Notes sur la scénographie
Mise en scène de référence, celle de Stéphane Braunschweig, créée au Théâtre national de Strasbourg en 2008, dont l’exceptionnelle scénographie est notamment restée dans les mémoires, cette maison moderne et austère dont le sol semble s’affaisser au cours de la représentation pour découvrir des murs lépreux, une « maison-prison qui devient peu à peu cauchemardesque » et qui donne « la sensation qu’on est de plus en plus enfermé dans le rapport subjectif au monde, qu’on est dans la prison des affects et des rapports intimes, familiaux, et qu’on ne ferait que s’y enfoncer si, finalement, il n’y avait pas du dehors » (Benhamou, 2012, p. 184).
Une scénographie peut-elle à elle seule révéler les névroses d’un personnage, le refoulement de ses désirs, voire les failles de toute une famille ? En montrant que le vaste salon blanc d’Orgon repose sur des fondements pourris qui en font bientôt un cachot aux murs lépreux, en dévoilant de manière spectaculaire la situation d’enfermement et de frustration dans laquelle les membres de la famille se trouvent pris, et en inventant une descente aux enfers résolument concrète, Stéphane Braunschweig en fait la démonstration éclatante.
La scénographie représente la maison d’Orgon.
L’atmosphère est à la fois moderne et monastique. Quelques éléments high-tech
dans un espace qui évoque un couvent ou une prison. Dès le début, on doit
sentir une atmosphère de frustration, et par conséquent de désirs secrets ou
clandestins.
Le sol est un plancher trapézoïdal, en perspective selon les lignes de fuite
des murs latéraux ; son aspect est « pauvre », comme
un plancher qu’on pourrait trouver dans une église ou un couvent :
planches de bois gris clair, aucun cirage.
Les murs, blancs, plâtreux, s’élèvent à 5 m, et tout l’espace est
recouvert d’un plafond blanc.
Dans la partie haute, une rangée de petites fenêtres avec des grilles permet à
la lumière extérieure de rentrer dans la pièce. En revanche, personne ne peut
regarder par les fenêtres, donc le monde extérieur est en quelque sorte
condamné, tandis que le « ciel » pèse sur tous.
Dans la partie basse des murs, deux ouvertures dans les murs latéraux laissent
deviner un couloir qui longe le mur du fond. Dans celui-ci, deux petites portes
en bois comme des portes de cellule sont situées dans la partie Jardin, donnant
accès aux chambres de Marianne et Damis. De l’autre côté, une porte identique
ouvre sur la chambre de Dorine. Dans le mur latéral Cour, une double porte
donne accès à la chambre de Tartuffe. Dans le mur latéral Jardin, une porte à
un seul battant et qu’on devine blindée donne sur l’extérieur.
Sur la partie Cour du mur du fond, accroché comme un tableau, un écran plasma.
Seul meuble au début de l’acte 1, un fauteuil en cuir très confortable et pouvant
tourner sur lui même est placé en face du téléviseur (donc de dos pour nous). A l’acte 3, le fauteuil
en cuir disparaît et laisse la place contre le mur de Cour à une table
recouverte d’une nappe blanche surmontée d’une croix (une sorte d’autel) et à deux
chaises d’église.
Avant la première rencontre de Tartuffe et Elmire, les murs se mettent à monter
d’environ 2 mètres, de sorte qu’on a un peu l’impression d’être descendu à
la cave ou dans une crypte. Les murs sont d’ailleurs plus sales et abîmés dans
leur partie basse. Seul accès dans l’espace à présent, un petit escalier
débouchant par une ouverture dans la paroi du fond, légèrement décalé à Cour.
Toutes les autres portes et couloirs donnent maintenant sur le vide, et les
fenêtres sont encore plus éloignées du sol.
Pendant la fameuse scène de la table, cauchemar d’Orgon, les murs s’élèvent
encore de 2 mètres, l’espace devenant de plus en plus onirique :
cette fois plus aucun accès vers l’extérieur, de sorte qu’au dernier acte toute
la famille a l’air prise au piège entre ces 3 murs très sales et aveugles. On
est comme au fond d’un puits, ou de l’enfer.