Le duo franco-israélien Winter Family propose une plongée visuelle et sonore dans la société israélienne puis dans la ville palestinienne d'Hébron. Deux performances de théâtre documentaire qui questionnent la manipulation des individus, la colonisation israélienne et la vie des palestiniens sous l'occupation militaire.
H2-Hébron met en scène les témoignages des différents
protagonistes de la ville palestinienne occupée par Israël : habitants
palestiniens, colons juifs, soldats israéliens et activistes
internationaux. Un microcosme dramatique, violent et absurde où chacun a
sa vérité.
Un diptyque percutant qui secoue croyances et discours imposés.
Un exemple de théâtre documentaire.
C’est à une visite guidée tout à fait singulière que nous convient Ruth Rosenthal et Xavier Klaine de Winter Family. Dans la chaleur étouffante de la ville palestinienne d’Hébron, la plus peuplée de la Cisjordanie occupée, la rue Shuhada est l’artère principale de la vieille ville qui serpente à l’ombre du tombeau des Patriarches. Autrefois vibrionnante du marché qui la jalonnait, cette zone appelée H2 est aujourd’hui «stérilisée», selon la terminologie de l’armée israélienne, c’est-à-dire progressivement vidée de ses habitants palestiniens depuis que s’y sont installées quelques familles de colons juifs. Renouant avec une amie d’enfance qui vit avec son mari, un activiste ultra-sioniste, et leurs onze enfants dans la colonie la plus enclavée d’Hébron, Ruth Rosenthal s’est intéressée à cette zone fantôme. Avec Xavier Klaine, ils ont recueilli les témoignages des colons, des habitants et des dirigeants palestiniens, des soldats israéliens, rencontré les observateurs, les activistes internationaux et les guides des «touristes de guerre» qui travaillent dans la zone. À la croisée de ces voix mêlées, Winter Family expose l’absurdité et l’horreur de cette zone d’occupation militaire où les récits s’affrontent sans jamais se conjuguer. Seule en scène, le public rassemblé autour d’elle, Ruth Rosenthal incarne la ville, à travers toutes ses voix, tous les récits, les mêlant au gré de son avancée dans la zone H2, sa chaleur, ses incohérences, ses révoltes, en manipulant une maquette comme un jeu de Lego: microcosme dramatique d’une situation triste et figée.
Revue de presse sur le site théâtre contemporain
Article dans Libération:
Nous sommes tous ici des «touristes d'occupation» et nous sommes complètement perdus. La faute à cette guide qui nous fait virtuellement visiter la ville d'Hébron : son récit est contradictoire, voire totalement schizophrène. Sur les dates, et quelques chiffres, elle est plutôt claire : Hébron est la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie (200 000 habitants), située à une trentaine de kilomètres de Jérusalem. Elle est connue comme une des plus anciennes cités habitées au monde, renfermant les trésors patrimoniaux des trois religions monothéistes. Sa particularité est aussi d'être la seule dont les colonies israéliennes soient installées à l'intérieur même de la ville, et d'être ainsi le théâtre d'un affrontement aberrant, qui voit des enfants de 5 ans des deux communautés se cracher dessus quotidiennement.
Maquettes. On nous rappelle aussi qu'Hébron est divisée en «H1», sous occupation palestinienne, et en «H2», sous occupation israélienne, là où 2 000 soldats veillent sur environ 200 colons. «Un microcosme de l'occupation», résume notre guide, pendant qu'elle reconstitue progressivement, sur la scène du Vooruit, à Gand, où la pièce pièce a été créée, «sa» ville à l'aide de petites maquettes. Et on la croit sur parole. Jusqu'à ce que sa présentation devienne franchement louche, comme si plusieurs points de vue cohabitaient dans sa bouche. Ainsi le rabbin Baruch Goldstein est-il présenté tantôt comme un saint, un «très bon médecin», «à l'âme pure», tantôt comme le fanatique qui entra dans la mosquée d'Ibrahimi (qu'elle appelle aussi parfois le «Tombeau des Patriarches») pendant la prière du ramadan en 1994, tira sur la foule et laissa 29 Palestiniens morts et 133 autres blessés.
Alors on s'interroge : qui parle exactement, à travers cette femme qui s'agite au milieu des spectateurs ? Le camp des Palestiniens, celui des colons, celui de l'armée israélienne ou celui des organisations internationales chargées d'observer en toute neutralité et de rédiger des rapports sur une des plus inflammables situations d'occupation qui soit ? Les quatre précisément, et l'étrange polyphonie qu'on décèle progressivement au cœur de ce monologue d'une heures trente fait de H2-Hébron un documentaire à part.
Ruth Rosenthal et Xavier Klaine, les deux artistes de Winter Family (qui est aussi un groupe de musique travaillant entre Paris et Tel-Aviv), sont allés rencontrer une amie d’enfance de Ruth installée dans la colonie la plus enfoncée d’Hébron avec ses onze enfants, son mari colon activiste, et des militaires qui les surveillent nuit et jour. De cette immersion au cœur de la zone fantôme d’Hébron, cette rue Shuhada entièrement vidée de ses occupants palestiniens par crainte des représailles à la suite du massacre de 1994, ils sont revenus avec 500 pages d’entretiens, menés auprès d’observateurs, de leaders colons, de membres de la résistance palestinienne, de leaders de l’OLP d’Hébron, des militaires et ex-militaires israéliens présents dans la zone.
Métaphore. Une lecture brute de ces témoignages aurait suffi à captiver, tant semble effroyablement absurde la guerre archéologique menée à Hébron - pour justifier qui était là avant l'autre - ou le fantasme identitaro-mystique dont la ville est l'objet. Mais ce qui nous fait basculer du documentaire à l'œuvre d'art, c'est le choix du canal de transmission des témoignages. Non seulement il n'y a qu'une seule actrice - très charismatique Ruth Rosenthal - pour incarner des points de vue antagonistes (et non quatre acteurs différents chargés de quatre rôles distincts), mais surtout cette actrice prend bien le soin d'embrouiller les pistes en jouant toutes les voix de la même manière. Même engagement, même sincérité, sans jamais laisser poindre aucun jugement. De sorte qu'il est quasi impossible pour le spectateur de toujours savoir précisément quel «camp» parle à quel moment. La métaphore est simple et belle : ces paroles qui coexistent sans pouvoir dialoguer sont peut-être irréconciliables, elles n'en appartiennent pas moins à un même corps.
Winter family en concert A voir à Colmar le vendredi 17 septembre au Grillen à l'invitation de la Comédie.