonger dans l’œuvre de Tchekhov, ce que ni elle ni moi n’avions jamais fait. Nous nous sommes ainsi mis d’accord sur l’idée de créer La Cerisaie. Bien sûr, je me suis demandé si je devais procéder à une adaptation, si je devais m’inspirer de cette pièce pour écrire quelque chose de nouveau. Mais je suis tellement passionné par Tchekhov que je me suis dit que l’interprétation des acteurs, la mise en scène, le regard des spectateurs, tout ce que l’on pouvait imaginer pour partager ce texte dans la Cour d’honneur, cet été, était une façon de réécrire La Cerisaie sans avoir à interférer avec ses dialogues, sans avoir à en changer le moindre mot. Car Tchekhov est depuis toujours le meilleur ami des acteurs. Il n’a besoin d’aucune intervention extérieure.

Que pensez-vous qu’Isabelle Huppert va apporter au rôle de Lioubov ?

T.R. : Sa sensibilité humaine, sa lecture de l’art du théâtre et du jeu de comédienne qui font d’elle une immense interprète. Comme je l’ai dit, ce spectacle est né de notre envie commune d’explorer La Cerisaie, mais il ne se résumera bien sûr pas à une vision du personnage de Lioubov. Notre création vise à embrasser tous les aspects du monde que décrit Tchekhov dans sa pièce, à rendre profondément vivant le portrait à la fois tendre et acide de l’humanité qu’il propose. Comme le disait Tchekhov, La Cerisaie est un texte triste qu’il faut jouer avec joie de vivre. Cette œuvre nous raconte une histoire de changements, d’incertitudes face à l’avenir d’un monde qui bascule. Tout ceci crée une forme de vertige, car le monde dont il est question évolue trop vite pour que les corps des personnages aient la capacité d’accompagner cette évolution.
« La Cerisaie est une pièce triste qu’il faut jouer avec joie de vivre. »

Dans quelle mesure la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre a-t-elle orienté le regard que vous portez sur ce monde qui bascule d’un avant à un après ?

T.R. : Notre projet de spectacle s’est concrétisé avant même le début de la pandémie. La Cerisaie a la capacité de résonner au sein de toutes sortes de périodes. D’abord parce que chaque époque est incluse dans le regard des spectateurs. Si on joue La Cerisaie en 1947, on parle bien sûr de l’après-guerre et de la société qui est en train de naître. Si on la joue en 2021, inévitablement, le public va lire dans les entrelignes de Tchekhov des choses liées à la pandémie et la post-pandémie. C’est pourquoi je n’ai pas du tout envie de souligner cette question, qui sera d’ailleurs très présente durant le festival, notamment dans notre façon de vivre l’expérience de la scène, l’assemblée humaine que constitue le théâtre. Ce que je souhaite, c’est que l’imagination des spectateurs, la participation créative et critique du public établisse naturellement des liens entre le passé et le présent. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le théâtre me passionne tant. Parce qu’il nous permet de nous rendre compte que des phrases écrites il y a 100 ans parlaient déjà d’aujourd’hui. Parce qu’il nous offre la possibilité de faire ressusciter ces mots issus d’un autre temps, de les ancrer dans notre présent, de faire disparaître la poussière qui les recouvre grâce au jeu des comédiens.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat