mardi 7 février 2023

Claudel parlant de son "vers", de son écriture (cours du jeudi 9 février)

"La bouche, dit Claudel, est l'organe du goût, de la parole et de la respiration"

La physiologie éclaire l'esthétique: les deux dimensions de l'oralité poétique sont pour lui le goût et le rythme qu'il rattache au modèle organique de la respiration.
Le goût en poésie est "corporalisation" jouissive du langage: il affirme dans l'"Art Poétique": "Pour comprendre les choses, apprenons les mots qui en sont dans notre bouche l'image soluble.Ruminons la bouchée intelligible."

 Hostilité à la grammaire qui bride la langue: « La grammaire [...] a été fabriquée par des gens de cabinet qui avaient perdu le sens de la langue parlée et qui avaient en vue l'expression logique de la pensée et non pas son expression vivante et délectable » 

Cf dans le Soulier les scènes où l'on se moque des grammairiens.

[...] La voix a ses lois, l'âme a ses exigences, qui ne sont pas celle de
la logique et de l'écriture. En vain la grammaire voudrait nous imposer comme correctes d'imprononçables bouillies [...] des freins claqués comme "bien que" ou "quoique" au lieu du solide "malgré que", qui
grippe et grince à la perfection.

"L'œil écoute, mais la voix voit"

Laissons à chaque mot, qu'il soit fait d'un seul ou de plusieurs vocables, à chaque proposition verbale, l'espace — le temps —nécessaire à sa pleine sonorité, à sa dilatation dans le blanc.

L'écriture dramatique de Claudel a pour spécificité d'être dès l'origine informée par l'oralité, le dire est dans le dit, la diction inscrite dans le discours. Le blanc qui isole le verset, pas autrement qu'en poésie, fait du langage dramatique de Claudel un"parler visible". Antoine Vitez souligne que la marge de manœuvre qu'il laisse à l'acteur est extrêmement réduite.

"Il y a une particularité extraordinaire, c'est la disposition même du verset, de la typographie. Qui indique non seulement la prosodie, la scansion, mais les intonations. Ce qui veut dire qu'avec une telle scansion et de tels mots on ne peut pas dire autrement. Je trouve cela extraordinaire: Claudel est le seul dans toute la littérature dramatique française qui fasse cela: la notation de l'intonation, le rythme, le système des coupes. Si on prête l'oreille à ce que Claudel nous dit, on aboutit non seulement à un système rythmique mais aussi à des schémas intonatifs."